Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

RUHLA Charles (1930-2014)

par Joseph Remilleux, Jean-Paul Martin.

 Il est né à Paris le 2 septembre 1930, enfant unique de Jean Ruhla, tailleur pour hommes, arrivé de Roumanie en 1922, et de Sarah Goldenberg, mariés en 1929. Il décède à Lyon, le 22 juillet 2014.

 Il a une petite enfance parisienne heureuse. Mais fin 1934, son père doit partir dans un sanatorium où il reste jusqu’en 1938 pour soigner sa tuberculose. Avec sa mère, il retourne alors vivre chez ses grands-parents, dans le 17e arr. de Paris. Début 1938, son père revient et c’est seulement pendant cette année qu’il le connaîtra vraiment, car fin 1938, son père rechute et doit de nouveau être hospitalisé. Les années de guerre sont très éprouvantes : lorsqu’il a 10 ans, en 1940, son père décède de sa maladie ; puis en 1944 il doit quitter Paris, seul, âgé de 14 ans, pour trouver abri dans l’Yonne, tandis qu’une partie de sa famille est déportée à Auschwitz. À la Libération, il retrouve à Paris sa mère, sa grand-mère, et en mai 1945 son cher cousin Maurice Cling, rescapé des camps. Il poursuit alors ses études secondaires, obtient son baccalauréat en 1948 et entre en classe préparatoire au lycée Saint-Louis.

 En 1950, une nouvelle phase de sa vie commence, avec la mort de sa mère et son intégration dans la section sciences de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, où il passe l’agrégation en sciences physiques en 1954. Cela lui permet d’effectuer son service militaire, de 1954 à 1957, à l’École de l’Air de Salon, comme lieutenant-professeur agrégé. Il profite de ce séjour pour découvrir différents aspects de l’aviation. De retour à Paris en avril 1957, il adhère au Groupe universitaire de Montagne et de Ski, et découvre ainsi la montagne et l’escalade. Ces deux passions, la montagne et l’aviation, seront présentes tout au long de sa vie. Après son service militaire, il enseigne pendant deux ans les sciences physiques au lycée Marcelin Berthelot de Saint-Maur, une expérience qu’il saura exploiter au cours de sa future carrière universitaire. En 1959, il rencontre dans les parois des rochers de Fontainebleau la provençale Andrée Gassin, diplômée de l’école dentaire de Marseille. Cette rencontre se concrétise par un mariage en avril 1960, puis par la naissance de leurs deux fils, Jean en 1961 et Michel en 1963.

 Il débute sa carrière de chercheur en 1959 comme attaché de recherche au CNRS, dans le laboratoire Joliot-Curie à Orsay. Il est ensuite nommé assistant en 1960, puis maître-assistant en 1961 à la faculté des sciences d’Orsay. Il soutient en 1966 une thèse sur le mécanisme des réactions nucléaires (p, 2p) sur les noyaux 1f 7/2, à partir de ses expériences auprès du cyclotron de 156 MeV d’Orsay. En 1967, il est nommé maître de conférences à la faculté des sciences de Lyon, et intègre l’Institut de Physique Nucléaire, alors dirigé par Armand Sarazin*. Nommé professeur en 1971, il fait ensuite toute sa carrière à l’université Claude-Bernard Lyon-1. Son activité de recherche à l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon se déroule jusqu’en 1972, en collaboration avec Mark Gusakow et Jean-René Pizzi, auprès de la voie achromatique du synchrocyclotron de Lyon. Il fait aussi quelques expériences auprès du cyclotron de l’Institut des Sciences Nucléaires de Grenoble. Tous les travaux qu’il publie pendant cette période portent sur l’interaction de particules α avec des noyaux légers suspectés d’avoir une sous-structure en forme d’agrégats de particules α. L’ensemble des recherches expérimentales qu’il effectue de 1954 à 1972, à Orsay puis à Lyon, donnent lieu à la publication de 27 articles dans les meilleures revues de la spécialité.

 À partir de 1972 il se consacre essentiellement à une activité qu’il crée à l’université Claude Bernard et dans laquelle il excelle : la formation des professeurs de physique de l’enseignement secondaire. En collaboration avec Joseph Remillieux*, il propose un programme de recyclage en physique des professeurs des classes préparatoires, faisant en particulier usage de clichés de chambres à bulles récemment obtenus au CERN pour permettre aux étudiants et aux enseignants de faire des mesures sur des trajectoires de particules relativistes. C’est ainsi qu’il développe au sein de l’Académie de Lyon, avec l’aide de Maurice Jacob*, un travail très original de transfert de connaissances et de pédagogies entre les enseignants universitaires et leurs collègues du secondaire. Il réussit ainsi à diffuser des connaissances fondamentales, issues de la recherche, qui à l’époque n’étaient pas encore vulgarisées. Dès 1976, il est élu président de la section de Lyon de l’Union des Physiciens, fonction qu’il assume avec beaucoup d’efficacité et de créativité pendant plus de quinze ans. Son activité laisse des traces ineffaçables dans le Bulletin national de l’Union des Physiciens, dans lequel il publie trente-six articles de 1973 à 2003. Les plus remarquables de ces contributions sont sans doute Le principe d’incertitude (1973) et La Terre dans le chaos (2001). Les titres de ses articles traduisent son humour subtil et discret : Les photons inséparables ; Le mètre est mort, vive la lumière ; ou encore Dissonances énergétiques. Il publie deux ouvrages pédagogiques : Particules 82 (Nathan 1982), et surtout La Physique du Hasard (Hachette 1989), un remarquable ouvrage, préfacé par Alain Aspect, dont la traduction anglaise (The physics of chance, Oxford Press, 1992) remporte un grand succès international. Une anecdote au sujet de cette version anglaise : son traducteur, le physicien G. Barton d’Oxford, lui signifie sa gêne de voir intervenir à plusieurs reprises dans son ouvrage un certain Monsieur de la Palice, personnage inconnu de ses futurs lecteurs anglophones. Il propose alors à son éditeur de conserver ce personnage français, absolument indispensable à sa dialectique, moyennant la rédaction d’une biographie de Jacques II de Chabannes, seigneur de la Palice (1470-1525) qui sera annexée à la version anglaise de l’ouvrage.

 De 1995 à 2001, il donne un cycle annuel de conférences à l’Université Ouverte de l’université Claude-Bernard sur un de ses thèmes favoris, le hasard et le chaos dans la nature : La physique du hasard (1995-1996) ; Hasard, chaos, fractales (1996-1998) ; Chaos, fractales, catastrophes (1998-1999) ; Instabilités dans la nature (1999-2000) ; Patchwork 2001 (2001-2002).

 Il laisse l’image d’un sourire rassurant, toujours teinté d’humour. Derrière cette image, il y a en fait celle d’un scientifique rigoureux et modeste, passionné par la pédagogie des sciences, préparant ses interventions écrites et orales avec une rare méticulosité.


Académie

L’Académie profite aussi largement de son charisme et de ses talents pédagogiques, puisqu’il y prononce quatorze communications entre 1984 et 2005. Il est admis le 7 juin 1983, fauteuil 3, section 1 Sciences ; son discours de réception en 1984 est intitulé Tradition et innovation dans la pédagogie des sciences physiques. Il assure par ailleurs avec beaucoup de talent le secrétariat de la classe des sciences, dont il est secrétaire général adjoint de 1991 à 1995, puis secrétaire général de 1996 à 2004. Par ailleurs il assure avec beaucoup de rigueur, avec l’aide initiale de Maurice Jacob, la gestion du prix Thibaud de 1985 à 2004. Communications : La symétrie, un nom abstrait pour des réalités concrètes (1983) ; Tradition et innovation dans la pédagogie des sciences physiques, discours de réception (1984) ; La radioactivité artificielle a 50 ans. Anatomie et physiologie d’une découverte (1985) ; Physique et philosophie : le grand débat entre Niels Bohr et Albert Einstein (1986) ; Il y a 15 milliards d’années, de la soupe de quarks naissait l’Univers (1987) ; Le chaos déterministe, forme moderne de l’âne de Buridan (1989) ; L’ordre et le désordre dans la nature (1992) ; Le carbone 60, nouveau cousin du diamant (1993) ; Hommage à Louis Lumière (1995) ; « Les Atomes », un livre de Jean Perrin (1996) ; Le Télescope Spatial (1997) ; Il y a cent ans : la découverte de la radioactivité et du Radium (1998) ; Histoire des systèmes du Monde depuis les Grecs jusqu’à l’an 2000 (2001) ; Un siècle de physique nucléaire, de physique des particules et de physique des astroparticules (2004). Il a fait l’éloge de Maurice Jacob dans le Bull. Union des Physiciens, vol. 97, juin 2003.

Titulaire en 1995 du prix de Lancey et de la Hanty, décerné par la Fondation.

Bibliographie

Joseph Remillieux et Jean-Paul Martin*, « Éloge de Charles Ruhla », MEM 2016.

Publications

Liste bibliographique scientifique complète (établie par Remillieux et Martin), disponible dans son dossier académique. Ne sont cités ci-après que les livres : Particules 82, introduction à la physique des particules, Paris : CEDIC-Nathan, 1982. – La Physique du Hasard, de Blaise Pascal à Niels Bohr, Paris : Hachette, 1989 (traduit en anglais : « The Pysics of Chance », C. Ruhla and G. Barton, éd. Oxford Press, 1992).