Bertrand René Pallu, baptisé le 29 janvier 1692 à Saint-Eustache, Paris, est issu d’une famille de notables de Tours, officiers de justice. Son trisaïeul Étienne Pallu, secrétaire du bureau des finances de Tours, est maire de Tours en 1611-1613. Son bisaïeul, Étienne (1588-1670), avocat du roi, premier conseiller au présidial de Tours, maire de Tours en 1629, est un jurisconsulte dont les commentaires sur la coutume de Tours sont une référence. Son grand-père Bertrand Étienne (1632-1709), seigneur de Ruau, conseiller au présidial de Tours, devient agent général (Moreau de Saint-Méry, Lois..., 1784, 25 mars 1670), puis directeur de la compagnie des Indes occidentales (A.N. Outre-Mer, COL C8A 1 f° 210 et 307) ; il est aussi receveur général des finances pour la province de Tours et finit secrétaire du roi et fermier général. Son père Bertrand René Pallu (Tours, St-Saturnin 18 déc. 1659-Paris mai 1740), conseiller au Châtelet, puis au Parlement de Paris épouse Catherine Macron de Barboteau. Sa sœur, Marie Anne Pallu de Ruau (1694-1774) épouse Antoine Louis Rouillé de Jouy (1689-1761), qui fait une brillante carrière : de conseiller au Parlement de Paris, il devient directeur de la Librairie, conseiller d’État, commissaire à la Compagnie des Indes, puis secrétaire d’État à la Marine (1749-1754) et aux Affaires étrangères (24 juillet1754-28 juin 1757) ; il est un conseiller et un soutien pour Pallu qui entretient une correspondance régulière avec lui. Le 19 décembre 1733, Pallu épouse Élisabeth Cécile Guillaume de la Vieuville (1712-1780), fille de Jean-Baptiste, secrétaire du roi et commissaire des guerres, décédé en 1717, et de Cécile de Vaulx (1680-1757).
Le 9 mai 1718, Pallu est nommé conseiller au parlement de Paris, puis, le 31 octobre 1726, maitre des requêtes. Il devient intendant de justice, police et finances, commissaire départi pour l’exécution des ordres du roi, tout d’abord à Moulins (20 juillet 1734-1738), puis à Lyon (11 juillet 1738-août 1750) ; il habite alors place Louis-le-Grand (act. place Bellecour), dans une demeure que Laurent Dugas* a acquise en 1724 au nom de la ville pour loger les intendants. Désigné le 15 mai 1749 conseiller d’État, il revient à Paris, et termine sa carrière comme intendant général des classes de marine (1er mars 1757-2 mai 1758), sans doute grâce à l’appui de son beau-frère Rouillé.
Il meurt le 2 mai 1758 à Paris.
Armorial : D’argent, à un palmier de sinople, posé sur une terrasse de même, le tronc accosté de deux mouchetures d’hermine.
En tant qu’intendant à Lyon, Pallu n’évite pas les critiques. Sur le plan personnel, on lui reproche une certaine légèreté, sa négligence quant à la gestion de son patrimoine ; « il est peu riche et sans conduite » ; en mai 1740, au moment du décès de son père, il aurait dû emprunter de l’argent pour aller à Paris. Sur le plan administratif, entré en conflit avec les officiers de l’élection de Lyon, il est attaqué le 31 janvier 1742, par un libelle placardé où il est représenté pendu avec un écriteau « Pallu, le nain jaune », sans doute par allusion au conte de Madame d’Aulnoy où le nain jaune est le symbole du méchant par qui le malheur arrive. Il est vrai que ces attaques sont rapportées par Léonard Michon, avocat du roi au bureau des Finances, qui soutient naturellement les officiers de finances. Mais on lui reproche aussi une certaine passivité et un manque d’autorité au moment des crises comme la révolte des ouvriers en soie de juillet 1744 et l’épizootie du charbon qui sévit de 1744 à 1748.
En août 1744, les ouvriers en soie se soulèvent contre l’arrêt royal du 17 juin 1744 qui leur interdit de vendre directement leur production, et les oblige à passer par l’intermédiaire des maîtres-marchands. En l’absence du gouverneur et du commandant, pratiquement sans force armée, le prévôt des marchands Jacques Annibal Claret de La Tourrette* temporise et rend une ordonnance qui annule l’arrêt royal. À la demande des révoltés, Pallu contresigne cette ordonnance et réclame un semblant de soutien du pouvoir central. Dans ses lettres quotidiennes au contrôleur général des finances Orry et à son beau-frère Rouillé, il prêche la clémence « ils n’ont ni pillé, ni tué » répète-t-il ; il se plaint cependant d’être obligé d’obéir aux insurgés, soutenu par une partie des notables, tels les chanoines, puis les jésuites et d’autres encore. Cette indulgence à l’égard des rebelles, selon lui, vient de « l’esprit d’indépendance » lyonnais, esprit né de leurs privilèges. Il raconte que sa femme, qui semble plus hardie que lui, « harangue tous les jours les rebelles » et qu’elle « fait des merveilles ». Le calme revient ; mais les négociants font pression sur l’entourage du roi afin qu’il ne cède pas. L’indulgence de Claret de La Tourrette et de Pallu est désavouée. Le Conseil du roi rétablit l’arrêt contesté de 1744 et le monopole des marchands. Avec son armée, le vicomte de Lautrec nommé commandant des provinces de Lyonnais, Forez et Beaujolais s’installe à Lyon en mars 1745 et loge ses gens chez l’habitant (malgré les privilèges des Lyonnais qui, en théorie, les en dispensent !). Notons que, « sur sa demande », Lautrec est nommé dès le 24 mars académicien associé à l’Académie des beaux-arts qui obtempère. Après quelques condamnations à mort exécutées cruellement, le roi accorde une amnistie générale, mais les négociants ont gagné. Pallu estime avoir évité de nombreux morts mais il est vrai qu’il n’a rien vu venir, qu’il a prêché la clémence, « et l’on murmure qu’il a manqué de fermeté ».
L’épizootie du charbon qui frappe le bétail se déclare en même temps que la révolte des ouvriers. Rossignol, intendant d’Auvergne et Merville, son subdélégué à Thiers, lui demande un contrôle énergique aux frontières. Pallu semble mettre longtemps à réagir, préférer la liberté du commerce au contrôle des frontières ; il écrit qu’il répugne à multiplier les gardes et ne veut pas qu’on tire sur les voitures et que l’on mette en danger la vie des gens « sous prétexte de conserver les bestiaux ». Il semble aussi qu’il préfère laisser le prévôt des marchands et le Bureau de la santé de Lyon agir à sa place. Pallu est un homme de salon, qui manifeste du goût pour les lettres, la philosophie et la musique. Ceci explique qu’il ne fut pas un intendant à poigne, qu’il fut négligent et souvent absent. Être intendant à Lyon n’est pas simple ; l’esprit d’indépendance local n’est pas un mythe et Pallu préfère les séances des académies aux confrontations violentes.
À Paris, Pallu fait partie du Club de l’entresol à partir de 1724, club où l’on débat philosophie et économie. On y rencontre Montesquieu, Helvétius, le marquis d’Argenson. Ce club inquiète le pouvoir et il est fermé en 1731. Proche du duc de Richelieu ami de Voltaire, à sa demande, Pallu rend visite à Voltaire lorsque ce dernier se trouve enfermé à la Bastille. Se nouent alors des liens durables avec Voltaire qui lui dédie des poèmes – en août 1729, « Épître 29 » ; après 1749, « Épître 27 » (O.C., éd. Moland, 10, p. 260-264) –, et qui lui demande de temps à autre des services très divers : un soutien lorsqu’il veut revenir en grâce (Lettre à Thieriot, 1er avril 1729 ; lettre à d’Argental, mai 1734) ; plus frivole, deux cygnes et des petits bateaux pour le bassin d’Émilie du Châtelet à Cirey (Lettre du 9 février 1736) – ce dont il le remercie par un poème (« À M. Pallu, intendant de Nevers », O.C., 32, p. 412) – ; la restitution de biens confisqués indûment à Lyon à un juif de ses connaissances (Lettre du 20 février 1744). Selon Voltaire, c’est Pallu qui l’aurait incité à écrire la Vie de Molière qui paraît de manière anonyme en 1739 (Lettre à Prault, 21 juillet 1739 ; lettre à d’Argenson, 28 juil. 1739). Pour ne pas s’en reconnaître responsable, Voltaire prétend aussi qu’il lui a demandé de saisir différentes éditions pirates de ses œuvres (Lettre à d’Argental, 11 juillet 1744 ; au lieutenant général de police, juin 1748).
Intendant, Pallu protège les arts et les lettres. À Moulins, il institue un concert annuel. À Lyon, il se lie avec Charles Borde* qui lui présente Jean-Jacques Rousseau, précepteur des enfants de Jean Bonnot de Mably, prévôt de la maréchaussée à Lyon. Rousseau sait gré à Pallu de lui avoir fait rencontrer le duc de Richelieu (Confessions, livre 7), et dans son « Épître à M. Bordes », il vante l’influence de l’intendant : à Lyon « tous les arts sont reçus / [...] / On reconnaît tes soins, Pallu ». Pallu aurait aussi favorisé la diffusion en France de l’Esprit des lois de Montesquieu. Il reçoit souvent la visite du président de Brosses lorsque celui-ci, après l’acte de résistance du Parlement de Bourgogne (1744), se trouve exilé à Villefranche. C’est à Pallu que Nicolas Bailleul dédie sa Nouvelle mappe-monde avec la représentation des deux hémisphères célestes, les disques du soleil, et de la lune, et les différents sentiments sur le mouvement des planètes, gravée par Delamonce (ca 1750, Lyon : Daudet), travail remarquable que les collectionneurs peuvent encore acquérir de nos jours. Pallu est en outre un membre actif des deux académies lyonnaises.
Le 16 juin 1739, l’Académie des sciences et belles-lettres décide d’aller présenter ses compliments au nouvel intendant Pallu. Le 4 août suivant, Pallu demande à être académicien honoraire et à pouvoir assister aux séances. Le vote est favorable et Pallu est reçu le 11 août avec un discours d’Aulas*. Bien qu’il soit honoraire, on lui accorde vite un statut spécial « avec voix délibérative dans les assemblées comme les académiciens ordinaires et part aux jetons » (15 décembre 1739). Il devient académicien ordinaire le 22 mai 1742 en remplacement de Glatigny* cadet, décédé. Il assure en 1745 la présidence des débats en tant que directeur (séance du 22 décembre 1744). Cette année-là, il propose que soient imprimés les ouvrages de l’académie, et il suggère que Voltaire, soit académicien associé honoraire. Vu la notoriété de Voltaire, on ne procède pas à une élection : il est inscrit « par acclamation » et Pallu est chargé de l’en informer (16 novembre 1745) ; Voltaire remercie et offre une nouvelle édition de ses Éléments de la philosophie de Newton. Enfin, il reçoit le duc de Villeroy, gouverneur, en visite à Lyon, à la séance publique du 23 novembre 1745, et fait l’éloge du travail des académiciens. En tant que directeur, Pallu se montre peu autoritaire. S’il propose des candidats, l’Académie n’obtempère pas de manière servile. Le 2 mai 1742, elle élit sans problème Barthélémy Collomb*, mais, en août 1743, elle écarte le protégé de Pallu, Charles Borde pour choisir l’abbé Coquier*. Borde ne sera élu que plus tard, le 16 mars 1745 ; Pallu, qui est alors directeur le reçoit et Borde répond à son discours (27 avril 1745, Ac.Ms263 n°37). Pallu refuse d’imposer des thèmes de recherche à ses confrères et préfère que chacun soit libre « de suivre son génie » (23 novembre 1745). Cependant Pallu participe activement aux travaux de cette compagnie et propose la lecture et l’analyse de plusieurs drames ou opéras de l’abbé Métastase (1698-1782), librettiste d’opéra et poète italien, qu’il traduit en français, souvent en vers : l’Olimpiade, comédie (1er février 1746), Artaxerxes, opéra (8 février 1746), La Clémence de Titus, dont il fait une lecture avec Claret de La Tourrette (celui avec lequel il avait affronté la révolte des ouvriers les 2 et 9 août 1746) ; le 14 mars 1747, Charles Borde lit la traduction en prose faite par Pallu de la tragédie intitulée Temistocle ; enfin, le 17 juin 1749, Pallu fait lecture d’une traduction de l’opéra intitulé Siroe, re di Persia, mis en musique par un grand nombre de musiciens (notamment en 1727 par Vivaldi ; en1728, par Haendel).
Lorsqu’il quitte l’intendance de Lyon, Pallu démissionne de l’Académie des sciences et belles-lettres et devient honoraire (15 décembre 1750). Sera élu à sa place Borie*, qui fait son éloge dans son discours de réception (16 février 1751). Les liens ne sont pas rompus avec Pallu ; Claret de La Tourrette lui dédiera encore une épître en vers (30 novembre 1751).
L’autre académie – qui s’appelle alors Académie des beaux-arts et qui organise des conférences depuis 1736 – accueille tout de suite Pallu comme directeur et profite de sa présence pour améliorer son fonctionnement. Elle décide, le 15 juillet 1739, de lui rendre visite à la fois comme intendant et comme directeur de l’Académie ; ce qu’elle fait le 22 juillet. Le 29 juillet est prononcé l’éloge de Pallu par le père Duclos*, recteur de l’Académie des jésuites, éloge repris le 2 décembre 1739 (Ac.Ms263 f°94). Le 1er juin 1740, l’Académie adresse à Pallu une lettre de condoléances à l’occasion de la mort de son père, lettre à laquelle Pallu répond (15 juin).
Le 25 novembre 1743, l’Académie change ses statuts : la fonction de président est supprimée, reste celle de directeur. Pallu devient académicien ordinaire avec rétroactivité au jour de sa réception ; mais ce n’est que pour peu de temps puisqu’il est à nouveau nommé directeur pour 1744 (11 décembre 1743). En tant que directeur, Pallu obtient du prévôt des marchands (Claret de La Tourrette) le financement du feu et de l’écritoire pour les réunions (24 janvier 1742) ; du duc de Villeroy le don de 150 jetons en argent pour que l’Académie des beaux-arts puisse en distribuer, comme le fait l’autre académie (3 juillet 1743). À la tête de l’Académie, Pallu rend des visites officielles de courtoisie : au cardinal Pierre Guérin de Tencin (19 juillet 1742) qui a été nommé archevêque de Lyon en 1740 (et ne s’installe vraiment à Lyon qu’à partir de 1750) ; à l’infant Philippe qui est l’hôte de l’archevêché (18 février 1744) et il organise pour lui un concert. Cependant, trop occupé, il demande à Borde de s’occuper à sa place des Mémoires (22 avril 1744). Voltaire envoie plusieurs de ses ouvrages à cette académie et Pallu le fait élire comme académicien associé (24 novembre 1745), quelques jours après l’avoir fait « acclamer » dans l’autre académie ; en remerciement, Voltaire donne, par le truchement de Pallu, deux exemplaires de la dernière édition des Éléments de philosophie de Newton (1er décembre 1745). C’est encore Pallu qui lit en séance le Panégyrique historique de Louis XV par Voltaire (17 juillet 1748). Enfin, avec l’appui du gouverneur de Villeroy, Pallu obtient pour l’Académie des beaux-arts une consécration qu’avait déjà l’autre académie : des lettres patentes du 1er juin 1748 par lesquelles le roi reconnaît l’existence officielle de l’Académie des beaux-arts et lui accorde le titre de « Société royale des beaux-arts». Lorsqu’il quitte Lyon pour retourner à Paris, Pallu envoie une lettre de démission et, le même jour, est nommé associé (9 décembre 1750).
P. Bonnassieux, La question des grèves sous l’Ancien Régime : la grève à Lyon en 1744, Paris : Berger-Levrault, 1882, 55 p. – H. Hours*, La lutte contre les épizooties et l’École vétérinaire de Lyon, au xviiie siècle, PUF, Cahiers d’histoire, 1957, p. 11-18, p. 75-77. – A. Boucaud-Maître, Les intendants de la ville et généralité de Lyon au xviiie siècle, thèse de droit, Lyon 3, 1985, t. 1 (p. 98-108). – « Mémoire relatif aux abus qui règnent dans le gouvernement de Lyon et les moyens proposés pour y remédier. 1745 », RLY, 1904, p. 146-156.
AML AA 081, Pièces 33-35. – BML MsCoste 36, 748, 1036, 1219. – Mappemonde BNF Richelieu – GE C-25539.
Ses traductions de Metastase auraient été publiées, mais on ne les a pas retrouvées.