Jean Louis Pierre Garraud est né le 18 juin 1888, à Lyon 2e ; témoins son grand-père Paul Rougier* et le fils de celui-ci appelé aussi Paul Rougier. Le prénom de Pierre est traditionnel chez les Garraud qui, à part le père de Pierre, l’ont porté de père en fils depuis la fin du xviiie siècle. P. Garraud est le quatrième enfant de René Garraud* et de Jeanne Rougier ; il naît dans un milieu de juristes lyonnais, traditionnalistes et humanistes. Son père et son grand-père maternel (Paul Rougier) mènent une active carrière d’avocats ; tous deux sont professeurs à la faculté de droit de Lyon depuis sa fondation, et impliqués dans différentes œuvres sociales. Une fois professeur de droit, Pierre Garraud se marie le 20 septembre 1920, à Lyon 2e, avec Marguerite Feuga (Lyon 2e 2 mai 1897-Lyon 5e 2 septembre 1990), fille de Raymond Feuga, architecte, et d’Antoinette Brossette, et tante de Paul Feuga*. Ils ont cinq enfants : Hélène (née le 9 septembre 1921) mariée avec Philippe Marie Cicéron dont elle a neuf enfants ; Paul (7 décembre 1924-30 mars 1944) ; Jacques (né le 10 décembre 1924-), Robert (né le 6 novembre 1927), Colette (née le 10 août 1931).
Pierre poursuit des études classiques au lycée Ampère (1898-1905), puis s’inscrit à la faculté de droit de Lyon. Il obtient plusieurs prix ou mentions au cours de ses trois ans de licence et est licencié en juillet 1908. Il s’inscrit au barreau de Lyon en 1908 et y reste jusqu’en 1926. Après la rupture du service militaire (1er octobre 1909-24 septembre 1911), il soutient le 25 juin 1913 une première thèse de droit pénal pour le doctorat en droit : La preuve par indices dans le procès pénal, prix de thèse 1913, encore citée de nos jours. Si P. Garraud rend hommage à la police scientifique de Bertillon, il met en garde contre les dangers de la preuve par indices et incite à la circonspection. Puis le 12 janvier 1914, il soutient une thèse pour un second doctorat, en sciences politique et économique, La responsabilité du tiers auteur d’un accident du travail vis-à-vis de la victime et du chef d’entreprise, qui touche au droit, à l’économique et au social.
La guerre l’interrompt au moment où il pense préparer le concours d’agrégation des facultés de droit. Mobilisé comme sous-officier de cavalerie, il effectue son service aux armées, souvent détaché à l’État-major, mérite deux citations (19 mai 1917 et 17 février 1919), et termine lieutenant. Libéré en mars 1919, il présente et réussit le concours d’agrégation (droit privé et criminel, 13 février 1920), et est attaché à la faculté de droit d’Aix, avec rétroactivité à compter du 1er février. Par une mesure exceptionnelle, il est transféré comme agrégé à la faculté de droit de Lyon sans attribution de cours (arrêté 26 novembre 1920), tout en continuant d’assurer ses enseignements à Aix jusqu’au 31 octobre 1921. Lorsque son père prend sa retraite, il lui succède, installé le 1er novembre 1921 (décret du 18 juillet 1921) dans la chaire de droit criminel dont son père a assuré les cours sans interruption de 1875 à 1920. P. Garraud conserve cette chaire jusqu’à sa retraite (1er octobre 1959). Il enseigne le droit criminel en 2e année de licence, la science pénitentiaire en doctorat, le droit pénal spécial pour la préparation au concours de la magistrature et, parfois, un cours de droit commercial complémentaire en 3e année de licence. Édouard Lambert, fondateur à Lyon du premier Institut de droit comparé français, le choisit pour diriger la série « criminologie et droit pénal comparé » dans la collection de son Institut. Il travaille avec son père sur les trois derniers tomes de son gros Traité de procédure pénale et à la réédition du Manuel de droit pénal ; puis après la mort de celui-ci, il prépare d’autres rééditions de ses ouvrages. Avec son ami Marcel Laborde-Lacoste (1890-1978), agrégé en même temps que lui, nommé comme lui à Aix-en Provence (avant de rejoindre Bordeaux), il rédige des manuels conformes aux nouveaux programmes et un long commentaire de la loi de1920 réprimant l’incitation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle. En outre, il rédige des articles et des notes de jurisprudence sauf pendant ses décanats. Il dirige soixante-dix thèses entre 1921 et 1959. Assesseur du doyen Louis Josserand* (1er avril 1928), lorsque ce dernier quitte la faculté pour la Cour de cassation, Pierre Garraud est élu, en juillet 1935, pour le remplacer ; il est réélu doyen pour trois ans à dater du 1er août 1938. Il a une haute conception de son devoir de doyen et se pose en continuateur de son prédécesseur. Avec la Seconde Guerre mondiale, mobilisé comme capitaine de réserve au 55e G.R.D.I. (7 septembre 1939-17 juillet 1940), il laisse sa charge à son assesseur Paul Roubier. Lors de l’armistice, il refuse d’obéir aux ordres, et pour éviter aux soldats qui sont sous ses ordres d’être faits prisonniers, il réquisitionne des camions pour les disperser rapidement. Démobilisé, il préside à nouveau les conseils de faculté dès le 29 juillet 1940. Il accepte l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain et est confirmé comme doyen par le secrétaire d’État à l’Instruction publique, Georges Ripert, juriste. Il est nommé membre du jury d’agrégation (droit privé, session octobre-novembre 1941). Doyen, il est soucieux d’aider les professeurs et les étudiants réfugiés à Lyon, il apporte son soutien aux étudiants incarcérés pour des manifestations hostiles au pouvoir. Il est aussi dans la municipalité nommée à Lyon par le gouvernement (20 juin 1941). Peu après le rappel de Laval au pouvoir, le 18 mai 1942, en pleine réunion de la commission municipale, il refuse de voter une motion de soutien au nouveau gouvernement qui contient, dit-il, de « véritables traîtres » dont Abel Bonnard, secrétaire d’État à l’Éducation nationale. Le maire et le recteur essaient de minimiser l’affaire, Vichy aurait souhaité qu’il revienne sur ses paroles, ce qu’il refuse ; il apporte sa lettre de démission et Vichy le relève de ses fonctions décanales. À la réunion de la commission municipale du 6 juillet 1942, il est noté qu’il est absent et démissionnaire. P. Roubier accepte de devenir doyen à sa place. Garraud continue d’apporter son soutien aux étudiants en difficulté, contre la Relève (qui se transforme en STO : Service du travail obligatoire), ou lorsqu’ils sont traduits en justice (notamment au procès de Combat qui se déroule à Lyon), en les aidant par ses connaissances de pénaliste. Conseiller juridique de l’association qui prend le nom d’Amitié chrétienne – association d’aide aux réfugiés sous le patronage du cardinal Gerlier et du pasteur Boegner –, il en accepte la présidence lorsque ses dirigeants sont trop compromis et doivent se cacher (novembre 1942). C’est alors qu’il rencontre Élise Rivet, mère Marie-Élisabeth (1890-Ravensbrück 30 mars 1945), qui l’aide à cacher des enfants juifs. Indigné par la politique de Vichy en tant que chrétien et patriote, il adhère en 1943 au Comité national des juristes de la zone Sud, qui se fond après la Libération dans le Mouvement national judiciaire, et publie un opuscule sur l’illégitimité du gouvernement de Vichy. La fin de la guerre est pour lui particulièrement douloureuse puisque, le 30 mars 1944, son fils Paul, membre du maquis de Savoie, puis de l’Armée secrète, est fusillé par les forces d’occupation à Allan (Drôme). À la Libération, ami du journaliste Yves Farge, nommé commissaire de la République pour la région rhodanienne, il est membre du Comité départemental de la Libération de Lyon, délégué à la justice civile et premier président par intérim de la cour d’appel de Lyon (5 septembre 1944) ; il est aussi réintégré comme doyen provisoire le 6 septembre 1944, puis élu, après trois tours de scrutin, le 23 novembre 1944. Mais il ne conserve ce poste que jusqu’au 15 février 1946, date de fin des mandats des doyens provisoires ; il ne se représente pas et est nommé doyen honoraire (1er juillet 1946). Ensuite, il est membre du comité directeur (1945) de France Résistante, en devient président en 1949. Il est aussi président du comité de conservation du Veilleur de Pierre, place Bellecour. Pendant la Guerre d’Algérie, il prend position pour la défense des droits individuels. Il est admis à faire valoir ses droits à la retraite à dater du 1er octobre 1959 (décret du 13 novembre 1959) et est nommé professeur honoraire (23 février 1960).
Partisan d’une réforme pénitentiaire, de prévention et d’éducation, il réclame « comme indispensable une réforme radicale des méthodes pénitentiaires », rappelle « la nécessité d’une large prévention et d’une rééducation fondée sur une connaissance renouvelée de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte » (J. Vincent). Dès son installation à Lyon comme professeur, il se dévoue avec générosité dans différents organismes qui encadrent et éduquent les enfants en difficulté ou aident les prisonniers et les libérés : membre du Comité de défense des enfants traduits en justice à partir de 1924 ; administrateur et vice-président de la Société de patronage et de relèvement de 1930 à 1937 (date de sa dissolution) ; membre du conseil d’administration (22 mai 1925-24 mai 1942), président (mai 1942-janvier 1951, date de sa démission), puis à nouveau membre du conseil d’administration du Sauvetage de l’enfance qui gère l’école professionnelle de Sacuny-Brignais ; président de l’Association régionale pour la Sauvegarde de l’enfance (1945-46) ; membre, puis vice-président de la Commission de surveillance des prisons (décembre 1930-février 1960) ; administrateur du Patronage Saint-Léonard de Couzon (pour les adultes libérés de prison) à partir de 1936 ; il soutient aussi l’Œuvre des prisons de Lyon du père François Marty, déporté et fusillé en 1944. D’autre part, après la guerre, soucieux du personnel comme des malades, il s’occupe de l’administration des hôpitaux : administrateur des Hospices civils (14 novembre 1944) ; membre du conseil départemental de la Croix-Rouge (octobre 1945-1957) ; président du conseil d’administration de la Caisse de prévoyance et de sécurité sociale du personnel des Hospices civils (15 janvier 1945) ; membre de la Commission départementale de réforme des agents des collectivités locales (12 mai 1955). Enfin il est aussi vice-président du COSOR (Comité des œuvres sociales des organismes de Résistance).
Il décède d’une crise cardiaque le 9 avril 1967. Après une cérémonie en l’église Notre-Dame du Point-du-Jour, et les discours du doyen Nerson* et du médecin-général Henri Gabrielle, président des Hospices civils de Lyon, il est enterré au cimetière Saint-Nicolas de Beaujeu.
Chevalier de la Légion d’honneur (30 décembre 1936), officier à titre militaire (6 février 1952). Croix de guerre 1914-1918. Croix du combattant 1914-1918. Médaille commémorative de la guerre 1939-1940. Officier de l’Instruction publique. Commandeur des palmes académiques (9 juillet 1959). Médaille de l’Éducation surveillée (10 juillet 1948). Officier de la santé publique (24 janvier 1961). En 1987, l’hôpital des Invalides, rue du Commandant Charcot, Lyon 5e, que P. Garraud avait contribué à transformer en centre de soins et de cure pour personnes âgées, devient Hôpital gériatrique Pierre Garraud.
Le 27 janvier 1914, sa thèse est l’occasion d’un riche débat à l’Académie, où interviennent A. Lacassagne*, E. Locard* et son père, qui conclut que « savoir, c’est douter ». Sur rapport d’Auguste Rivet* du 17 novembre 1936, Garraud est élu le 1er décembre au fauteuil 6, section 3 lettres, succédant à Louis Josserand* passé à l’éméritat ; il ne participe guère aux réunions ; trop occupé par sa charge décanale, puis par sa mobilisation, il demande l’éméritat qu’on lui accorde en 1941, puis disparait des listes.
AN F/17/27100. – A.D.Rh. 283 W 58 (dossier des RG, pratiquement vide). – AML 3 C 351 –Éloge par Jean Vincent, 1967. – B. Permezel*, Résistants à Lyon, Villeurbanne et alentours, Lyon : BGA Permezel, 2003.
Journal de Pierre Garraud (18 mai 1942-25 janvier 1943), déposé au Musée de la Résistance et de la déportation (à paraître : BGA-Permezel].
Avec René Garraud, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, Paris : Sirey, t. 4, 1926 ; t. 5, 1928 ; t. 6, 1929. – Précis de droit criminel, 14e éd. Paris : Sirey, 1926. – Avec Marcel Laborde-Lacoste, Précis élémentaire de droit pénal (capacité), Paris : Sirey, 1930. – Précis élémentaire de droit pénal (licence et capacité), Paris : Sirey, 1933 ; Mise à jour, 1936 ; 3e éd. 1937 ; 4e éd. 1943. – Exposé méthodique de droit pénal, 4e éd., Paris : Sirey, 1942. – « La répression de la propagande contre la natalité. La loi du 31 juillet 1920... », extrait des Annales fac. droit Aix-en-Provence, 1921, 88 p. – Le rôle et la volonté du patient quant au traitement médical et à l’intervention chirurgicale, Paris : De Boccard, 1927, 84 p.
1re thèse : La preuve par indices dans le procès pénal (Paris : Larose et Tenin, 1913, 358 p. – 2e thèse : La responsabilité du tiers auteur d’un accident du travail vis-à-vis de la victime et du chef d’entreprise, Paris : Larose et Tenin, 1914, 148 p. – Traité théorique et pratique du droit pénal français, Paris : Sirey, t. 6, 1935. – Les avant-projets polonais de 1922 sur la partie générale d’un code pénal, Bibl. Institut de droit comparé, Paris : Giard, 1924, 122 p. – La transportation des criminels dans les colonies, Discours rentrée de l’université, 3 novembre 1925, Lyon : Rey, 1926, 31 p. – « Rapport sur l’avant-projet de code pénal », Annales de l’université de Lyon, Droit-Lettres, 1933, 100 p. – Sous le pseudonyme de Portalis, Le gouvernement de Vichy est-il légitime ? Comité national des juristes, [novembre 1943], 12 p., rééd. éd. de Minuit, 1944. – Hommage aux étudiants de la faculté de droit de Lyon morts pour la France 1939-1944, Lyon : Bosc. Il faut y ajouter des rapports, des discours, des articles et chroniques dans des revues juridiques.