Paul François Girard – il signait « Paul F. Girard » – est né à l’Arbresle (Rhône) le 27 décembre 1905. Père : Pierre Girard (1876-1938), médecin généraliste, domicilié alors rue de Bordeaux à l’Arbresle, puis médecin à Tassin, fils de Claude Girard et de Françoise Penet horticulteurs à Lyon quartier de Loyasse ; mère : Louise Vial (1881-1946), son épouse, sans profession, fille de Paul Vial, confiseur à Roanne. Témoins : Daniel Jomard, 44 ans, manufacturier, et Georges Simian, 35 ans, vétérinaire.
Après des études secondaires au collège des maristes à Lyon, au collège Saint-Joseph à Roanne et au lycée Ampère à Lyon, il s’oriente vers la médecine après avoir été tenté par l’architecture. Il est nommé externe des hôpitaux en 1925 et, au cours de son externat, découvre la neurologie dans le service de Louis Bériel (1878-1965). Interne des hôpitaux de Lyon en 1927, il effectue son service militaire au Maroc, dans le Moyen Atlas. Il est ensuite notamment l’interne du pédiatre Maurice Péhu, qui lui donne le goût de l’histoire de la médecine et suscite son intérêt pour la neuropsychiatrie infantile. Sur les conseils de son cousin Joanny Vial, assistant au laboratoire de physiologie du doyen Hermann*, il commence à fréquenter en même temps le laboratoire d’anatomie pathologique du professeur Maurice Favre, où il poursuit les recherches à l’origine de sa thèse de médecine : Le foie vasculaire, hépato angéite sclérogène en îlots, soutenue le 29 juin 1933 (Lyon : A. Rey, 1933). Il continue à se former à la neuropathologie auprès du professeur J.-F. Martin, tout en suivant l’enseignement de neurologie de Jules Froment (1878-1946). Interne, puis chef de clinique en 1935 de Jean Lépine*, il s’initie à la psychiatrie. Pendant la guerre de 1939-1940, il est incorporé dans le groupe sanitaire de Chambéry, puis à Reischoffen et à Sedan. Devenu l’assistant de Jean Dechaume à l’hôpital des Charpennes, il est nommé médecin des hôpitaux de Lyon en 1942. Il prend la direction de services de phtisiologie à l’hôpital Sainte-Eugénie puis à celui du Perron, avant de succéder en 1946 à André Devic à la tête du service de neurologie de l’Antiquaille, fonction qu’il occupera jusqu’en 1964. Il a participé, par ailleurs, à la consultation des mineurs délinquants du professeur Étienne Martin, successeur d’Alexandre Lacassagne*, et il est devenu en 1945 médecin-chef des prisons de Lyon. Agrégé de médecine en 1946, professeur de médecine expérimentale et de pathologie générale depuis 1956, après le décès tragique de son prédécesseur le professeur Josserand, victime d’un meurtre, il devient, en 1966, le titulaire de la chaire de neuropsychiatrie et d’hygiène mentale à l’hôpital neurologique et à l’hôpital départemental du Vinatier, succédant à Jean Dechaume. Après la séparation universitaire de la neurologie et de la psychiatrie, il opte pour la psychiatrie, tout en conservant ses responsabilités hospitalières en neurologie, jusqu’à sa retraite en 1976. Il se présentait comme le dernier neuropsychiatre complet et s’élevait contre une « psychiatrie sans cervelle » dont il critiquait les orientations psychopathologiques alors dominantes et trop « philosophiques » à son gré. Il a toujours gardé une attitude réservée vis à vis de la psychanalyse. Sa fille et son gendre, Marie-Pierre Girard-Martin et Yves Martin, ont traduit le pamphlet antipsychanalytique du neurologue et neurochirurgien américain Percival Bailey : Sigmund le tourmenté, une tragédie en trois actes (Paris : La Table ronde, 1972).
L’œuvre médicale de Paul Girard est triple : neurologique, psychiatrique, historique. En neurologie, Paul Girard a poursuivi à la fois une carrière de clinicien et de neuropathologiste, « marquée par le souci constant de la référence à la lésion anatomique » (Paul Guinet*). Comme clinicien, il s’est intéressé plus particulièrement aux discopathies vertébrales, au traitement immunosuppresseur dans la sclérose en plaques, aux malformations vasculaires cérébrales, aux phlébites cérébrales et à leur place dans le déterminisme de certains tableaux encéphalitiques de l’enfant, ainsi qu’à l’hémiplégie cérébrale infantile, qui avait fait autrefois l’objet d’études d’un jeune neurologue promis à un autre avenir et nommé Sigmund Freud ! Mais c’est surtout comme neuropathologiste que Paul Girard, consacrant une large partie de son temps au laboratoire, a marqué son époque, en étudiant et en classant les encéphalopathies alcooliques dont la maladie de Gayet-Wernicke, décrite en même temps par le neurologue allemand Carl Wernicke (1848-1905) et par le premier professeur de clinique ophtalmologique de Lyon, Charles Alphonse Gayet (1833-1904), décédés tous les deux accidentellement à un an d’intervalle. Cette maladie due à une carence en vitamine B1 est liée à des lésions sous-corticales et associe des signes oculaires et neurologiques. Sur le plan psychiatrique, Paul Girard est le promoteur d’une théorie originale qu’il considérait comme son apport le plus important et qui attribue à un défaut de latéralisation cérébrale, outre un certain nombre de dysfonctionnements de la parole, de l’écriture ou de la lecture, des pathologies psychiatriques entrant dans le cadre actuel des troubles obsesso-compulsifs. Cette théorie l’a conduit à préconiser le dépistage précoce de la gaucherie chez les enfants et la rééducation de l’écriture par la main gauche chez les gauchers méconnus souffrant de bégaiement, de crampe des écrivains, de dyslexie, de tics, d’obsessions ou de phobies et même, en complément, chez certains schizophrènes. Son œuvre historique enfin est contemporaine de sa retraite et de son élection à l’Académie. Domicilié longtemps place Gailleton, dans l’immeuble construit par Antoine Michel Perrache* (1726-1779), il avait alors déménagé quai Saint-Antoine.
Paul Girard avait épousé le 10 septembre 1934, à Sévrier (Haute-Savoie) Marie Cécile Jacquin (1912-Tassin-le-Bourg 2004), fille de Pierre Jacquin et de Suzanne Vandelle. Quatre enfants sont nés de cette union : Marie-Pierre (1935) épouse Martin, interprète ; Martine (1938) professeur de dessin ; Claude Yvonne (1942) épouse Wolters diplômée de l’École du Louvre ; et Pascal (1945), ancien interne des hôpitaux de Lyon, médecin pneumologue à Montbrison.
Paul Girard est décédé à Lyon le 16 avril 1989.
Président de la société française d’oto-neuro-ophtalmologie pendant de longues années en collaboration avec Louis Paufique et Jacques Rougier*, président de la société française de neurologie en 1976, membre de la société médicale des hôpitaux de Lyon, il a présidé le Comité Art et Université créé par son amie Renée Dargent, l’épouse de Marcel Dargent*.
Élu le 4 décembre 1979 au fauteuil 7, section 3 Sciences, siège laissé vacant par le décès d’Henri Thiers*, sur rapport de Paul Guinet. Sa personnalité attachante et parfois mystérieuse inspire ces mots au rapporteur : « On le voit volontiers silencieux, il écoute ou il rêve, on ne sait ». Son discours de réception, prononcé le 17 mars 1981, L’homme et son double » (MEM 36, 1982), est introduit par une réflexion sur un homicide familial pathologique, le rapport entre le suicide et l’image de soi, sur l’Autre qui nous habite et sur le conflit entre soi et soi profondément constitutif de l’être humain et porté au premier plan dans les pathologies mentales. Il fourmille de références mythologiques et littéraires sur le thème du double et conduit l’auteur à exposer ses idées sur la latéralisation cérébrale, selon laquelle l’hémisphère gauche, qui contient les centres du langage, domine normalement l’hémisphère droit. Chez le gaucher, la situation est inversée, mais lorsque la dominance n’est pas fermement établie, l’éducation de la main droite, systématique dans notre culture, développe l’hémisphère gauche et met les deux hémisphères au même niveau, sans que l’un domine l’autre. Le montage en miroir des structures cérébrales établit alors une concurrence entre ce que Paul Girard appelle le pilote et le copilote, source d’un conflit et du sentiment d’un double. La volonté et l’action sont alors freinées par une volonté ou des commandes d’actions opposées. Des exemples de gauchers célèbres (Léonard de Vinci, Lewis Carroll, Roland Barthes) et des exemples cliniques personnels sont appelés en témoignage. À la fin de sa vie, Paul Girard cherchait de nouvelles preuves de sa théorie dans les traits de personnalité de Gustave Flaubert, dont la forme d’épilepsie laissait supposer une atteinte cérébrale occipito-temporale gauche, probablement néo-natale. Paul Girard a publié deux autres communications dans les comptes rendus de l’Académie. Étudiant L’histoire véridique de Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron, ou de la naissance de la psychiatrie infantile (exposé le 17 mai 1983, MEM 38, 1984), il a découvert dans la bibliothèque de l’Académie le manuscrit du naturaliste Jean Philippe Mouton-Fontenille* (1769-1836). Celui-ci y déclare avoir examiné l’enfant sauvage lors de son passage à Lyon pendant son transfert de Rodez à Paris, et se fait l’écho d’une rumeur sur son origine selon laquelle l’enfant serait le fils d’un notaire, abandonné dans la forêt par ses parents après une tentative d’égorgement (AC.Ms219 f°26-33). Un académicien lyonnais à la recherche des arbres à épicerie, Pierre Poivre* (1719-1786), exposé le 10 juin 1986 (MEM 41, 1986), retrace les aventures d’un « apprenti missionnaire » à Macao, blessé au combat dans les îles de la Sonde, devenu ensuite intendant des îles Mascareignes où il introduisit la culture des muscadiers. Son épouse aurait inspiré à Bernardin de Saint-Pierre, outre une vive passion, le personnage de Virginie. Paul Girard a aussi fait plusieurs communications sur des sujets touchant à l’histoire des représentations des médecins et de la maladie dans la littérature et la peinture. La nef des fous et l’éloge de la folie (1978) est une réponse à l’Histoire de la folie de Michel Foucault et à la confusion entre la maladie mentale et l’allégorie de la folie telle qu’elle est représentée par Sébastien Brant dans sa Nef des fous et par Érasme, dans son Éloge de la folie. Dans Molière et le ridicule de la médecine (1980), justice est faite de l’idée répandue selon laquelle Molière aurait mené une guerre « sérieuse » contre la médecine et donné une image véridique de la médecine de son temps. Pour plaire au public, Molière utilise un personnage traditionnel de médecin de comédie, qui persiste jusqu’à nos jours en passant par Daumier ou Jules Romains. Enfin, dans Le mal des ardents ou le feu de Saint-Antoine (1983), Paul Girard fait état de ses recherches sur l’histoire et l’iconographie de l’intoxication par l’ergot de seigle et de l’accueil des malades par les religieux de l’ordre des Antonins. Son éloge funèbre a été prononcé par André Gonin* (MEM 44, 1989).
A. Garde « Hommage au professeur Paul F. Girard », in Livre jubilaire Professeur Paul-François Girard, Lyon : S.P.C.M éditions, 1976. – Hist. sci. méd. 30, 1996 : p. 93-95, A. Garde, A. Fournet, M. Boucher, « Paul Girard, neurologue et historien de la médecine » ; p. 97-102, J. Hochmann, « Paul Girard et les gauchers » ; p. 103-110, J. Cambier, « Gustave Flaubert et son double ou la dialectique des hémisphères dans la création artistique » ; p. 111-115, M. Trillet, « Le double et son théâtre » ; p. 117-121, G. Aimard, « Paul F. Girard ou la passion de la thérapeutique ». – David 2000.
Voir liste complète des travaux médicaux de P. Girard dans le Livre jubilaire Professeur Paul-François Girard, Lyon : SPCM éditions, 1976. On retiendra : Avec E. Gounot et J. Dechaume, Réalisations lyonnaises récentes concernant l’enfance irrégulière, rapport au conseil d’administration de l’association régionale pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, Lyon, janvier 1944. – Avec C. Kohler et L. Thévenin, « Les principaux aspects cliniques des démences infantiles. Leur diagnostic différentiel et étiologique », Journ. méd. Lyon, 5 décembre 1945, p. 761-774. – Avec A. Garde et P. Carrier, « Étude physiologique et pathologique de la gaucherie », Journ. méd. Lyon, 5 novembre 1946, p. 759-768. – Avec A. Ricard et P. Dupasquier, Les discopathies cervicales, Lyon : Imp. Dugas, 1948, 110 p. – Avec A. Ricard et M. Devic, « Étude anatomique d’un cas de malformation de la charnière occipito-vertébrale. Importance de la dislocation atloïdo-axoïdienne », Rev. neurologique 81, 1949, p. 229-231. – Avec A. Ricard, « Contribution à l’étude étiologique et clinique des névralgies cervico-brachiales », Journ. méd. Lyon, 5 novembre 1950, p. 905-921. – Avec L. Paufique et R. Étienne, « Discopathies cervicales et névrite optique », Bull. et Mem. de la Soc. française d’ophtalmologie 63, 1950, p. 90-97. – « À propos des troubles neurologiques et psychiatriques observés chez les gauchers : la notion de diphasie, dipraxie et diphrénie », Semaine des hôpitaux de Paris 28, 6 mars 1952, n° 18. – « Gauchers et droitiers (Le problème des dominances cérébrales) » Encyclo. medicochir., 1953 – Avec A. Garde et M. Devic, « Considérations terminologiques, étiologiques, anatomiques et cliniques concernant l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke. Ses rapports avec le syndrome de Marchiafava- Binami et la psychose de Korsakow », Rev. neurologique 88, 1953, p. 236-248. – Avec M. Devic, Les malformations vasculaires cérébrales à l’exception des anévrysmes, Rapport au Ve congrès neurologique international, Lisbonne, 1953. – Avec M. Devic, « Considérations étiologiques, documents anatomiques et remarques thérapeutiques concernant les phlébites cérébrales », Rev. neurologique 90, 1954, p. 863-868. – Avec M. Bernheim, J. Lanternier et F. Larbre, « Le rôle des thromboses veineuses dans les prétendues encéphalites primitives des enfants », Pédiatrie 9, 1954, p. 249-253. – Avec A. Garde et M. Tommasi, « Classification nosologique des encéphalopathies alcooliques », Lyon médical, 1957, p. 299-323. – Avec P. Aimard, « L’hémiplégie cérébrale infantile », Journ. méd. Lyon, 5 avril 1959, p. 287-291. – Avec M. Tommasi, « Anatomie pathologique de l’encépahalopathie carentielle de Gayet-Wernicke des alcooliques » Archivio « de Vecchi » 31, 1960, p. 121-140. – Avec G. Aimard et J. Raveau, « Sclérose en plaques et processus d’auto-immunisation. Traitement par les antimitotiques », Lyon médical, 6 février 1966, n° 6, p. 348-352. – Avec H. Pellet, Médecine expérimentale, Paris : Masson, 1967. – « Définition de la psychiatrie », Lyon médical 221, 1969, p. 995-1003. – Avec M. Tommasi, « Encéphalopathie de Gayet-Wernicke ou syndrome de Wernicke-Korsakoff, un centenaire contesté », Lyon médical 234, 1975, p. 171-176. – « Le mal des ardents ou le feu de Saint-Antoine », Cah. méd. lyonnais, 1977, t. 3, p. 465-471, 691-698 et 835-840. – « La nef des fous et l’éloge de la folie, fiction littéraire et réalité », Cah. méd. 1979, t. 4, p. 1915-1922. – « L’histoire véridique de Victor l’enfant sauvage de l’Aveyron, ou les origines lointaines de la psychiatrie infantile », Lyon médical 251, 1984, p. 361-367.