Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

GREGORJ Jean-Charles (1797-1852)

par Nicole Dockès-Lallement.

 Giovan Carlo Gregorj (Grégori ou Grégory, mais il tient à la graphie corse Gregorj : voir son dossier de Légion d’honneur) est né à Bastia le 4 mars 1797 ; déclaration du 8 mars en présence de Nicolao Semidei (1770-1859, cousin germain), négociant puis patron marin, et de Francesco Castellini, capitaine de marine. Grands-parents paternels : Gio Carlo Gregorj et Catterina Raibaldi. Grands-parents maternels : Giacomo Semidei et Margarita Santelli. Son père Giuseppe (1773-1855), négociant, a épousé sa mère, Maria Devota Semidei (Bastia Saint-Jean-Baptiste, 27 janvier 1775-2 mai 1860), fille d’un capitaine de navire marchand, à Bastia le 5 juin 1796 ; ils habitent au début de la rue Spinola. Trois de ses frères – Jacques ou Giacomo (1799-1871), Vincent (1802- ?) et Louis (1810-1894) – fondent la plus importante banque de l’île, la Banque Gregorj frères qui entretient des relations commerciales nombreuses avec Paris, Marseille, Livourne, Lyon (notamment avec les maisons lyonnaises Pelegrin Velay, Mognot Fougasse, Gros Davillier Roman, Tranchard Le Brun, Faure et Compagnie, Tabarin), et qui investit dans l’industrie, les mines et les transports maritimes et terrestres. Jacques, dont le fils reprendra la banque à la mort de Louis, est en outre président de la chambre de commerce et du tribunal de commerce de Bastia. Un autre de ses frères, Antoine, est magistrat, conseiller à la cour d’appel de Bastia. Jean Charles est l’aîné ; il est le seul des garçons à s’installer définitivement hors de Corse. Sa sœur Claire Gregorj (Bastia 1802-Amiens 1890) épouse en 1824 Charles Nicolas Ferrand (Cosne-sur-Loire 1790-Lyon 1837), magistrat, d’où le préfet Joseph Ferrand (1827-1903).

 Étudiant en droit, il se marie à Paris le 21 novembre 1822 avec Annette Célina Huillard d’Hérou, fille de René Charles, inspecteur de la Librairie, et d’Antoinette Chamellard de Varville (contrat de mariage du 18 novembre 1822 passé chez Me Louis Auguste Marchoux, 6 rue de Vivienne : AN/ MC/ET/XCIII/426) ; il habite à cette date 4 boulevard Saint-Martin, et sa future épouse 38 rue Bleue.

 Juriste, il opte pour une carrière de magistrat, mais il est aussi historien et écrivain. Après des études classiques en Corse, il commence à Rome des études de droit (droit romain et droit canonique), qu’il poursuit à Paris tout en s’intéressant à l’archéologie et à l’histoire. Il y demeure huit ans, s’inscrit au barreau et se lie alors avec le célèbre Charles André Pozzo di Borgo (1764-1842), opposé à Bonaparte par une « haine corse » réciproque, et qui était alors ambassadeur de Russie à Paris. Puis commence sa carrière de magistrat : juge auditeur à Bastia (13 juil. 1825, serment 15 octobre), puis juge à Sarlat (15 avril 1828, serment 23 mai), juge d’instruction à Ajaccio (24 mai, serment 1er octobre 1929), juge à Château-Thierry (30 avril 1831, serment 17 mai), conseiller à la cour de Riom (20 octobre 1835, serment 15 décembre), enfin à celle de Lyon (12 septembre 1837) où il prête serment le 14 octobre et demeure. Parallèlement, il conduit de nombreuses recherches, spécialement sur l’histoire de son île natale. Il réédite de classiques traités consacrés à l’histoire de la Corse et les commente avec un appareil scientifique solide : d’abord celui d’A. P. Filippini (1529-1594) longuement annoté, avec une introduction que Carlo Botta cite dans sa Storia d’Italia comme elegante et dotta (t. 7, p. 153, 169) ; ensuite, celui plus ancien de Pietro Cirneo (1447-1506 ?) qu’il traduit en italien. Enfin, il publie un recueil d’anciennes lois civiles et criminelles de Corse qu’il accompagne d’explications érudites ; cette édition est encore au xxie siècle une édition de référence pour les historiens du droit. La traduction (par Étienne Mulsant*, lue à la Société littéraire les 24 mai, 7 juin et 5 juillet 1843) de la longue introduction de ce dernier ouvrage est publiée dans une importante revue juridique française en 1843. L’impression de ces gros travaux historiques et patriotiques est financée à chaque fois par son ami le comte Pozzo di Borgo ; ils sont ensuite distribués dans toutes les communes de Corse et les principales bibliothèques d’Europe. Pozzo di Borgo institue Grégorj comme son exécuteur testamentaire et le charge d’éditer ses Mémoires ; mais, décédé trop tôt, avant la date prévue pour cette publication, ce dernier ne peut remplir sa mission. Gregorj a consacré sa vie à ses recherches sur l’histoire de la Corse qu’il aurait voulu réunir dans une grande synthèse. Il rédige aussi des notices pour la Biographie universelle Michaud (il signe J. C. Grégory G–ry, à ne pas confondre avec Gaspard de Grégory (1768-1846) G–g–y, magistrat piémontais, procureur près le tribunal de première instance d’Asti, puis président de la cour impériale d’Aix-en-Provence, auteur d’un très grand nombre de notices).

 L’histoire de sa petite patrie inspire aussi à Gregorj des œuvres littéraires : une tragédie sur le condottiere corse Sampiero Corso, soldat valeureux, au service du roi de France, qui en 1556 réussit le rattachement (très temporaire) de la Corse à la France, et dont la célébrité tient aussi au fait qu’il ait étranglé lui-même sa jeune femme partie se réfugier à Gênes et qu’il considérait comme traître à sa patrie. La pièce ne fut jamais jouée : on dit qu’elle n’était pas écrite pour cela. Dans le même genre, Gregorj écrit un roman historique autour de la figure de Pascal Paoli, accompagné de lettres inédites, resté à l’état de manuscrit.

 Affaibli par une chute et une « maladie de la moelle épinière », Gregorj part prendre les eaux à Pietrapola (Corse) ; il y décède le 27 mai 1852 à l’âge de 55 ans. Un cortège funèbre le conduit de Pietrapola à Bastia.

 La mort de cet homme énergique et de haute taille surprend ses amis. Il laisse une œuvre inachevée : à l’état de manuscrit, une Histoire du commerce de Pise, une Histoire du commerce des peuples maritimes, et surtout cette Histoire de la Corse dont la rédaction d’un tome (sur trois) est terminée ; son projet aurait été d’en publier les trois tomes en italien et en français (dans une traduction de son ami Étienne Mulsant). Il semble que ni son fils ni son frère magistrat n’entreprennent la publication de ses manuscrits, pas plus que celle des Mémoires du comte C. A. Pozzo di Borgo. Sous les compliments d’usage que lui adressent ses confrères de l’Académie, de la Société littéraire et de la Société de statistique de Marseille se lit une admiration sincère pour son sens de la répartie, ses interventions aisées, sa vivacité qualifiée à Lyon de « méridionale », sa passion pour l’histoire, ses « trésors de science, brillante intelligence, aidée d’une mémoire sans bornes » (J.-B. d’Aigueperse*, MEM 1856, p. 66‑67).

 Chevalier de la légion d’honneur le 1er mai 1843 (LH/1196/18) ; les insignes lui sont remis par Vincent Reyre*, président à la cour de Lyon.


Académie

Lorsque, par une décision du 12 mai 1841, l’Académie crée une classe d’académiciens « libres », Gregorj est inscrit sur la liste des candidats avec un rapport très favorable lu par Boullée* (13 juillet 1841, Ac. Ms279-II pièce 53) ; mais dans la séance d’élection qui suit (7 décembre 1841), il n’est pas présenté. Le 7 juin 1842, présenté, il est élu au premier tour comme académicien « libre ». Puis, selon la procédure du temps, il démissionne pour pouvoir être inscrit comme candidat titulaire sur rapport de Boullée encore (23 février 1847) ; il est élu au fauteuil 8, section 3 Lettres, le 1er juin 1847 sur rapport de Bouillier* (Ac.Ms279-II pièce 69). Il présente son discours de réception le 13 juillet en séance privée, prononcé le 20 juillet 1847, sur Les amours de Pétrarque et de Laure. Après son élection comme académicien libre, il assiste à une séance le 28 juin 1842, mais on ne le revoit plus jusqu’au 14 mai 1844. À partir de cette date, il devient assidu et actif ; il participe à de très nombreux rapports et commissions. Sur J. Graberg de Hemso (missionné le 14 mai 1844, il rapporte le 15 février 1848, après le décès de l’auteur) ; sur le prix Fulchiron consacré aux « causes locales qui nuisent à la fabrique lyonnaise... » (17 novembre 1844 ; prix donné à Kauffman, 28 janvier, 11 et 18 février 1845) ; sur le lieutenant général Delort (24 mars1846, Ac.Ms279-II, pièce 35), mais celui-ci décède peu après (7 avril 1846) ; sur la sécurité dans les chemins (31 mars 1846) ; sur l’opportunité de créer une faculté de droit à Lyon et de soutenir la demande qu’en font deux jeunes avocats lyonnais Victor Didier et Lucien Brun (31 mars 1846 ; avec Menoux*, il émet un avis favorable le 30 juin 1846) ; sur Monfalcon* (5 mai 1846) ; sur le procureur général Chaix (16 juin et 18 août 1846) ; sur le Congrès scientifique de Marseille (8 décembre 1846) ; sur les Inscriptions antiques d’A. de Boissieu* (15 décembre 1846 et 4 juillet 1848). Il envoie une lettre de remerciement après son élection comme membre titulaire (8 juin 1847). Sur le duc de Caraman (3 août 1847), sur Eichhoff* (3 et 17 août 1847), sur Tempier (30 nov. 1847), sur Albert Duboys (30 mai 1848), sur Lesson (13 juin 1848) ; sur l’arrêté ministériel du 3 avr. 1848 sur la situation des musées départementaux (13 juin 1848) ; sur A. de Boissieu, Chaix et Porchat au nom de la classe des Lettres (28 juin 1848) ; sur A. De Boissieu (4 juil. 1848) ; sur Eichhoff (5 déc.1848) ; sur Grosset (22 janvier 1849, Ms279-III f°55) ; sur Joseph Bard (30 janvier et 20 mars 1849) ; sur d’Aigueperse* (1er mai 1849) ; sur l’Histoire de l’imprimerie royale d’Auguste Bernard (7 août 1849, compte rendu assez critique, il est alors encouragé par le président à publier ses remarques dans les Mémoires de l’Académie) ; sur le chemin de fer de Paris à Avignon (sujet qu’il propose, 5 février 1850) ; sur Martin (19 février 1850). Nommé dans la commission de publication (26 février 1850) ; dans la commission chargée de réclamer à sa famille les manuscrits de l’Académie qui seraient chez Bréghot du Lut* qui vient de décéder (23 avril 1850) ; sur Morellet (9 juillet 1850) ; sur Nault (20 août 1850) ; sur l’abbé Cochet (19 nov. 1850) ; dans la commission désignée pour aider Monfalcon* (à sa demande) qui travaille sur une Monographie de la table de Claude (16 avril 1850) : Monfalcon dit l’avoir préparée « sous la direction vigilante et scrupuleuse de M. Gregorj » (RLY 9, 1854, p. 100) ; sur Bertinaria (21 mai et 26 novembre 1850) ; sur Molière (21 mai et 3 décembre 1850), sur Morin, Duboys, Nault (3 décembre 1850) ; sur Ravier (28 mai 1850) ; sur Dareste de la Chavanne* (11 juin 1850) ; de retour d’Aix-les-Bains, il communique ses observations sur les antiquités d’Aix et sa région et promet de les publier dans les Mémoires (13 août 1850) – ce qu’il n’a pas le temps de faire. Membre de la commission pour le concours sur l’éloge de Chateaubriand (19 novembre 1850), le 25 février 1851, parce qu’il est malade, il renonce à en faire le rapport et est remplacé par Bonnardet*. Nommé dans la commission des prix (29 avril 1851). Peu après, l’Académie s’inquiète de sa santé et apprend (27 mai et 8 juillet) qu’il doit quitter Lyon le 10 juillet. Malgré sa maladie, le 2 décembre 1851, il est élu président de la classe des Lettres pour 1852 – il ne pourra jamais exercer cette fonction. Après son décès, Menoux est élu une nouvelle fois président de la classe des Lettres pour le remplacer (29 juin 1852). Alphonse de Boissieu choisit comme discours de réception de faire son éloge, discours que, selon la tradition, il lit une première fois (10 août 1852) en séance privée, puis, en séance publique (14 décembre 1852) et qui est publié.

Membre de la Société littéraire de Lyon à partir de 1839, il fait partie du bureau à partir de 1841 et il est plusieurs fois président. Communications : Mémoire sur les événements politiques de la Corse depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours (18 mars et 27 mai 1840) ; Conspiration de Jean-Louis Fieschi contre la maison de Doria (8 décembre 1841) ; Rapport sur l’ « Histoire de Léon X », par A. Audin* (4 décembre 1844) ; sur « La confession d’un malheureux, ou vie de Jean-Claude Romand, forçat libéré », publiée par Éd. Servan de Sugny* (4 février 1846) ; sur les « Inscriptions antiques de Lyon », par Alphonse de Boissieu (21 mars 1849).

Membre de l’Institut des provinces françaises à partir de 1840 : au Congrès scientifique de Lyon (septembre 1841), Gregorj est élu président des séances de la 5e section (littérature, philosophie et beaux-arts), et il est rapporteur de la 4e section (archéologie et histoire) où il intervient sur divers sujets : tumuli des îles de Méditerranée (1, p. 340) ; signification symbolique de l’ascia que l’on retrouve dans les inscriptions funéraires des premiers siècles de notre ère (1, p. 348-50), influence de l’Église sur la législation barbare (1, p. 359). Il lit une longue communication sur le commerce de la ville de Pise au moyen âge au cours de deux assemblées générales (1, p. 35 et 470-471 ; l’éditeur regrette qu’une maladie grave l’ait empêché de fournir son texte pour la publication dans le tome 2). Il est délégué au Congrès scientifique de Marseille (septembre 1846) par l’Académie et par la Société littéraire ; cette fois-ci, il préside la 4e section, rapporte sur les travaux de Eugène Balbi (2, p. 118-120), intervient sur l’histoire du commerce vénitien (2, p. 84-87), sur l’origine des institutions consulaires en pays étranger (2, p. 72-75, 355), sur la langue provençale (2, p. 158-159), sur Salvien (2, p. 174-175), souligne l’influence de la science et de la langue arabe sur l’Europe médiévale (2, p. 253-254) ; il critique de manière très argumentée la communication d’Azaïs sur l’origine des familles liguriennes (2, p. 40-47).

Membre correspondant de la Société d’histoire de France, de la Société de statistique de Marseille (4 novembre 1844), de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand, d’un certain nombre d’académies italiennes, de celles de Turin, de Rome, de Milan, de Naples, de Lucques, etc.

Bibliographie

Monfalcon, Le Courrier de Lyon, 27 juin 1852. – Le Moniteur universel, 29 juil. 1852. – Le Droit, 4 septembre 1852. – Alphonse de Boissieu*, « Notice sur la vie et les travaux de Jean-Charles Grégorj », MEM L, 1853, p. 84-99. RLY 4, 1852, p. 466-478. – P.-M. Roux, « Nécrologie », Rép. des travaux de la Société de statistique de Marseille, 1854, p. 500-3. – Michaud, article de Collombet. – GDU. – NBG Hoefer, article de E. Regnard. – C. Meyer, DBF.

Iconographie

Pierre Miciol (Lyon, 1833-1905), Portrait de Jean-Charles Grégorj, in 12 (non trouvé).

Manuscrits

Ac.Ms279-II pièce 74, Rapport sur Gioi Alfonso Adinolfi, Storia della Cava. – BML Fonds F. Rude, arch. Pierre Charnier, Historique de la fabrique d’étoffes de soie.

Publications

Istoria di Corsica dell’arcidiacono Anton Pietro Filippini, 2e éd. revue, corr., ill. avec des documents inédits par G. C. Gregorj, Pisa : Niccolo Capurro, 5 t. 1827-1831, cxlvii-208 p. ; 383-clp. ; 509-CXV p. ; 402-clx p. ; 488-CXII p., impr. aux frais de C. A. Pozzo di Borgo. – Sampiero Corso, tragédie, Paris : Pihan-Delaforest, 1832. – Istoria di Corsica di Pietro Cirneo, éd. bilingue et notes par G. C. Gregorj, Paris : Pihan Delaforest, 1834, 508 p. [aux frais de C. A. Pozzo di Borgo]. – Statuti civili e criminali di Corsica, avec intr., notes et doc. inédits par Gregorj, Lione : Dumoulin, Ronet e Sibuet, 1843, 2 vol. CLIX + 276 p., 193 p., impr. aux frais et à la mémoire de C. A. Pozzo di Borgo – Coup d’œil sur l’ancienne législation de la Corse, trad. Étienne Mulsant, publ. par J.-A. Garnier-Dubourgneuf, Paris : de Fain et Thunot, 1844, 146 p. (extrait de Revue étrangère et française de législation, de jurisprudence et d’économie politique, dite Revue Foelix, 1843, p. 480-502 ; 656-683 ; 883-919 ; 986-1044). – « Causes locales qui nuisent à la fabrique de Lyon et moyens de les faire cesser... Rapport du concours ouvert à cette question », MEM S, 1845, p. 177-198. – « André Doria et Jean-Louis dei Fieschi », Arch. de la Société littéraire de Lyon, 1847, 24 p. – Casa del conte Colonna d’Istria (Ignazio Alessandro), primo presidente della corta imperiale di Bastia... e suoi discendenti, Bastia : Fabiani, 1860, VI + 234 p. (extrait de Istoria di Corsica [...] Filippini, t. 2).