Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

MÉRIEUX Charles (1907-2001).

par Louis David.

  Charles Francisque Paul Mérieux est né le 9 janvier 1907 à Lyon 2e, fils de Jean Marie Marcel Mérieux (Lyon 6e 9 janvier 1870-Lyon 13 août 1937), 36 ans, alors domicilié 6 rue Émile-Zola, et de Marguerite Jeanne Condamin (Lyon 2e 5 janvier 1884-Collonges-au-Mont-d’Or 22 septembre 1957) ; témoins : Pauline Mérieux-Condamin, sœur de Marguerite et épouse d’Henri Meyrieux, frère de Marcel), et Hector Jouvart, employé.

  Marcel, fils d’un négociant lyonnais, est chimiste, issu de l’école de chimie de Lyon, spécialiste des colorants utilisés pour la reconnaissance des microbes, et comme tel recruté en 1894 dans l’équipe de Pasteur-Roux. C’est là qu’il comprend l’importance des sérums pour guérir les maladies et, poussé par Pasteur, associé au vétérinaire Henri Carré, il tente de créer un laboratoire de préparation de ces sérums. Après deux tentatives, c’est en 1897 que les deux associés improvisent un laboratoire dans les combles du passage de l’Hôtel-Dieu, et le baptisent Institut Mérieux. Plus tard, l’un de ses frères construit un hôtel particulier rue Bourgelat, à côté de l’abbaye d’Ainay, et propose à Marcel de l’héberger avec son laboratoire : il fabrique là, de manière artisanale, des sérums antidiphtérique et antitétanique, ainsi que la tuberculine, et invente le procédé de dessication pour leur conservation.

  En 1914, Charles a 7 ans et regarde son père travailler, mais les études ne le motivent guère alors qu’il est élève de l’externat Saint-Joseph (act. lycée Saint-Marc). En 1926, il obtient son baccalauréat et un premier drame frappe la famille : son frère aîné Jean, médecin, est emporté en quelques jours par une méningite foudroyante alors que tout le destinait à succéder à son père. La vie de Charles bascule alors, il devient le successeur et dira plus tard : « la seule solution qui s’offrait à moi, c’était de prendre le relais des responsabilités, d’assumer la succession du laboratoire paternel ». En 1927, il entre en faculté, passe son PCN, mais bifurque vers une licence scientifique qu’il ne termine pas : il vient de se marier le 17 juillet 1929 à Annecy avec Simone Jeanne Perréard (Annecy 7 septembre 1907-13 février 1973), fille d’un géomètre. Ils auront trois enfants : Jean (1930-1994) ; Nicole (1931-2007) ; et Alain (né en 1938), qui épousera Chantal Berliet.

  Charles mourra à Lyon 2e, 17 rue Bourgelat, le 19 janvier 2001, à 94 ans. Ses obsèques ont eu lieu à la cathédrale Saint-Jean ; il est inhumé au cimetière de Marcy-Étoile.

  Charles a obtenu deux certificats de sciences et un certificat de bactériologie en 1931. Voulant se spécialiser dans ce dernier domaine, en 1932 il part suivre à Paris les cours de l’institut Pasteur : il est reçu premier en sérologie. Il seconde de plus en plus son père qui, réformé en 1917, avait acheté 25 hectares de prairies à Marcy-l’Étoile où il élève désormais des chevaux et des bovins pour la production des sérums ; il ajoute le sérum antiaphteux à sa panoplie. C’est à la fois comme vendeur de tuberculine et comme chercheur curieux de découvrir les autres laboratoires vétérinaires et leurs techniques que Charles parcourt presque tous les pays d’Europe entre 1933 et 1936. Dans le même temps, il reprend ses études de médecine et réussit à les mener à bien : en 1938 il est docteur avec une thèse sur La percuti-réaction à la tuberculine. Il peut enfin se présenter avec un diplôme.

  1937 est une date-clé dans la vie de Charles avec la mort de son père, et il devient à 30 ans pleinement responsable de l’Institut Mérieux. Il va désormais donner libre cours à ses qualités fondamentales qu’il résume en une phrase lapidaire souvent répétée : « je suis resté un enfant ». C’est exact si, de l’enfant, on retient l’insatiable curiosité, l’imagination sans limite et l’inconscience ; mais c’est incomplet car l’adolescent apporte l’enthousiasme, et l’adulte la ténacité et la générosité. Ces six traits de caractère se retrouvent dans toutes les actions de Charles.

  En 1938, Charles voyage en URSS puis installe le laboratoire directement à Marcy-l’Étoile, à proximité du cheptel. Mais il est encore l’artisan, en bon successeur de son père, qui met la main à la pâte dans tous les domaines. Arrive la guerre 1939-45. Sera-t-elle un nouveau et grave handicap pour l’Institut ? Oui et non. En liaison avec le Comité de l’Enfance, Charles installe au cœur des abattoirs un centre de préparation du sérum de bovins (qu’il saigne lui-même), sérum distribué gratuitement dans les écoles aux enfants sous-alimentés. Cette activité philanthropique cache une discrète préparation de sérum humain pour les blessés de la Résistance. Au début de 1945, Charles Mérieux bénéficie d’un ordre de mission pour aller étudier l’organisation américaine de transfusion sanguine. Après un voyage quelque peu mouvementé, il est émerveillé par les laboratoires qui traitent le sang à une échelle industrielle et non plus artisanale ; il découvre la lyophilisation et bien d’autres techniques : c’est la biologie industrielle. Après ce voyage, Charles essaie, avec enthousiasme, de faire admettre cette modernité aux administrations, mais c’est, presque chaque fois, une fin de non-recevoir. Il participe à la création du Centre de Transfusion de Lyon (1946) et met l’accent sur la production de gammaglobulines (coqueluche, rage…). Il prépare, rue Bourgelat, le sérum anticoquelucheux (Sérocoq) grâce à la coopération de ses donneurs de sang pour la Résistance. Il crée alors, avec l’appui d’Édouard Herriot qui lui cède l’ancien abattoir sanitaire, l’Institut français de la Fièvre aphteuse (IFFA, 1947) ; puis il se libère des contraintes de l’élevage en cultivant le virus in vitro. Et c’est son premier voyage en avion pour livrer 4 tonnes de vaccin en Colombie : une ouverture sur l’Amérique du Sud qui jouera, par la suite, un si grand rôle.

  Les années 1950 sont celles de la mondialisation des activités de l’Institut. Charles prend conscience que rien ne peut se faire de grand et de durable en restant cantonné au territoire français. En 1952, il crée une première succursale en Argentine, puis il impose l’idée d’un laboratoire de contrôle biologique en 1953 (Institut de Pathologie Bovine) et il organise un premier congrès qui débouche sur la création de l’Association internationale de Standardisation biologique en 1955. L’Institut Mérieux se développe selon trois axes : les vaccins vétérinaires, les vaccins humains et le sang.

  1. Pour les vaccins vétérinaires, ce fut d’abord la création de l’IFFA, puis son expansion en Amérique du Sud, et même en URSS. En 1960, une épidémie de fièvre aphteuse asiatique se déclare en Iran. Le FAO se réunit à Rome pour en discuter... Charles, sans être invité, se précipite à Rome : il est mal reçu, mais l’Iran lui fait confiance et lui offre un laboratoire pour produire sérum et vaccin. L’épidémie sera enrayée, protégeant les autres pays, mais c’était bien le fruit de l’inconscience.

  2. Pour les vaccins humains, ce fut la lutte contre la poliomyélite que Charles a suivie de bout en bout, depuis le premier vaccin Lépine sorti en 1958 jusqu’au nouveau vaccin Salk et à l’éradication quasi totale de la maladie. Il inaugure ensuite les premiers vaccins associés (DTcoq, DTpolio…) et collabore pour cela avec les chercheurs de tous les pays. Retenons une seule autre grande aventure, celle dont il était probablement le plus fier. Dès 1960, Charles Mérieux constate qu’une méningite de type A sévit à l’état endémique en Afrique, provoquant de graves épidémies au Sahel. Devant le refus d’engagement des organismes officiels, c’est seul et à partir du vaccin de la méningite C américaine qu’il met au point le vaccin, finalement reconnu par l’OMS en 1973. Or, en août 1974, éclate une épidémie de méningite africaine au Brésil. Seul Mérieux possède le vaccin et l’expérience vécue au Sahel, mais il faut vacciner 90 millions de personnes. En trois mois, on construit un nouveau laboratoire à Marcy, et en mars commence la plus grande campagne de vaccination de tous les temps, aussi bien dans les villes qu’au fond de l’Amazonie. Au-delà de cette aventure extraordinaire, Charles Mérieux pourra dire : « On a fait appel à moi comme à un citoyen français. S’il avait fallu faire appel au gouvernement, seraient alors entrés en ligne de compte les accords de coopération internationaux, des pressions se seraient exercées, bref, l’affaire fût devenue politique. Et en attendant qu’elle trouve une issue satisfaisante pour tous, des milliers de gens seraient morts de méningite ». Il avait la générosité.

  3. Pour le sang humain, la liste est longue de tous ses dérivés que fabriqua l’Institut depuis les débuts clandestins du sérum pour la Résistance. Mais, en 1952, la loi française décide que le sang sera monopole d’État : c’est une entrave sérieuse à l’activité de l’Institut, même si des sérums continuent à être produits jusqu’en 1975. Charles cherche à contourner la loi (comme il le fait pour tout obstacle) et pense au placenta : gorgé de sang, il est jeté donc perdu, en énormes quantités puisque les naissances sont permanentes à travers le monde. Il suffit de s’organiser pour le récupérer… ; mais vingt années seront nécessaires pour atteindre le développement optimal avec un laboratoire alimenté par une chaîne du froid (congélateurs, camions, avions), relié à plus de 3 000 maternités. L’idée de départ est appliquée avec une ténacité hors du commun.

  En 1967, après 30 années passées à sa tête, Charles Mérieux confie à son fils Alain la direction de l’Institut, qui entre dans le capital du groupe Rhône-Poulenc, lui aussi d’origine lyonnaise. Il aura, plus tard en 1979, le bonheur d’assister au mariage historique tant désiré, à savoir le rapprochement entre l’institut Mérieux et Pasteur-production. C’est aussi la création de Rhône-Mérieux pour la santé animale, et celle de Bio-Mérieux pour les réactifs de laboratoire. Le corollaire est la naissance de la Fondation Marcel Mérieux dont il devient le président. Ceci lui permet, selon sa formule, d’avoir « les mains (et l’esprit) plus libres pour mener à bien les grands projets ». Il ne s’en fait pas faute, certains projets ayant été le fruit de la Fondation plus encore que de l’Institut; d’autres, verront le jour : la création pour l’Afrique, en 1972, de l’AMP [Agence de Médecine Préventive] qui sera relayée par l’AME [Afrique-Méditerranée-Europe] ; la création de Bioforce en 1983 au sein de l’école du Service de Santé des Armées, avec accord des ministères de la Défense et de la Coopération, œuvre de pure solidarité ; le développement, aux Pensières [sa grande propriété au bord du lac d’Annecy achetée en 1960], non seulement des rencontres internationales, mais du Centre Collaborateur OMS qui s’associe avec celui d’Atlanta pour la formation en épidémiologie. Plus tard (1995), ce sera la création de l’Institut universitaire de Santé international, avec l’université de Genève à laquelle se joindront celles de Turin et de Lyon.

  L’homme public a été beaucoup sollicité, non seulement à l’échelle internationale, mais au sein de sa patrie lyonnaise. Comme il ne faisait rien de façon superficielle, il a beaucoup donné, de sa personne et de ses finances. Pour lui une fonction ou une participation ne pouvait se borner à être honorifique. Sa plus ancienne fonction est celle de consul d’Autriche, mais il a fait partie de très nombreux conseils d’administration : la Foire, les Hospices civils ou les Amis de l’université de Lyon, tels la Croix Rouge française ou la Ligue contre le cancer, pour ne citer que ceux-là.

  Son père Marcel a une rue à Lyon 7e , et une avenue à Brignais ; la mémoire de Charles se perpétue avec la place docteurs Charles et Christophe Mérieux à Gerland, une place au Veyrier-du-Lac (74), le musée des sciences biologiques docteur Mérieux à Marcy-l’Étoile, un amphithéâtre à l’ENS-Lyon, un campus Charles Mérieux (non un lieu, mais un assemblage de sites de l’université Claude-Bernard), le Centre d’infectiologie Charles Mérieux de Bamako (Mali), etc.


Académie

Il est élu le 22 avril 1969 au fauteuil 7, section 1 Sciences, sur un rapport de A. Tapernoux* le 17 décembre 1968 ; il est reçu à l’Académie par M. Chamaraud* le 6 mai. Son discours de réception, le 20 janvier 1970, est intitulé Sans frontière entre les deux médecines de Claude Bernard au vétérinaire Galtier. En juin 1975, il reçoit l’Académie au musée Claude-Bernard à Saint-Julien-en-Beaujolais. Alors qu’il est émérite depuis 1980, son éloge funèbre est prononcé le 23 octobre 2001 par Louis David*.

Les honneurs n’ont pas manqué pour Charles Mérieux qui ne les recherchait pourtant pas. En plus des distinctions décernées en Autriche, Belgique, Grèce, Tunisie…, il est commandeur de l’Ordre national du Mérite, des Palmes académiques ou de la Croix du Sud (Brésil). Grand officier de la Légion d’honneur en 1987, il est élevé à la dignité de Grand-Croix, la plus haute et rarissime distinction française, par le président Chirac en 1997. Charles Mérieux est docteur Honoris Causa de nombreuses universités : Tufts, Illinois, Montréal, Québec, Tel-Aviv, Botswana, Bucarest, etc., et aussi Lumière Lyon-2. Celui qu’on appelait docteur ou que l’on désignait comme le docteur, bien qu’il n’ait jamais pratiqué la médecine, a été membre correspondant de l’Académie de Médecine.

Bibliographie

L. David, « Charles Mérieux (1907-2001) », MEM 2, 2002, p. 17-23, portrait.

Publications

Sans frontière entre les deux médecines de Claude Bernard au vétérinaire Galtier, Lyon : Sallaz impr. 1970, 33 p., ill. – Le virus de la découverte Paris : R. Laffont, 1988, 251 p., ill. ; 2e édition actualisée avec Louise L. Lambrichs et Anne Marie-Moulin, sous le titre Virus Passion, Paris : R. Laffont, 1997, 319 p.

Cette notice a été révisée.