Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

BERGIRON Nicolas (1690-1768).

par Philippe Lebreton.

  Ce que l’on sait de Nicolas Bergiron résulte pour l’essentiel de l’intérêt porté par un autre académicien lyonnais tout aussi mélomane, Léon Vallas*, qui l’a découvert dès 1906 dans les archives de notre compagnie, puis l’a tiré de l’oubli par un concert donné à Lyon en 1909, avant de l’évoquer dans son discours de réception du 8 février 1949. Entretemps il est vrai, quelques lignes fournies par Léon Vallas « parurent dans l’édition française du dictionnaire de Riemann en 1913 et 1931 », et ce « petit résumé bibliographique [fut] traduit en diverses langues ; le nom de Bergiron se trouve aujourd’hui dans les dictionnaires spéciaux de tous pays » (Vallas, MEM, 1949). Il est ainsi évoqué dans le Dictionnaire de Musique, 2e éd. française, Georges Humbert dir., Paris : Perrin, 1913 : « Bergiron du Fort-Michon ou de Briou, Nicolas-Antoine, né à Lyon en 1690, mort dans la même ville en 1768. Avocat, il fonda à Lyon en 1713, sous le nom d’Académie des Beaux-Arts, une société chorale et symphonique qui, pendant soixante années, donna, chaque semaine, des concerts. Bergiron en fut le fondateur, le premier chef d’orchestre et en resta un des directeurs ; il écrivit pour cette société de nombreux motets et quelques œuvres de circonstance dont une partie est conservée dans la bibliothèque de la Ville de Lyon. II fut aussi co-directeur et chef d’orchestre de l’Opéra lyonnais en 1739 ». Mais la vraie « résurrection » est plus récente, lorsqu’un manuscrit de 26 pages dactylographiées du discours de réception de Léon Vallas fut retrouvé à l’automne 2012 par Philippe Lebreton dans le fonds Vallas de la BML. L’impétrant avait choisi un titre plutôt énigmatique : Mon ami Bergiron.

  Vallas tente d’abord d’éclairer le patronyme de Bergiron, « dont la partie précédée d’une particule sonne de façon un peu drôle, Nicolas-Antoine Bergiron de Fort-Michon, membre oublié de notre Académie, mais Lyonnais digne de mémoire. De quelle souche sortait-il ? Qu’était ce titre du Fort-Michon. Les Bergiron étaient de bons bourgeois lyonnais et beaujolais qui, comme tant d’autres, avaient reçu un titre de petite noblesse ou s’étaient ennoblis eux-mêmesLe père de mon ami Bergiron était, à Lyon, avocat au parlement de Paris. Habitant la rue Vieille-Monnaie, vis-à-vis de la Croix-Paquet, très original, il passait pour un peu fou. L’exploitation viticole lui fournissait matière à d’interminables procès, dont il consignait les moindres détails en des registres multicolores ». Né le 12 décembre 1690 au quartier des Feuillants, baptisé le 13, paroisse de Saint-Pierre Saint-Saturnin, Nicolas Antoine Bergiron est en effet le fils d’Antoine Bergiron (Lyon 1653-1731), avocat au parlement de Paris, gentilhomme de la vénerie du roi, et de Renée François (Paris 1663-Lyon 1717). Parrain : Nicolas Bergiron, bourgeois de Lyon, son grand-père (Saint-Lager 1609-Saint-Nizier 1697) ; marraine Anne Desbrosses (décédée en 1694), grand-tante de l’enfant, femme de noble Léonard Bathéon (1628-1712) ancien échevin.

  Nicolas, seigneur de Fort-Michon (paroisse de Saint-Lager en Beaujolais, où se trouve d’ailleurs un lieudit Bergiron) et des Beyoux (ou Briou ou Brioux), avocat en parlement, épouse le 7 avril 1722 à Lyon, paroisse de Notre-Dame-de-la-Platière, sa parente aux 3e et 4e degrés Jeanne de Thibault de Pierreux, née paroisse Saint-Pierre-le-Vieux le 7 mai 1698, fille de François Bénigne de Thibault, chevalier, seigneur de Pierreux (fief sis à Odenas) et de la Ferratière (Les Ferratières, paroisse de Charnay), et de Lucrèce Palleron. Un contrat de mariage a été signé le 26 mars chez Me Guyot, notaire à Lyon. Jeanne meurt l’année même. En secondes noces, le 19 avril 1754, il épouse Françoise Courtois, fille de François Courtois, négociant à Lyon, et de Madeleine Didier. Il était le cousin au 2e et au 3e degré de l’académicien Antoine de Lacroix-Laval*, petit-fils de Françoise Bergiron (1648-1728) tante de Nicolas, et de Léonard Boussin dit de La Croix (1644-1702). Bourgeois lyonnais, les Bergiron n’ont jamais renié pour autant leurs racines beaujolaises. On retrouvera cet attachement au terroir chez le fils comme chez le père : « le premier, tout en faisant de la musique, n’oubliait pas ses vignobles de Morgon, de Saint-Lager ou des Fournichons ».

  L’enfance et l’adolescence de Nicolas Bergiron sont évoquées dans quelques lignes tracées le 1er janvier 1705 (il avait donc environ 15 ans) par son père Antoine : « Mon fils a le même caractère [que moi] et, par-dessus cela, il me surpasse memoria facili et tenaci. Il y a un an qu’il apprit cent vers latins d’Ovide en une heure ; tous les jours il apprend dix à douze cartes écrites de ma main sur toutes sortes de littérature, où j’espère le rendre universel et le plus distingué de tous ses parents, amis et compatriotes. Dieu le conserve et à la fin lui donne le Ciel ! ». Sorti de l’adolescence, « le jeune Bergiron devait manifester son intelligence, mais non un caractère acerbe. Après ces fortes études, il étudia le droit en même temps que l’art musical ». Mais bientôt son père déplora chez lui « un fatal et violent entêtement de la musique, qui le détournait un peu trop de ses travaux juridiques ». Un dossier des archives hospitalières de la Charité porte la trace des préoccupations de Bergiron père, désolé que le jeune étudiant ne pensât « à autre chose qu’à la musique et un peu à ses maîtresses ». Ce qui n’empêcha pas Nicolas de se rendre à Paris en 1715 pour se présenter à la licence devant l’Université et obtenir sa matricule au Parlement.

  Nicolas décède le 9 janvier 1768 à Belleville, en Beaujolais. Le registre le qualifie de « noble […], avocat en parlement, bourgeois lyonnais ». Assistent à l’inhumation, dans le tombeau de ses ancêtres dans l’église collégiale, noble Horace Merlin, avocat en parlement, juge prévôt civil et criminel de la prévôté de Belleville, et Gilbert Parnissod, bourgeois de Gex.


Académie, musique et opéra

Sa carrière musicale (et académique) débute en 1713, « lorsqu’il conçoit un bel et audacieux projet en compagnie de son ami Jean-Pierre Christin*, homme de science […]. Les deux jeunes gens, avec un optimisme que les événements allaient justifier, avaient décidé de former, à l’exemple de Paris et de Bordeaux, une académie consacrée, […] seulement à des concerts de grande musique, réalisés, pour le chant et la symphonie, par des amateurs distingués… ». La société musicale se réunit quai Saint-Clair. Plus tard, en 1725, l’Académie des beaux-arts se produira place des Cordeliers dans une Maison du Concert. « Que ne donnerions-nous pas pour écouter l’Académie des beaux-arts jouant à la réception solennelle, en l’Hôtel de ville, du Maréchal duc de Villeroy, Gouverneur et, disait Saint-Simon, véritable roi de Lyon ? Ce jour-là, 1er août 1714, la partition de circonstance avait été composée par Bergiron lui-même sur un poème dû à un autre académicien. De la partition de Bergiron il reste deux exemplaires manuscrits ; l’un, longtemps conservé par l’Académie, se trouve aujourd’hui dans la bibliothèque de la Ville ; l’autre sommeille dans ma bibliothèque personnelle ».

Et Vallas d’ajouter : « La musique de Bergiron, amateur de vingt-trois ans, est intéressante ; l’écriture, très spontanée, n’est pas toujours adroite ; des audaces harmoniques y paraissent ; elles sont certainement accidentelles, involontaires. Instrumentation simple, chœurs bien sonnants. De jolis menuets, une belle sarabande, d’aimables symphonies, mêlées d’airs tendres et d’airs guerriers, pour la suite de Bellone et les nymphes du Rhône ». Mais « en dehors du domaine artistique, qu’il exploita sans relâche avec une entraînante passion, une claire intelligence, un désintéressement absolu, ce Lyonnais rendit de nombreux services à ses concitoyens. Il était aussi Beaujolais. On le trouve en 1763il a septante-trois ansà la tête de la première association de producteurs viticoles du Beaujolais, groupe formé dans le but de se passer des services, trop coûteux, des courtiers monopoleurs. Il s’en occupa avec un soin tel que, lorsqu’il mourut en 1768, il suscita des regrets dans notre contrée tout entière. Son éloge fut prononcé par les musiciens lyonnais, bien sûr ! Par ses confrères de l’Académie, par les gens du monde, par les paysans de la province, par les commerçants en vin… ».

L’activité publiquement la plus marquante de Bergiron fut sans doute sa direction de l’opéra de Lyon, dont il avait repris le privilège en 1739, « poste difficile, dangereux entre tous ». Au soir du spectacle de réouverture, un Lyonnais répandu dans le monde local, Léonard Michon (1675-1746), nous offre quelques aperçus sur la famille Bergiron et les talents de Nicolas : « Il n’y avait plus d’Opéra depuis longtemps à cause de la mauvaise administration de ceux qui en avaient le privilège et la direction. Cinq ou six particuliers de cette ville ont entrepris de le remettre sur pied. L’un de ceux qui ont entrepris cet Opéra est le sieur Bergiron qui « comme fort en musique, en a pris en particulier la conduite de la direction », et « je n’ai pas déguisé qu’il fût mon parent (il était cousin germain de Bonne Bathéon ma mère) [épouse d’Annibal Michon et grand-mère de l’académicien Jacques Annibal Claret de la Tourette*] et je ne le renie pas encore ici quoique son fils fasse peu d’honneur à la famille par le parti qu’il a pris de directeur de l’Opéra ». Vallas précise : « Les récriminations pessimistes de Léonard Michon allaient être contredites par les événements. Son cousin Bergiron réussit fort bien dans sa délicate mission de rénovateur, et matériellement et artistiquement, et même socialement : il fit des dépenses considérables pour l’aménagement de la salle de théâtre ; il offrit à nos aïeux des spectacles brillants, tels qu’on ne se rappelait pas en avoir eu de semblables ; il réunit un bon orchestre de trente musiciens, chiffre important pour l’époque ; il groupa un personnel de plus de cent cinquante artistes ou employés. Pour s’assurer une troupe stable il demanda même à la ville d’assurer une pension viagère aux chanteurs après huit ans de service continu ».

Bergiron, en proie à des difficultés financières, malgré les subventions du Consulat, abandonne son privilège et ferme l’Opéra en août 1744, après avoir produit en 1740 Le Triomphe de l’Harmonie de François Lupien Grenet, chef d’orchestre de l’Opéra ; en novembre 1741 Les Indes galantes et en 1743 Hippolyte et Aricie de son ami Rameau, organiste à Lyon de 1713 à 1715 : en 1742 des reprises d’Atys et d’Armide de Lully.

La distinction entre les diverses activités de Nicolas Bergiron reste ici fortement « académique », dans la mesure où il fut fondateur à Lyon, avec Besson*, Christin*, Delamonce* et Moyroud*, dès 1713, de l’Académie des Beaux-Arts, qui ne fusionna formellement qu’en 1758 avec l’Académie des Sciences et Belles-Lettres, pour connaître sa forme actuelle dont Nicolas Bergiron fut donc membre à part entière dans les 10 dernières années de sa vie. Il a été directeur du concert en 1763 et 1764.

Sur les activités strictement académiques de Nicolas Bergiron, Vallas nous renseigne encore : « L’importance de Bergiron dans la vie musicale lyonnaise débordait largement notre province. Jean-Philippe Rameau, qui le connut à Lyon en 1713-1715 et peut-être l’enseigna, l’estimait assez pour souhaiter qu’il partageât sa gloire. En dehors de notre ville, on recourait au sûr jugement du chef de l’Académie des Beaux-Arts ; on sollicitait ses conseils éclairés pour le choix des maîtres de musique, dans les cathédrales et les concerts. Il en arriva peu à peu à se rendre indispensable parmi tous les milieux musicaux de notre région ».

Des divers témoignages ressort l’image d’un homme doué et original, entreprenant et actif, sociable et même doté d’un comportement public et social plutôt rare à son époque. Signalons d’ailleurs que Bergiron, depuis le décès de Christin en 1755, « avait la charge de la bibliothèque de l’Académie. Vraiment il créa cette riche librairie ; il la conserva pendant un demi-siècle, jusqu’au jour où il céda cette fonction à un autre musicien amateur, Horace Coignet ».

Bibliographie

Léon Vallas, La musique à l’Académie de Lyon au dix-huitième siècle, s.d. – Léon Vallas, « Les débuts d’une société musicale au xviiie siècle », Rev. Music. Lyon 18, 14 février 1909 ; 19, 21 février 1909 ; 20, 28 février 1909 ; 22, 14 mars 1909. – Léon Vallas, Un siècle de musique et de théâtre à Lyon. 1688-1789, Lyon : Masson, 1952. – Philippe Lebreton et Yves Ferraton, « Léon Vallas, historien, musicologue et académicien lyonnais » (conférence à l’Académie, le 21 janvier 2014), MEM 15. – Ph. Lebreton et Y. Ferraton, Une biographie de Léon Vallas (1879-1956), historien et critique musical, Lyon : Vassel, 2013, 128 p. – Gérard Corneloup DHL. – Bénédicte Hertz, « L’académie des beaux-arts au xviiie siècle : histoire d’une collection musicale et de son bibliothécaire » (conférence à l’Académie le 5 avril 2016). – B. Hertz, « À l’origine des collections Cauvin et Decroix. Bergiron de Briou du Fort-Michon, copiste de Lalande et de Rameau », Revue de musicologie, 2000, 106 (1), p. 5-44. – D. Reynaud, « Les académiciens de Lyon et le Beaujolais au XVIIIe siècle », Rhône-Histoire, Actes des journées d’études 2023, p. 50-63.

Publications et manuscrits

Sa veuve fit vendre aux enchères à son domicile la riche collection d’opéras, de motets, de cantatilles et autres morceaux de musique en mai 1768. Vallas a cependant tenté de recenser ses œuvres, dispersées dans les bibliothèques, notamment à la BML (manuscrits classés par auteur, tirés pour la plupart du fonds de l’Académie du Concert et du Palais des Arts) : – Cantates françaises à voix seule avec symphonie et sans symphonie mises en musique par M. B*** de Briou, Lyon-Paris : Thomas, Boivin, Le Clerc, 1729 ; ce recueil comprend : Les Sirènes, le Supplice de Cupidon (BML Rés. FM133642), le Songe d’Anacréon, Narcisse, le livre d’Orphée en Astre, et une ariette détachée : Bacchus et l’amour. – Impromptu divertissement en musique, pour Mgr le Maréchal duc de Villeroy, gouverneur de la Ville de Lyon, et des provinces du Lyonnais, Forets, et Beaujollais, protecteur et Chef de l’Académie des Beaux-Arts établie à Lyon. Chanté en sa présence dans la même Académie le 1er août 1714. La musique est de la composition de M. B*** du F*, académicien ordinaire, et les paroles sont de M. B**, académicien associé (Ms. autogr. BML, Rés. FM129946). – La Chasse. Divertissement. Fragments d’auteurs modernes assemblés par M. B*** D* F* M**, académiciens ordinaires. Chanté pour la première fois dans l’Académie des Beaux-Arts le Mercredy 10 février 1723. Lyon : Impr. Acad. Beaux-Arts, 20 p. – Des motets à grand chœur dont est conservé Misericordias Domini, ou sont perdus : In te Domine speravi, Jubilate Deo, Dies irae, Salvum me fac (fragments). – Des pièces de musique à grand chœur, ou leurs fragments, ont été conservées : Le retour de la paix, BML Rés. FM129948 ; Hipermnestre et Lyncée, BML Rés. FM129977 ; La Jalousie, BML Rés. FM129953 ; Thétis et Pélée, BML Rés. FM129952 ; Pentezilée, BML Rés. FM129954 ; La fête de l’amour, Ms. autogr. BML Rés. FM129972. Auraient été perdus : Aréthuse, L’apothéose d’Hercule, La Pastorale, La fête marine, Le désespoir, Les vendanges de Neuville. – Des arrangements d’Ariane, opéra de Mouret, BML Rés. FM133975 ; d’Ajax, opéra de Bertin, BML Rés. FM133597 ; du Jugement de Paris, du même auteur, BML Rés. FM129955 ; de Sémiramis, opéra de Destouches, BML Res. FM129951) ; des Caractères de la Folie, BML Rés. FM 129976 ; des Ages, de Campra, BML Rés. FM129958 ; du Carnaval et la Folie, opéra de Destouches, BML Rés. FM133616) ; d’Hippolyte et Aricie, de Rameau (Ms. Rés. FM133941).

Il a copié un grand nombre de partitions de Rameau (Dardanus, Les fêtes de l’Hymen et de l’Amour, Zaïs, Platée, etc.) ou d’autres (Michel Richard de Lalande). Les copies se trouvent à la BML ou à la BNF.

Cette notice a été révisée.