Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

GERLIER Pierre-Marie (1880-1965)

par Jean-François Duchamp, Dominique Saint-Pierre.

 Pierre Paul Marie Gerlier est né à Versailles, 14 rue de la Pompe, le 14 janvier 1880. Témoins : Casimir Foubert et Ernest Berty, tous deux commis d’entrepreneur. Prénommé Pierre, il accolera en 1929 son troisième prénom au premier et deviendra Pierre-Marie. Ses parents, mariés à Troyes le 22 septembre 1874, étaient Guillaume Eugène Gerlier (né à Paris 3e le 22 mai 1835), contrôleur des Postes et Télégraphes, et Louise Henriette Anna Fliche (Villers-Cotterêts [Aisne] 5 juin 1852-Paris 16 juin 1924), fille d’un inspecteur des Eaux et forêts, orpheline à 13 ans et élevée par un oncle, Mgr Paul Fliche, chanoine de Troyes, supérieur du grand séminaire. Il a deux frères plus âgés que lui, Paul Henri Armand (Versailles 1875-Paris 1964), directeur d’agence à la Société générale, et Henry Eugène Louis Gabriel (Versailles 1878-disparu comme passager dans le naufrage du Lux en mars 1920). Il n’a que 5 mois, lors de son départ pour Saint-Lô (Manche), et seulement 3 ans quand son père est muté le 1er septembre 1883 dans la Creuse comme directeur départemental. Les enfants restent en Normandie avec leur mère, et suivent les cours de l’école Sainte-Croix, puis ceux du collège diocésain. Le père est ensuite nommé directeur départemental du Loir-et-Cher à Blois le 1er septembre 1884, puis mis en disponibilité le 1er mai 1886. Retourné à Saint-Lô, il devient receveur principal à Tours, puis à Bordeaux le 1er février 1891, jusqu’à sa retraite en 1897. Deux ans plus tard, toute la famille le rejoint, et Pierre-Marie Gerlier achève sa scolarité au lycée de Bordeaux. Il commence à écrire ses premiers discours en classe de rhétorique et de philosophie, « plaçant de nobles paroles dans la bouche de grands personnages » (Antoine Prost, L’Enseignement en France de 1800 à 1967). Il entre à la faculté de droit de Bordeaux. Avocat stagiaire de Jean Lavollée, à Paris en 1900, puis de Paul Regray et enfin de Jean Labbé, il est lauréat de la conférence du stage en 1904, puis secrétaire en 1905, proposant aux discours du stage de « déterminer si le bénéfice de la grâce accordée à un condamné lui reste définitivement acquise », allusion à l’affaire Dreyfus. Il est inscrit au grand tableau en 1906. Le 25 avril 1907, il soutient sa thèse de doctorat à l’université de Paris, Des stipulations usuraires dans le contrat de travail (Paris : V. Giard et E. Brière, 1907, 221 p.). Il défend bénévolement des syndicalistes.

 À partir de 1900, il milite au sein des étudiants catholiques ; il intègre la Conférence Olivaint, du nom d’un jésuite fusillé par les Communards le 26 mai 1871, qu’il préside en février 1906. Il est membre de l’Action Catholique de la Jeunesse Française (ACJF) et en devient le président de 1909 à 1913 ; dans ce poste, il succède à deux avocats, Henri Bazire et Jean Lerolle. Avec comme slogan les mots d’H. Bazire « Sociaux parce que catholiques », cette organisation applique les principes de l’action sociale définis dans l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII, publiée le 15 mai 1891. À l’époque, Rome encourage la résistance à la loi de séparation et à la naissance des associations cultuelles, condamne le Sillon de Marc Sangnier (1910), puis l’Action Française (1926). Pierre-Marie Gerlier, œuvrant avec diplomatie au sein de l’ACJF, essaie de concilier la suspicion de Rome et sa fidélité au pape, tout en défendant l’Église de France menacée. Il souligne l’importance de la pratique de la vie spirituelle, assiste à la messe et communie chaque matin. Il continue l’œuvre de ses prédécesseurs et les progrès sont considérables puisque, en 1913, l’association fédère 86 départements et 3 000 groupes comptant 140 000 membres, contre une centaine en 1898. À cette époque, il doit faire face à une sorte de crise moderniste de l’association et, pour cela, se rend à Rome pour rencontrer Mgr Eugenio Pacelli, le futur Pie XII. Il y organise un pèlerinage, mais ne peut obtenir une audience particulière de la délégation avec le Saint-Père. Il arrive cependant à remettre le drapeau de l’association à Souriac, son successeur, en présence du pape. Après un passage à Lourdes en compagnie de sa mère, le 8 décembre 1913, « pour placer sa nouvelle vie sous le signe de Marie », il entre au séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux le 23 février 1914. Il est alors obligé de démissionner du barreau, en vertu de la jurisprudence Lacordaire du conseil de l’ordre du barreau de Paris. Plusieurs des militants de l’ACJF font le même choix d’entrer dans les ordres, comme Achille Liénard ou Maurice Feltin, futurs cardinaux.

 En août 1914, Pierre-Marie Gerlier quitte le séminaire pour rejoindre le 104e régiment d’infanterie avec le grade d’adjudant. Blessé au pied droit par un éclat d’obus à la bataille de la Marne le 16 septembre, il est fait prisonnier, soigné dans un hôpital tenu par des religieuses et envoyé au camp de prisonniers de Tauberbischofsheim (Bade-Wurtemberg), puis à Zerbst (Saxe-Anhalt), et enfin à Celles (Basse-Saxe). Libéré le 23 septembre 1917 dans le cadre d’un échange de prisonniers, avec un statut d’interné en Suisse, il poursuit ses études à la faculté de théologie de Fribourg.

 Démobilisé le 1  mars 1919, il franchit progressivement les différentes étapes vers la prêtrise, et il est ordonné prêtre à Paris le 29 juin 1921, à 41 ans. À la surprise de ses confrères, le cardinal Dubois le nomme le 16 juillet sous-directeur des œuvres diocésaines, puis directeur le 29 décembre 1923 et chanoine honoraire (novembre 1923). Là, il fait preuve d’ouverture, prônant notamment le syndicalisme social. Ses talents d’orateur sont vite utilisés dans des manifestations catholiques. Dans ce contexte, il accompagne la naissance de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) et facilite en 1927 sa prise en charge par l’Église. Sans avoir été ni vicaire, ni prêtre en paroisse, le 14 mai 1929, il est nommé évêque de Tarbes et Lourdes, et consacré à Notre-Dame de Paris le 2 juillet 1929 par le cardinal Dubois ; l’ACJF lui offre sa crosse épiscopale. Il prend pour devise Ad Jesum per Mariam, que l’on retrouve sur son papier à lettres et sur une de ses médailles. Il fait partie des évêques nommés par Pie XI pour renouveler la classe épiscopale et en finir avec l’influence de l’Action Française. Cette « génération Pie XI » demeure méfiante à l’égard de tout engagement politique ; comme l’avait conseillé Léon XIII, elle reconnaît le pouvoir en place, mais ne se mêle pas de politique. Intronisé à Tarbes le 8 juillet, il reçoit le pallium le 18. Devenu « gardien du sanctuaire où le monde entier vient implorer la Vierge Immaculée », il met au premier plan les vocations, et organise à Lourdes, en 1935, le XIe congrès de recrutement sacerdotal. Les congrès de tous ordres se succèdent dans ce lieu de pèlerinage, donnant à Mgr Gerlier un rayonnement national, dû aussi à ses talents oratoires et à son charisme.

 Nommé archevêque de Lyon et primat des Gaules le 4 août (ou 30 juillet ?) 1937, il succède au cardinal Maurin, proche de l’Action Française, décédé le 16 novembre 1936. Il est intronisé le 28 octobre. Son arrivée est signe de rupture des liens avec l’extrême droite. Préconisé cardinal le 13 décembre, il reçoit le chapeau le 16 avec le titre cardinalice de la Très-Sainte-Trinité-des-Monts. Le 31 janvier 1938, il est élu président de l’Association des secrétaires et anciens secrétaires de la conférence des avocats à la cour d’appel de Paris.

 Après la défaite de 1940, Gerlier accepte officiellement l’armistice le 28 juin. Une partie des cadres de l’Église se réfugie à Lyon, ce qui renforce l’importance de l’archevêché. Gerlier est alors le seul cardinal en zone libre ; primat des Gaules, il est l’interlocuteur privilégié du nouveau gouvernement. Le 10 juillet 1940, il est à Vichy, avec le cardinal Suhard (Paris), pour évoquer les dossiers concernant l’Église ; le gouvernement se montre particulièrement favorable aux demandes des évêques, notamment en ce qui concerne l’enseignement et les congrégations. Comme l’ensemble de l’épiscopat, le cardinal Gerlier soutient la politique de Révolution nationale. À propos de « Travail, famille, patrie », il affirme « Ces trois mots sont les nôtres ». Le maréchal Pétain auquel, comme la plupart des anciens combattants de la Grande Guerre, il est acquis – au nom de l’obéissance aux autorités en place, il le restera jusqu’à la Libération –, se rend le 18 novembre 1940 à Lyon, où il est accueilli avec enthousiasme. Le primat des Gaules le reçoit solennellement dans sa cathédrale le 20 novembre avec ce discours où se trouve la célèbre phrase que l’Histoire lui reproche : « Hier, pendant que défilaient là-bas, place Bellecour, sous nos yeux embués de larmes, ces troupes superbes et ces drapeaux que le malheur, loin d’abolir leur gloire, nous a rendus deux fois sacrés, avez-vous remarqué, Monsieur le Maréchal, que les appels vibrants de la foule, d’abord multiples, se sont fondus bientôt en deux seuls cris : Vive Pétain !, Vive la France : Deux cris ? Mais non : ils n’en font plus qu’un seul. Car Pétain c’est la France ; et la France, aujourd’hui, c’est Pétain ! Pour relever la patrie blessée, toute la France, Monsieur le Maréchal, est derrière vous ! ». Sous la forme d’une affirmation plus éternelle puisque le mot « aujourd’hui » est supprimé, la trop fameuse phrase est reprise pour conclure l’hymne Maréchal nous voilà !, composé par André Montagnard et Charles Courtioux. Gerlier maintient cette adhésion au pouvoir qu’il considère comme légitime, sans s’interroger sur les principes qui l’animent. Sa position s’explique par ce qu’il juge être l’intérêt de l’Église. Il rêve d’une Union latine, d’essence catholique, regroupant la France de Pétain, l’Espagne de Franco et le Portugal de Salazar. Il se rend en Espagne du 12 au 14 juin 1941 pour inaugurer Saint-Louis-des-Français ; il salue l’accord passé entre le Vatican et l’Espagne, et chante les louanges de Franco, « un chef magnifique ». Cependant, à l’égard de Vichy, il s’en tient à la doctrine du « loyalisme sans inféodation ». Avec l’épiscopat français, il refuse que les prêtres anciens combattants aient des responsabilités dans la Légion française des combattants, que les mouvements catholiques de jeunesse soient incorporés dans un mouvement de jeunesse unique ; pour le STO [Service du travail obligatoire], il demande que des aumôniers accompagnent les partants puis, après avoir hésité, il finira par dire qu’il ne s’agit pas d’un devoir de conscience et il proteste lorsque le STO est étendu aux femmes le 1er février 1944. À plusieurs reprises, il fait entendre sa propre voix. Alerté par l’abbé Glasberg et la CIMADE [Comité inter-mouvements auprès des évacués], en décembre 1940, l’ancien avocat proteste auprès de Vichy, au nom de la dignité humaine, contre les conditions matérielles épouvantables dans lesquelles vivent les internés juifs du camp de Lurs. Il accepte la présidence d’honneur du Comité d’aide aux réfugiés (C.A.R.) et y nomme comme son délégué l’abbé Alexandre Glasberg, très tôt engagé dans la résistance civile qui multiplie des centres d’accueil pour réfugiés en zone libre. Il ne réagit pas très vite devant les lois anti-juives, notamment celles du 3 octobre 1940 et celle du 2 juin 1941 ; mais sous l’influence du pasteur Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France, lors du passage à Lyon du maréchal Pétain pour l’inauguration de la Foire de Lyon (septembre 1941), il lui glisse une note manuscrite afin de protester contre le statut des juifs ; cette missive privée n’a aucun écho et aucun résultat. Si ce n’est que l’ambassadeur allemand Otto Abetz a vent de la chose et le qualifie de « primat de De Gaulle ». Au même moment, à Lyon, sous la présidence d’honneur du cardinal Gerlier et du pasteur Boegner, se constitue l’Amitié chrétienne, association animée par des hommes conscients des atrocités de la politique nazie, des catholiques comme le père Chaillet et l’abbé Glasberg, et des protestants comme le pasteur Roland de Pury, pour venir en aide par tous les moyens possibles aux juifs, leur trouver des hébergements, les faire sortir des camps, les aider à se cacher, les conduire hors de France. Le but officiel est de « soulager les misères de la guerre ». La présidence d’honneur n’est pas un vain titre. À plusieurs reprises, la protection du cardinal Gerlier se révèle utile et efficace. Sensible au drame que vivent les juifs, le 21 janvier 1942, il adresse une lettre publique au grand rabbin de France, Isaïe Schwartz, pour manifester son émotion devant les déportations et le camp de Drancy. Le 17 août 1942, il accueille le rabbin Joseph Kaplan à Lyon ; celui-ci essaye de le convaincre du sort qui attend les déportés et lui demande d’intervenir personnellement; Gerlier promet d’aller à Vichy plus tard et se contente d’écrire le 19 août au maréchal Pétain pour demander que « soient épargnées, s’il est possible » aux juifs de zone libre « les souffrances qui en accablent déjà un si grand nombre ». Il n’est guère entendu, car le gouvernement s’est engagé à livrer aux Allemands des « juifs apatrides » de la zone sud. Vichy projette dès le 18 août la rafle qui, le 26 août, aboutit à l’internement à Vénissieux de 1 067 juifs ; d’autres arrivent encore le 27 et le 28 août. Des membres de différentes associations, dont l’Amitié chrétienne, se battent pour sortir de ce camp des adultes en affirmant qu’ils ne correspondent pas aux critères d’internement, et surtout 108 enfants que réclame le lendemain le préfet pour obéir aux ordres de Vichy de déporter aussi les enfants. Le cardinal Gerlier ouvre les portes de nombreux couvents, séminaires, écoles, familles catholiques aux pourchassés. Il autorise la levée de la clôture des monastères et permet aux religieuses d’accueillir des réfugiés de sexe masculin. Le 30 août 1942, il écrit au chef de l’État pour rappeler « les droits essentiels de tout être humain et les règles fondamentales de la charité ». Le 6 septembre suivant, il fait lire dans les 600 églises du diocèse une déclaration dans laquelle il condamne les « mesures de déportation », prône le respect des droits de tout être humain, du caractère sacré des liens familiaux, du droit d’asile, de la charité chrétienne, et parle de « l’impérieux et pénible devoir d’élever la protestation de nos consciences » ; il insiste : « les droits de l’État ont des limites » et fait appel au gouvernement de Vichy pour que cessent les mesures contraires à la charité chrétienne. Il s’attire ainsi le courroux des collaborateurs et Le pilori du 18 octobre le traite de « talmudiste délirant, traître à son pays, à sa foi, à sa race ». Plusieurs autres évêques avant lui et après lui en font autant, mais d’autres se taisent. Laval comprend qu’il doit ralentir les arrestations. De manière générale, le cardinal Gerlier couvre de son autorité les actions des membres de l’Amitié chrétienne, tient tête au préfet Angeli, et plus tard, arrive grâce à son autorité à faire sortir de prison certains responsables accusés de cacher des juifs. De même, il protège les auteurs de résistance spirituelle comme le père Chaillet, fondateur des Cahiers du Témoignage chrétien, qui s’engage très tôt dans une critique du nazisme. Lorsque le père Chaillet, trop compromis, doit entrer dans la clandestinité, Gerlier demande à Pierre Garraud* d’assumer la direction de l’Amitié chrétienne. Il n’empêche pas son secrétaire Mgr Maury d’être en contact avec la Résistance. Il refuse de livrer aux Allemands Mgr Joseph-Jean Heintz, évêque de Metz réfugié à Lyon. On peut noter qu’une fois la zone sud occupée, il ne se rend plus à Vichy ; il pense sans doute que le pouvoir ne réside plus là. La protection apportée aux juifs persécutés lui vaudra d’être nommé le 15 juillet 1980 « juste parmi les nations » et d’avoir son nom inscrit au mémorial Yad Vashem. Mais il demeure fidèle au pouvoir établi et, pour lui, l’essentiel réside dans sa mission pastorale. De manière générale, il intervient pour soutenir des chrétiens engagés dans l’aide charitable, mais il refuse tout emploi de la force et toute lutte strictement politique. Il n’accepte pas de patronner la création de la milice lyonnaise en février 1943 et de lui nommer un aumônier. Les catholiques résistants lui reprocheront de s’être opposé à la participation de prêtres, même comme simples aumôniers, à la Résistance. Lors de l’exécution par la Résistance le 28 juin 1944 du pro-hitlérien Philippe Henriot, Suhard préside à Paris les funérailles. Gerlier se contente d’assister à la cérémonie lyonnaise et quitte la primatiale avant l’absoute, réprouvant autant les actes de la Résistance que les dérives d’Henriot. Les résistants catholiques Gilbert Dru et Francis Chirat sont assassinés place Bellecour le 27 juillet 1944. Le cardinal refuse de se déplacer ou d’assister aux funérailles, refusant de cautionner la Résistance, conformément aux déclarations des évêques de France du 17 février 1944 qui condamnaient « les appels à la violence et les actes de terrorisme, qui déchirent aujourd’hui le pays, provoquent l’assassinat des personnes et le pillage des demeures ». Il leur rendra hommage seulement le 2 septembre alors que Lyon venait d’être libéré. Toujours légaliste, il se rallie au Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Après les massacres de Saint-Genis-Laval du 30 août 1944, il intervient vigoureusement auprès du chef de la Gestapo et obtient dans les derniers jours de l’occupation de Lyon la libération de 800 otages détenus à Montluc.

 Le 24 juillet 1944, Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire, propose à Rome d’écarter 21 évêques et les cardinaux Suhard, Liénart et Gerlier. Ce dernier échappera à l’épuration, grâce notamment au nouveau nonce en France, Mgr Roncalli (futur Jean XXIII) qui ne fera accepter que trois remplacements : les évêques François-Louis Auvity (Mende), Florent du Bois de la Villerabel (Aix-en-Provence) et Henri-Édouard Dutoit (Arras).

 Après la guerre Gerlier, toujours soucieux de politique pastorale, intelligemment, s’appuie sur des catholiques résistants et dynamiques comme l’équipe d’Esprit, celle de la Chronique sociale, et il poursuit les actes d’ouverture commencés en 1937. Il soutient les théologiens lyonnais, notamment des jésuites de Fourvière et les dominicains ; il laisse le père de Lubac (1896-1991), pourtant interdit d’enseignement au scolasticat jésuite de Fourvière, poursuivre ses travaux et son enseignement aux Facultés catholiques. Il encourage les innovations paroissiales de l’abbé Laurent Remillieux (1882-1949) à Notre-Dame-de-Saint-Alban, la rénovation catéchétique de l’abbé Joseph Colomb (1902-1979), la création de la communauté de Taizé par le suisse Roger Schutz (1915-2005), celle en 1954 du centre Unité chrétienne destiné à poursuivre l’action œcuménique de l’abbé Paul Couturier (1881-1953) et l’orientation missionnaire de l’abbé Jules Monchanin (1895-1957). Il intervient à Rome en faveur du Conseil œcuménique des Églises, ainsi qu’en faveur des prêtres-ouvriers qui incarnent une nouvelle méthode pastorale, soutenu par Mgr Alfred Ancel (1898-1984), devenu son coadjuteur le 17 février 1947, mais en vain.

 Il organise, en accord avec l’archevêque de Grenoble et le Saint-Siège, le rattachement au diocèse de Lyon des paroisses des cités proches de l’agglomération lyonnaise (Villeurbanne, Bron, Vaulx-en Velin, Vénissieux, Saint-Fons).

 En 1953, il joue un rôle important, quoique discuté, dans l’affaire des enfants Finaly, qui oppose la communauté juive aux autorités catholiques. Lors de la guerre d’Algérie, des groupes de droite le critiquent pour avoir soutenu les prêtres favorables aux nationalistes algériens et dénoncé la torture.

 Ses relations avec le maire de Lyon, Édouard Herriot*, lettré talentueux comme lui, mais non croyant, ont fait la joie des chroniqueurs. Leurs relations ont été empreintes de dignité et d’une certaine complicité. Entre ce maire radical et anticlérical et ce cardinal existe un respect réciproque de deux intelligences qui servent l’une l’État, l’autre l’Église. Lorsque Herriot est chassé de la mairie par le gouvernement de Vichy, le cardinal Gerlier est le seul à lui rendre une visite protocolaire, montrant ainsi son estime pour celui qui avait rendu hommage à Pie XI à sa mort. Lors de l’inauguration de la Foire de Lyon, on fait remarquer à Herriot qu’il avait oublié de saluer le cardinal. Il aurait eu cette phrase rappelant l’accueil du maréchal Pétain à la cathédrale en 1940 : « Ho, j’ai oublié de saluer le cardinal, mais il est ici comme chez lui, car Lyon c’est Gerlier et Gerlier c’est Lyon ! ». Le cardinal, en terminant son discours avec un sourire, aurait répondu : « Car comme chacun sait à Lyon, la Foire c’est Herriot et Herriot… c’est la foire ». Le 25 mars 1957, Gerlier est appelé au chevet d’Édouard Herriot à l’hôpital Sainte-Eugénie à Saint-Genis-Laval et lui donne la confession. Malgré la confirmation de la femme d’Herriot qui assiste à l’entrevue, les tenants de la laïcité ne croiront jamais à cette conversion subite, et prétendront que Gerlier l’a extorqué. Certains catholiques protesteront également contre ce qu’ils considéreront comme une récupération. Toujours est-il qu’une cérémonie religieuse se tient le 28 mars, non pas à la primatiale Saint-Jean comme l’aurait souhaité le cardinal, mais à la chapelle de l’hôpital Sainte-Eugénie, suivie deux jours plus tard des obsèques nationales laïques place Bellecour. Le 11 octobre 1962, s’ouvre le Concile Vatican II. Très âgé, mais l’esprit encore vif, le cardinal Gerlier y participe, comprenant les évolutions nécessaires de l’Église, qu’il a accepté d’accompagner dans son diocèse lyonnais particulièrement innovant. Il n’en verra pas la fin puisqu’il meurt à Lyon le 17 janvier 1965. Dans un grand moment d’émotion, il a été inhumé à la primatiale Saint-Jean, après une messe pontificale célébrée par Mgr Richaud, archevêque de Bordeaux, en présence de Mgr Lefebvre et du nonce apostolique. Son coadjuteur Mgr Villot, futur secrétaire d’État à Rome, lui succède.

 Médaille militaire, Croix de guerre, officier de la Légion d’honneur.

 La commune d’Agon (Manche), où il passait ses vacances depuis que son père y avait acheté une résidence secondaire en 1882, a donné le nom de place Cardinal-Gerlier à la place de l’église. Lyon lui a attribué le 24 janvier 1966 une rue du Cardinal Pierre-Marie Gerlier, dans le 5e. Une plaque commémorative de sa naissance est apposée 14 rue Carnot à Versailles. Son nom est inscrit dans l’allée des Justes à Paris et à Jérusalem.


Académie

Membre titulaire élu le 12 mai 1940, fauteuil 1, section 3 Lettres. Le doyen Auguste Rivet* le reçoit le 5 novembre 1940 : Allocation de bienvenue à son éminence le cardinal Pierre Gerlier (Lyon : A. Rey, 1941). Il a donné plusieurs communications : 22 janvier 1952, Hommage à Louis Mercier [1870-1951, écrivain porté sur les sujets religieux], membre associé, poète ; 12 février 1952, Hommage au Roi Georges VI ; 20 janvier 1953, Impressions d’un voyage à Rome.Président en alternance en 1951-1952 avec Louis Jung*.

Bibliographie

DMR. – T. de Morembert, DBF. – Dossier Yad Vashem, n° 1769. – Jean Barbier, Le Cardinal Gerlier, Roanne : Horvath, 1987, 151 p., portraits. – Bernard Berthod* et Régis Ladous, Cardinal Gerlier, Lyon : Lugd, 1995, 96 p. – Stéphanie Iannone et Philippe Brunet-Lecomte, Treize Lyonnais célèbre racontés par Henri Hours*, Lyon : Mag’ Editions, 1997, p. 198-221, portrait (dessiné par Isabelle Trichelieu). – Jean-Louis Clément, Les évêques au temps de Vichy, Beauchesne, 1999, 279 p. – Olivier Georges, Pierre-Marie Gerlier, le cardinal militant (issu d’une thèse d’histoire : Pierre-Marie Gerlier, 1880-1965, itinéraire d’un laïc, d’un prêtre puis d’un évêque, catholique intégral au xxe siècle, univ. Jean-Moulin Lyon-3, Jean-Dominique Durand dir., 2003), Paris : Desclée de Brouwer, 2014, 474 p. – Jubilé sacerdotal de Son Eminence le Cardinal Gerlier. 1921-1946, 29 et 30 juin 1946, Lyon, 16 p. – Olivier Georges, « Un discours controversé : la réception du Maréchal Pétain à Lyon par le Cardinal Pierre-Marie Gerlier, le 20 novembre 1940 », Chrétiens et sociétés 10, 2003, p. 133-149.

Iconographie

Son effigie figure sur deux médailles qui lui ont été offertes. La première, par Louis Croizier, pour son jubilé sacerdotal en 1946, rappelle qu’il fut évêque de Lourdes et porte sa devise : AD IESUM PER MARIAM ; la seconde, par Louis Rousselon*, éditée par le barreau de Lyon, célèbre le cinquantième anniversaire de son inscription au barreau de Paris ; au revers, une représentation de saint Yves.

Publications

Une liste exhaustive de ses œuvres se trouve dans l’ouvrage très documenté d’Olivier Georges (p. 428). Discours, lettres pastorales et d’innombrables préfaces.Mgr Maisonobe, Lyon : Lescuyer, 1955, 40 p.