Barthélémi Clair Tisseur est né le 28 janvier 1827 à Lyon, 34 rue Grenette. Témoins : Jean François Cogordan, négociant, 10 rue des Trois Carreaux, et Claude Burdet, ferronnier, 14 rue Basse-Grenette. Curieusement – ce qui montre sa future notoriété –, l’acte de naissance porte en marge : « Il devint auteur de livres sous le nom de Puitspelu ». Son père Jean Marie Louis Tisseur (Lyon 25 avril 1782-1857) est marchand rouennier, sa mère est Françoise Durafor (Lyon 9 mai 1786-1868) ; ils ont six fils, dont deux sont morts en bas âge, les autres étant Barthélémy (1812-1843), Jean* (1814-1883), Alexandre et Clair. Le grand-père, Barthélémy II, également négociant et aussi caissier à la compagnie du pont Morand, est marié à Pierrette Guinand ; son arrière-grand-père est Benoît, passementier à Lyon, époux d’une demoiselle Pelissier dont il eut treize enfants, et dont le père était Barthélémy I (1684-1762), laboureur au village de Pollionnay, marié en 1707 à Benoîte Poizat (1682-1758).
De santé fragile, Clair est envoyé en nourrice à Saint-Laurent-d’Agny (Rhône) où il est confronté au patois régional ; ses premières études sont brèves et chaotiques pour raison de santé ; ses parents lui enseignent lecture, écriture, calcul. L’été se passe à Sainte-Foy-lès-Lyon dans le domaine de Bellevue, propriété de son grand-père maternel, Pierre Aymé Durafor – en 1830, on y a découvert un couple de gisants de la seconde moitié du xvie siècle signé par l’artiste romain Pauli Olivieri Romani (photographié par Lucien Bégule* : communication à l’Académie, 23 avril 1907) ; vendu au début du xxe à un Américain il a été retrouvé au début des années 2000 au Cloisters Museum de New-York – ; Clair y dévore en toute liberté tous les livres de la bibliothèque (« dans un lycée ou un pensionnat, il fût mort », Oisivetés). À 14 ans il est envoyé chez un satinaire, puis un veloutier, enfin chez un canut pour apprendre le métier. Cette même année, il publie un premier article dans le journal Le Réparateur. Mais rien ne marche et son père aurait dit : « puisque tu es si bête, je vais te faire architecte ». À 17 ans, il est élève de l’école des beaux-arts où il va apprendre l’architecture dans les ateliers de Bossan, puis d’Antoine Chenavard* en 1845 : il devient l’un des meilleurs élèves !
Tisseur rencontre Joseph Pagnon et un groupe d’amis qui seront séduits par le prêche du Père Lacordaire au début de 1845, et c’est, aidés des conseils du prédicateur, qu’ils créent un tiers-ordre dominicain, « la Fraternité » ; en avril, Clair est admis dans la secrète Congrégation des Messieurs. La révolution de 1848, lui inspira un réel dégoût, car, s’il était profondément libéral, il était aussi homme d’ordre : sans ordre il ne peut y avoir de liberté ; il écrit dans divers journaux aussi vite disparus que nés. Le coup d’État de 1851 le ramène, par force, à une vie moins militante : il revient à l’architecture dans les ateliers de Savoye et Louvier, puis dans les services de la ville.
Le 18 avril 1855 à Lyon 3e, Clair épouse Marie Ernestine Victoire Bonnardel (Chabeuil [Drôme], 25 décembre 1823-Lyon 2e 21 décembre 1871) fille de Joseph Antoine Bonnardel et de Marie Mélanie Lucie Martin ; ils ont une fille Françoise Marguerite, née le 2 août 1860, mais décédée l’année suivante.
Après une grave maladie, il s’établit comme architecte libéral en 1858 : on lui devra d’abord un certain nombre d’églises auxquelles il apportait une touche personnelle tout en respectant la forme traditionnelle : le Bon-Pasteur (avec l’aide de Gaspard André*) et Sainte-Blandine à Lyon, églises de Tassin, Brignais, Saint-Laurent-d’Agny, Orliénas, Chabeuil (Drôme), Saint-Ferréol-d’Auroure (Haute-Loire). On lui doit aussi quelques maisons et immeubles, dans la Loire comme à Lyon, ainsi que l’hôtel de la compagnie des forges de Bessège et Terrenoire, 2 rue d’Enghien (act. mairie du 2e arrondissement).
Lorsqu’en 1859 est créé le journal Le Progrès par ses amis Eugène Beyssac et Frédéric Morin, avec Jean-Baptiste Béraud et François Chanoine, Tisseur est repris par le démon de l’écriture. Mais il doit attendre 1869, pour qu’une relative liberté de la presse lui permette de donner libre cours à ses talents de polémiste fougueux dans Le Progrès, Le journal de Lyon ou Le Salut Public (une sélection de ces articles paraîtra en 1881 sous le titre Lettres à Valère). La guerre de 1870 avec la défaite finale, puis la révolte dite Commune de Paris en 1871, libèrent son exaspération et le détachent de ses anciens amis républicains : « La République serait assurée en France, s’il n’y avait pas les républicains ». Seul désormais, sa femme étant morte en 1871, âgée de 47 ans – leur domicile étant alors 10 rue de la Reine –, sans plus guère d’amis, il abandonne peu à peu la politique (1874). En 1877, il cède son cabinet d’architecte à son élève et associé Joseph Étienne Malaval. Malade de façon chronique, il se retire dans la maison qu’il s’était fait construire à Nyons, isolée dans un beau jardin sur la colline. Il reste en relation avec Claudius Prost, figure marquante de la Petite Église de Lyon, et avec ses fidèles amis, G. André, A. Stork et autres qui seront les futurs académiciens du Gourguillon.
Il meurt le 30 septembre 1895 et sera inhumé dans la tombe familiale de Sainte-Foy-lès-Lyon.
C’est alors que naît Nizier du Puitspelu, auteur des Vieilleries lyonnaises et du Testament d’un Lyonnais en 1879. Les ouvrages les plus importants de Tisseur portent la signature de Nizier du Puitspelu, à commencer par le plus populaire de tous, le Littré de la Grand’Côte. Comme ses frères, Clair écrit de nombreux poèmes qu’il publie pour ses amis en un petit tirage (Pauca Paucis 1889), mais il se laissera convaincre de publier une seconde édition plus complète et plus largement diffusée (1894), bien accueillie par C. Renouvier et A. France, et par de nombreux critiques. Sa prose, très travaillée comme ses dessins, conduit à des chefs-d’œuvre comme Joseph Pagnon, les Oisivetés ou des pamphlets politiques. Sa connaissance profonde de la grammaire, une pratique parfaite du français populaire et du patois franco-provençal, l’ont entraîné vers des travaux de linguistique comme son Dictionnaire étymologique du patois lyonnais, divers ouvrages moins connus, et son fameux Littré.
Ce que fut Tisseur, Antoine Vachez* l’a exprimé en quelques mots : « Architecte habile, écrivain plein de goût et d’humour, philologue d’une érudition profonde, poète d’un haut vol et, par-dessus tout, homme d’esprit » (1895). Mais, si on veut accéder à la personnalité même de Clair Tisseur et à son œuvre, c’est l’humble essai de compréhension écrit en 2009 par Henri Hours*, et dédié aux membres de l’Académie du Gourguillon, qu’il faut absolument lire.
Admis le 10 janvier 1857 à la société académique d’architecture de Lyon, il en sera le secrétaire (1856-1860), puis le vice-président (1873-4), puis membre correspondant (1879). Il a publié dans les Annales de la société de nombreuses notes, reproduites parfois dans d’autres revues (voir Charvet).
Il est élu à l’Académie le 12 juin 1886 au fauteuil 6, section 1 Lettres, sur un rapport de Guillaume Heinrich* du 25 mai ; son discours de réception sur Antoine Chenavard est prononcé le 21 juin 1887 (MEM L 24 p. 347-384 ; Revue du Siècle ; Lyon : Georg, 38 p., avec médaille). Retiré définitivement à Nyons, il deviendra correspondant en 1891.
Clair Tisseur – ou plus exactement Nizier du Puitspelu – est le fondateur de l’Académie du Gourguillon : le 24 juin 1879, « à quatre heures de relevée, notre sieur Nizier du Puitspelu, bras-neufs de sa profession, se chauffant le ventre au soleil et parlant à sa propre personne, déclara fondée l’Académie du Gourguillon. Il en fut aussitôt le président, le vice-président, le secrétaire, le trésorier, les membres et le public », il déclara fondée l’académie. Les lettres patentes furent publiées en 1885, et elle existe toujours, après avoir traversé deux guerres et quelques péripéties (voir Chaon Grattepierre, 1996).
Antoine Vachez*, « Clair Tisseur », RLY 20, 1895, p. 252-260. – Une famille littéraire à Lyon : les quatre Tisseur, recueil de quelques-unes de leurs œuvres, avec une introduction par É. Aynard*, Lyon : Storck, 1896, XIII + 344 p. (portraits). – Emmanuel Vingtrinier, Préface à : Oisivetés du sieur du puitspelu, Lyonnais, 1896, p. I-XVII. – Claudius Prost, préface de Coupons d’un atelier lyonnais, Lyon : Storck, 1898, p. III-XLII. – Charvet. – Fernand Robert, Nizier du Puitspelu, Lyonnais. Essai sur la vie et l’œuvre de Clair Tisseur, Lyon : Rey, 1911. – Camille Latreille*, « Clair Tisseur, Pauca Paucis », Rev. Hist. Lyon, 1909, p. 400-428. – Gilbert Salmon, « Les idées linguistiques de Nizier du Puitspelu, chantre du parler lyonnais (1827-1895) », Bull. Fac. Lettres Mulhouse 17, 1991, p. 257-273. – H. Hours, « Tisseur Clair », DMR, 1994, p. 398-399. – Philippe Roger, préface de Les histoires de Puitspelu, Lyonnais, Lyon : ELAH, 1995, p. 5-44. – Chaon Grattepierre [Louis David], Histoire de l’alme et inclyte académie du Gourguillon et des Pierres Plantées, Lyon : ELAH, 1996, 108 p., ill.– P. Roger, Clair l’obscur, film 55 min., 2000. – H. Hours, « Clair Tisseur, humble essai de compréhension », Rev. Rive Gauche 188, 2009, p. 23-31.
Nous avons sélectionné quelques-uns des principaux ouvrages, avec indication des principaux pseudonymes utilisés, dont Nizier du Puitspelu [NP] : Le parfum de Rome et M. Veuillot (« Eugène Pellerin »), Paris : Dentu, 1862, 46 p. – M. Veuillot et Giboyer, lettre au directeur du journal Le Progrès (« Un lecteur de l’Univers », Paris : Dentu, 1863, 32 p. – Histoire d’André, s.l., s.d., s.n., Paris : Morris, 1868, 202 p. – Lettres et fragments de Joseph Pagnon recueillis par Clair Tisseur (préface de Victor de Laprade*), Paris : F. Girard, 1869. – [NP], Le testament d’un Lyonnais au xviie siècle, Lyon : Mougin-Rusand, 1879, 49 p. (reproduit dans RLY 7, p. 322-335, 402-411). – [NP], Les vieilleries lyonnaises, Lyon : chez les libraires intelligents, 1879, 288 p. ; 2e éd. « revue, corrigée et augmentée », Lyon : Bernoux et Cumin, 1891, 398 p. ; nombreuses rééditions ultérieures. – [NP], Marie-Lucrèce et le grand couvent de la Monnoye, Lyon : Meton, 1880, 188 + VII p., plan couleur par Vermorel. – Lettres de Valère colligées par Nizier du Puitspelu, avec une introduction par icelui, Lyon : Meton, 1881, 2 vol., 194+286 p. – [NP], Un Noël satirique en patois lyonnais, traduit et annoté, Lyon : Storck, 1882, 72 p. ; 2e éd. entièrement refondue, idem 1887 – [NP], Les oisivetés du sieur du puitspelu, Lyonnais, Lyon : Georg, 1883 ; 2e éd. Lyon : Bernoux & Cumin (préface d’Emmanuel Vingtrinier), 1896, XVII + 367 p. ; 3e éd. Lyon : Audin et Pierre Masson, 1928. – [NP], Les histoires de Puitspelu, Lyonnais, Lyon : chez les libraires qui en voudront, 1886, 369 p. ; réédit. Lyon : ELAH, 1995, 238 p. (préface Ph. Roger). – Pauca Paucis, Mâcon : Protat, 1889, XXIV + 233 p. ; 2e éd. augmentée Lyon : Bernoux et Cumin, 1894, 379 p. – Modestes observations sur l’art de versifier, Lyon : Bernoux & Cumin, 1893, 355 p. – Au hasard de la pensée, Lyon : Storck, 1895, hors commerce, 227 p. – Coupons d’un atelier lyonnais (posthume, préface Claudius Prost, portrait), Lyon : Storck, 1898, LX + 305 p.
Linguistique : [NP], Très humble essai de phonétique lyonnaise par Nizier du Puitspelu, Lyon : Georg, 1885, 145 p. – Vieilles choses et vieux mots lyonnais, Lyon : Mougin-Rusand (reproduit dans Revue du Lyonnais et Revue lyonnaise), 28 p. – Fragments en patois du Lyonnais, Lyon : Mougin-Rusand, 1886-87, 34 p. – [NP], Dictionnaire étymologique du patois lyonnais, Lyon : Georg, 1887-1890, CXX + 470 p. ; réimpr. Genève : Slatkine 1970. – [NP], Le Littré de la Grand’Côte (à l’usage de ceux qui veulent parler et écrire correctement), Lyon : Storck, 1895, VIII + 324 p. ; nombreuses rééditions posthumes : Académie du Gourguillon, 1904 ; P. Masson, 1926 ; Honoré, 1980 (préface de P.A. Perrod*) ; ELAH, 2000...
Journaux et revues. Des centaines d’articles publiés dans les journaux sous près de quarante pseudonymes ; bon nombre d’articles accueillis dans : Revue du Lyonnais, Revue lyonnaise, Revue de Lyon, Lyon-Revue, Monde Lyonnais, Annales Lyonnaises, Revue du siècle… [liste la moins incomplète : celle que C. Tisseur a fournie à Charvet].