Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

ROUX Gabriel (1853-1914)

par Christian Bange.

 Jacques Charles Germain Gabriel Roux est né le 1er mars 1853 au domicile de son grand-père maternel à Issoire (Puy-de-Dôme), fils aîné de Jacques Charles Stanislas Roux (Blesle [Haute-Loire] 1824-1908, fils d’un notaire maire de Blesle), contrôleur des contributions directes, alors en poste à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) et de Martine Olympe Revel (Issoire 1828-Blesle 1885). Les témoins à la déclaration sont deux employés de la mairie. Il a eu deux frères : Henri, saint-cyrien, et Émile, dessinateur en soierie à Saint-Étienne.

 Il passe sa petite enfance en Auvergne, et poursuit comme ses frères ses études secondaires au lycée impérial à Lyon, où son père a été muté ; il prépare seul le baccalauréat et réussit à la fois les baccalauréats de lettres et de sciences. Il fonde en 1870 une société de jeunes naturalistes qui réunit cinq jeunes gens, la « Société physiophile », laquelle fusionnera en 1881 avec la Société linnéenne. Il poursuit des études médicales à ce qui est encore l’École préparatoire de médecine, est reçu premier au concours de l’externat dès 1872, puis de nouveau premier au concours de l’internat en 1875. Il est à plusieurs reprises lauréat de la faculté. Entre temps, il a obtenu la licence ès sciences en 1874. Lors de la création de la Faculté mixte de médecine et de pharmacie en 1877, il est nommé préparateur de matière médicale, et il devient docteur en médecine en 1879 en soutenant une thèse intitulée : Étude sur l’embrasement des vapeurs d’éther.

 Son diplôme en poche, Gabriel Roux s’installe en 1880 comme médecin généraliste à Ardes-sur-Couze (Puy-de-Dôme). La pratique de la médecine rurale est épuisante, et peu après son mariage le 16 octobre 1882 à Champeix (Puy-de-Dôme) avec Marie Antoinette Mathilde Cougoul-Solignat (Champeix 5 août 1861-1er janvier 1912), il revient à Lyon afin d’entamer une carrière universitaire. Il est de 1884 à 1889 professeur de sciences naturelles à la Société d’enseignement professionnel du Rhône et à l’école de la Martinière (où il avait déjà enseigné de 1876 à 1879), et obtient un emploi de chef de travaux de matière médicale qu’il occupe le 5 octobre 1886 jusqu’en 1892. En 1891 il devient, après concours, le premier directeur du Bureau municipal d’hygiène et de statistique, dont la création a été décidée par le conseil municipal le 27 mai 1890 et qui est logé à l’hôtel de police municipale, 21 rue du Bât-d’Argent ; il y installe un laboratoire où pourront s’accomplir, outre les tâches de routine, des recherches qui seront concrétisées par plusieurs thèses de médecine et de nombreuses publications scientifiques et médicales. Puis il est autorisé à cumuler cette fonction avec celle d’agrégé des facultés de médecine pour les sciences naturelles. En juin 1892, il est reçu au concours d’agrégation et il est attaché à la chaire de zoologie et anatomie comparée du doyen Louis Lortet*. Il remplace souvent Lortet au cours de ses fréquentes absences motivées par ses missions au Proche Orient, et il est maintenu en exercice jusqu’au 31 octobre 1907. Mais, malgré un rapport élogieux du rapporteur au conseil de la faculté, il n’obtient pas la chaire de Lortet lorsque celui-ci part à la retraite en 1906 : c’est Jules Guiart*, soutenu par Charles Bouchard (1837-1915), professeur à la faculté de médecine de Paris, médecin des hôpitaux et membre du conseil supérieur de l’enseignement public, qui est nommé professeur par le ministre.

 Gabriel Roux, dont la santé est chancelante, prend la décision de se retirer, et il prend sa retraite à compter du 1er août 1909. Retiré en Auvergne à Champeix, pays de sa belle-famille, il participe dès lors aux travaux de la commission sanitaire d’Issoire et il reprend au début de la guerre de 1914 une pratique médicale active dans le domaine de la santé publique (par exemple, les vaccinations). Cette activité est interrompue par son décès qui survient subitement à Champeix le 9 octobre 1914. Il laisse une fille, Charlotte Jeanne Gabrielle Roux (Lyon 6 mars1886-Paris 1er mars 1978), mariée à Henri Marie Auguste Balay, contrôleur et conseiller juridique au ministère des finances, dont postérité.

 Chevalier de la Légion d’honneur par décret du 11 juillet 1914 (LH/2411/40).

 Gabriel Roux s’est intéressé à de nombreux domaines scientifiques et médicaux, de la géologie à l’épidémiologie, en passant par la botanique, l’histologie, la parasitologie, la bactériologie. Il a mis au point des techniques de culture d’agents infectieux (par exemple, celle du vibrion cholérique) ou des méthodes d’identification (pour le gonocoque). Il a effectué des recherches novatrices sur le colibacille et sur le bacille d’Eberth, agent de la typhoïde. Au cours de son séjour à Ardes, une épidémie de typhoïde lui avait permis de confirmer le rôle de la contamination de l’eau dans la propagation de la maladie. Il a pressenti plusieurs découvertes importantes ; il s’est attaché à montrer l’importance des travaux de Laveran sur le paludisme.

 Plusieurs médecins ont préparé leur thèse sous sa direction dans son laboratoire du Bureau d’hygième. C’est notamment le cas de Duchesne. Ayant observé l’aspect particulier présenté par une culture de bacille d’Eberth souillée par une moisissure, le Penicillium glaucum, Roux confie l’étude expérimentale de ce phénomène à un jeune médecin militaire, Ernest Duchesne, né le 30 mai 1874 à Paris où son père ingénieur chimiste était propriétaire d’une tannerie, entré à l’École de santé militaire de Lyon en 1894 et au laboratoire de Gabriel Roux en 1896. Duchesne constate que les moisissures se développent sur les milieux où les microbes ne se développent pas. Si on sème simultanément dans l’eau stérilisée du Penicillium et des bacilles d’Eberth ou des coli, on constate un antagonisme au profit des bactéries qui ont une plus grande résistance et se propagent plus rapidement ; ceci amène Duchesne à conclure, dans une optique darwinienne : « la lutte pour la vie entre les moisissures et les bactéries semble tourner au profit de ces dernières ». Il s’interroge alors : « n’y a-t-il pas des cas où les moisissures peuvent [à l’inverse] triompher des bactéries et, sinon tuer les bactéries, du moins paralyser certains de leurs effets nocifs ? et rien ne dit qu’avant de périr elles n’ont pas porté une atteinte quelconque à la virulence des microbes et peut-être à leurs propriétés pathogènes ». C’est ce que semble confirmer l’expérimentation in vivo. Deux cobayes inoculés par des cultures très virulentes de microbes pathogènes (Bacillus coli ou B. typhosus d’ Eberth) mélangés à du Penicillium glaucum résistent, contrairement à deux cobayes témoins, traités seulement par des souches pures. Duchesne évoque la possibilité d’utiliser ce phénomène en hygiène prophylactique et en thérapeutique et de « tirer quelque profit » de cette concurrence biologique. Mais il ajoute : « il nous a été malheureusement impossible de poursuivre plus loin ces expériences. […] Il faudrait ensuite voir si l’animal est immunisé en lui injectant des cultures microbiennes pures ». Ces résultats furent consignés uniquement dans la thèse de Duchesne, intitulée « Contribution à l’étude de la concurrence vitale chez les microorganismes. Antagonisme entre les moisissures et microbes » (soutenue à Lyon le 17 décembre 1897). Cette thèse – jury présidé par Raphaël Lépine – obtint les éloges et la note 20, mais nulle publication dans un périodique scientifique ne vint assurer la diffusion de ces observations dont Duchesne avait reconnu l’importance. Le travail expérimental n’a apparemment pas été poursuivi. Après avoir été en poste dans plusieurs garnisons, dont Senlis, Duchesne, après avoir perdu sa jeune femme précocement atteinte de tuberculose, lui-même contaminé, est mis en disponibilité et meurt à 37 ans à l’hôpital des armées d’Amélie-les-Bains (Pyrénées Orientales) où un square porte son nom. Dans l’exposé de titres écrit pour sa candidature malheureuse à la succession du professeur Lortet, Gabriel Roux mentionne simplement la thèse de Duchesne, sans développer les travaux expérimentaux qui en furent l’objet. Plusieurs historiens de la médecine se sont interrogés sur les raisons de cette attitude qu’ils jugent étrange. Il se pourrait qu’elle tienne au caractère contradictoire entre les données fournies par les essais in vitro et les faits observés in vivo. On peut remarquer qu’il fallut de même plus de dix années avant que soit exploitée la découverte fortuite, en 1928, par Alexander Fleming de la lyse d’une culture de staphylocoques par le contact inopiné avec du Penicillium notatum, et que la pénicilline soit isolée à des fins thérapeutiques par Florey et Chain. Une plaque sur la maison natale de Gabriel Roux à Issoire honore ce « précurseur qui prépara la voie à la découverte de la pénicilline et des antibiotiques ».

 Gabriel Roux était membre de la Société de médecine de Lyon, de la Société des sciences médicales de Lyon, de la Société physiophile (président en 1874), de la Société linnéenne de Lyon, de la Société botanique de Lyon (président en 1891), de la Société d’anthropologie de Lyon.


Académie

Sur le rapport de Jean Baptiste Saint-Lager*, Gabriel Roux est élu titulaire le 7 juin 1898 au fauteuil 2, section 2 Sciences. Curieusement, le procès-verbal de la séance ne mentionne pas son élection, mais il est reçu à la séance suivante comme nouvel élu. Il participe peu aux travaux de l’Académie, quoiqu’il ait été nommé secrétaire adjoint de la classe des sciences. Il fait un rapport le 22 novembre 1898 sur les candidats à l’élection de membres titulaires dans la classe de sciences de MM. Lesbre* et Cadéac*, tous deux professeurs à l’école vétérinaire, et de M. Crolas* professeur à la faculté de médecine ; sa préférence va à Gabriel Ferdinand Crolas, qui sera élu le 6 juin 1899 (les deux autres ne le seront respectivement qu’en 1913 et en 1924 !). Le 7 février 1899, en réponse à une communication de Marius Antoine Horand* – qui, relatant un procès récent, soutient la non-contagiosité de la pelade et s’élève contre le renvoi d’un employé de commerce parisien pour cause de pelade – il croit que si l’existence du microbe de la pelade n’est certes pas démontrée, la pelade est néanmoins contagieuse et doit entraîner l’éviction scolaire. Il n’y a pas trace d’un discours de réception, à moins qu’en tienne lieu une communication du 7 mars 1899 sur une épidémie de typhoïde à Lyon dans l’été 1898. Il attribue cette épidémie à l’usage de l’eau des puits où il a isolé un colibacille très virulent. Cette contamination aurait trois causes : la présence d’une digue sur le Rhône en face de Vassieux, qui entretient dans les lônes une eau croupie s’infiltrant dans les puits ; l’usage des engrais dans les cultures maraîchères ; et une aspiration plus considérable par les pompes des eaux basses en été pour les monter vers les étages supérieurs des maisons. Il propose des mesures préventives : la suppression des puits, des travaux sur le Rhône pour ramener un courant d’eau suffisant sur la rive droite, l’achat de terrains aux Hospices civils autour des puits de filtration, l’interdiction de vidange dans un ruisseau de Caluire, l’interdiction d’aspirer des eaux stagnantes contaminées. Une discussion technique sur la question s’engage à la séance suivante (14 mars 1899). Y participent les ingénieurs Arnould Locard père* et Henri Tavernier*, ainsi que Gabriel Roux et le chirurgien Xavier Delore* qui a fait plusieurs communications sur l’hygiène et la vidange des eaux usées. Sont envisagées, entre autres, la destruction de la digue que ne justifie plus la navigation sur le Haut-Rhône « devenue sans importance », ainsi que l’acheminement à Lyon de l’eau de l’Ain par la construction d’un barrage. (compte rendu 1898-1900, 22). Le 25 novembre 1902, il communique des observations sur la propagation des moustiques à Lyon ; il élimine une propagation liée aux égouts après être descendu dans les égouts et avoir constaté l’absence de nids. Il attribue la diminution des moustiques à l’augmentation des hirondelles grâce à une politique entreprise en Italie, pour prévenir leur destruction (compte rendu 1901-1905, 23).

Le 14 janvier 1908, lecture est donnée en séance d’une lettre où il annonce sa démission « pour des raisons d’ordre personnel », tout en remerciant la compagnie du « témoignage d’estime qu’elle lui a adressé en le nommant de nouveau secrétaire adjoint ». Aymé Camelin* a consacré une communication aux travaux de Roux et Duchesne, considérés comme un début manqué de l’antibiothérapie (MEM 30, 1977 : résumé).

Bibliographie

G. Roux, Titres et travaux, Paris, Steinheil, 1892, 28 p. – J. Godart, « Le précurseur français de l’action antibiotique du pénicillium», Bull. Acad. nat. méd., 1949, 3e sér., p. 133. – J. Hassenforder, « Histoire des origines de la découverte de l’action antibiotique du pénicillium. Un précurseur lyonnais : Gabriel Roux (1853-1914) », Hist. méd. 7, 1957 (4), p. 35-40. – A. Camelin*, « Gabriel Roux, ou pourquoi la pénicilline ne fut-elle pas découverte à Lyon », Lyon médical, 1969, n° spécial, p. 177-184. – A. Camelin, « Gabriel Roux et Ernest Duchesne. Quelques précisions sur les débuts manqués de l’antibiothérapie à Lyon », Lyon pharmaceutique 26, 1975 (2), p. 183-188. – J. Archimbaud, « Un précurseur de la découverte de la pénicilline : le professeur Gabriel Roux », Bull. hist. sc. Auvergne 88, 1976, p. 111-131. – J. Pouillard, « Une découverte oubliée, la thèse du Dr. Ernest Duchesne (1874-1912) », Hist. des Sciences médicales, 36, n° 1, 2002, p. 11-20. – DBR, (photo). – Gérard Corneloup, DHL.

Publications

Ouvrages : Étude sur l’embrasement des vapeurs d’éther et sur les dangers de l’anesthésie par cet agent dans certaines opérations, thèse méd., Lyon ; Vve Chanoine, 1879, 48 p. – Ville de Lyon. Amélioration du service des eaux. I. Rapport de M. le Dr Lortet à la Commission municipale d’hygiène. II. Programme des analyses microbiologiques des eaux de la ville de Lyon. III. Premier rapport technique […] sur l’analyse microbiologique des eaux de la ville, Lyon, Ass. typogr., 1890, 41 p. – La Défense sanitaire des Villes. Les Bureaux d’hygiène, Lyon, Delaroche, 1891. – Précis d’analyse microbiologique des eaux : suivi de la description sommaire et de la diagnose des espèces bactériennes des eaux, Paris, J. B. Baillière, 1892, XVI + 408 p. – Avec A. J. Rochaix, Précis de microbie et de technique bactérioscopique, Lyon, Storck, 1898, VIII + 551 p ; 2e éd., Paris, Maloine, 1911, VII + 606 p.

Notes et mémoires : 160 publications ; citons par exemples : « Étude sur les mouvements des carpelles de l’Erodium ciconium », Ann. Soc. Bot. Lyon 1, 1872-1873, p. 25-35. – « Études étiologiques sur une épidémie locale de fièvre typhoïde à 1,000 mètres d’altitude », Mém. Soc. Sci. Méd. Lyon 24, 1884, p. 225-245. – « Coup d’œil géologique sur le canton d’Ardes-sur-Conze, Puy-de-Dôme », Ann. Soc. Linn. Lyon 31, 1886, p. 1-12. – « Sur un procédé technique de diagnose des Gonococci », CRAS 103, 1886, p. 899-900. – « Contribution à l’étude de la morphologie et de la biologie du Champignon du Muguet », Bull. Soc. bot. Lyon 7, 1889 (1), p. 29-37. – « Sur la culture des bactéries, et particulièrement des Streptocoques, dans les milieux au touraillon », C. R. Soc. Biol. 41, 1889, p. 507-508. – « Analyse bactériologique des eaux. Méthode de culture sur les solides », Ann. Hyg. Publ. 2, 1891, p. 401- 418. – « Présence du Streptocoque de I’érysipèle dans l’air des salles d’hôpital », Mém. Soc. Sci. Méd. Lyon 33, 1893, p. 12-13. – « Sur une oxydase productrice de pigment, sécrétée par le colibacille », CRAS 128, 1899, p. 693-695. – « Les bains hygiéniques populaires en Autriche, Allemagne, et à Lyon », Revue d’hygiène, août 1899. – « Notes helminthologiques », Lyon médical 107, 1906 (25), p. 45-54.