Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

CHANTRE Ernest (1843-1924).

par Louis David.

  Benoît Jean Paul Ernest est né le 14 janvier 1843 à La Guillotière (Rhône), fils de Jacques Auguste Chantre (Lyon 12 septembre 1804-Lyon 6e 20 février 1889), courtier de commerce, et de Jeanne Claudine Hilaire Nelly Rolle (Montbrison 2 septembre 1808-Lyon 3e 21 novembre 1865) ; témoins Brouchoud Claude et Charreton Jean-Baptiste. On notera que, lors de son mariage le 28 octobre 1834, sa mère portait comme seuls prénoms Jeanne Claudine Hilaire ; lors de la naissance de son fils aîné, Jean-Baptiste Antoine Ernest, le 23 décembre 1835, elle avait comme prénoms Jeanne Hilaire Claire ; plusieurs auteurs ont aussi confondu les prénoms des deux frères.

  Issu d’un milieu aisé, Ernest Chantre dispose d’une fortune suffisante pour se livrer librement à sa passion pour les sciences naturelles : il participe bénévolement au rangement des collections, surtout celles de géologie, lors de la prise de fonction de Louis Lortet* comme directeur du muséum de Lyon en 1869. La guerre de 1870 interrompt les travaux du musée avec la mobilisation de Lortet et de Chantre, mais ce dernier revient à Lyon dès février 1871 pour cause de variole, et le maire Louis Hénon* le charge d’assurer l’intérim de la direction. Sa nomination comme attaché au muséum intervient en 1873 et, le 6 décembre 1877, on crée pour lui un poste de sous-directeur avec effet au 1er janvier 1878.

  À partir de 1879, c’est en Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord qu’il étend le domaine de ses recherches : Russie méridionale, Caucase et Arménie (1879, puis 1890-1891), Égypte, Syrie, Kurdistan et Caucase (1881), Italie, Autriche et Russie (1883), Hongrie, Croatie et Bosnie (1886), Asie mineure, Turquie, Russie et Transcaucasie (1892, 1894), Tripolitaine et Tunisie (1907, 1908), Égypte et Nubie (1897-1898-1899, 1904). Ces missions effectuées à ses frais sont patronnées par le ministère de l’Instruction publique, ce qui est la règle et permet d’avoir un passeport diplomatique.

  En dehors de sa passion pour les missions de terrain, sa fortune lui permet d’éditer des publications luxueuses. Son autre passion est la recherche des honneurs. S’il est officier d’Académie en 1875 puis devient chevalier de la Légion d’honneur le 31 mars 1896 au titre de l’Instruction publique (LH 481/53), il a surtout accumulé des distinctions étrangères, en Russie d’abord et dans divers pays européens (Italie, Portugal, Suède, Danemark, etc.). Il est membre de très nombreuses sociétés savantes, françaises comme étrangères ; il participe à tous les congrès, en particulier à ceux d’Anthropologie et Archéologie préhistoriques dont il sera secrétaire entre 1869 et 1880.

  Il donne un cours complémentaire d’anthropologie à la faculté des sciences à partir de 1881 jusqu’en 1908, un autre d’ethnographie à la faculté des lettres de 1892 à 1901, et un autre de géologie à l’école départementale d’agriculture du Rhône en 1878-1881. Il participe à la fondation de la société d’anthropologie de Lyon et à celle de la société des amis des sciences naturelles.

  Le 13 avril 1886, alors qu’il est domicilié 37 cours Morand (act. cours Franklin-Roosevelt) avec son père, il se marie, à Lyon 4e, avec Jeanne Bellonie Bourdaret, née à Lyon le 21 août 1866, fille d’Antoine Bourdaret, architecte, et d’Émilie Métrat ; Louis Lortet représente son père, probablement fatigué. Les témoins, à l’église (?), sont Christian Marc Édouard Chantre, son cousin, et Adrienne Louise Marguerite Hélène Andrié qui se marieront à leur tour le 17 octobre 1888.

  En 1908, la carrière muséale de Chantre se termine de façon désastreuse par une « affaire », grave au plan scientifique. À la suite d’un différend, somme toute banal, relatif à l’âge d’un crâne égyptien montrant des caractères syphilitiques – trouvé par Lortet qui le pensait préhistorique et que Chantre jugeait plus récent –, les relations entre les deux hommes se détériorent. Le 13 juin 1908, Lortet revient sur l’âge du crâne devant la Société d’Anthropologie de Lyon – ce qui, dira Chantre, ne présente « rien de grave » –, mais Lortet ajoute qu’en revoyant certaines publications il a constaté que Chantre avait copié des figures d’autres auteurs sans citer ses sources, et en laissant croire que les objets venaient de ses propres fouilles à Khozan (Khozam, Haute-Égypte). La presse s’empare de l’affaire. Le Progrès, sous le titre Tempête sur un crâne, évoque le différent à propos du crâne, développant l’accusation de plagiat, et ajoute que Chantre n’aurait pas fouillé à Khozam en 1898-1899 selon Victor Loret, ancien directeur général du service des antiquités de l’Égypte. Le 8 juillet, Loret envoie une lettre rectificative au journal, expliquant qu’il ne pouvait se rappeler, après 10 années, les nombreuses autorisations de fouille qu’il avait données, mais qu’il avait consulté les inventaires publiés des objets entrés au musée du Caire sans y trouver trace d’objets de Khozam (le matériel de fouille devant être partagé entre le fouilleur et le musée du Caire). Le 7 novembre, Chantre présente sa défense devant la société d’anthropologie : il insiste d’abord sur la réalité de ses fouilles à Khozam, ce qui d’ailleurs n’était plus contesté ; il reconnaît que tous les objets ont été partagés entre le muséum de Lyon et le musée du Trocadéro, sans expliquer pourquoi il n’a rien laissé au musée du Caire ; enfin il tente de rejeter sur son dessinateur la responsabilité de s’être inspiré, ou d’avoir copié, les dessins de Morgan et Petrie, ou sur une erreur de mise en page... Cette maladroite tentative de justification reste peu crédible, même s’il ne fait référence qu’à son ouvrage de 1904, oubliant que ces mêmes « erreurs » sont répétées dans ses publications de 1905 et 1907. Il diffuse ses arguments sous forme d’une brochure de 24 pages, pour conclure que « de plagiat, il ne peut être question, de tromperie scientifique et de manœuvres frauduleuses encore moins ». La brochure étant largement diffusée, Lortet répond à son tour par une brochure imprimée de 10 pages intitulée ; La vérité ; on y trouve une lettre de J. de Morgan, du 21 juin 1908, confirmant que quatre figures ont été copiées dans sa publication de 1896 ; une lettre du 27 juin 1908 de Fl. Petrie confirme, avec un bel humour britannique, que quatre dessins de 1896 ont aussi été copiés. Ces huit dessins d’objets sont publiés dans le Bulletin de la société d’anthropologie de 1907 comme provenant de Khozam, alors qu’ils venaient de Nagada, Abydos, Toukh ou El Amrah, ce qui constitue scientifiquement un faux. Dans son livre de 1904 sur l’anthropologie de l’Égypte et de la Nubie, Chantre utilisait quatorze autres plagiats tirés des Origines de l’Égypte (1896-1897) de Morgan, dont il change aussi les provenances ; quatre d’entre eux sont repris dans la revue L’homme préhistorique de 1905.

  Édouard Herriot, maire de Lyon, demande alors à Charles Depéret* d’enquêter sur le conflit entre le directeur et le sous-directeur du muséum. Dans son rapport (4 octobre), Depéret précise que la question du crâne de Rodâ n’est qu’une divergence d’opinion. Il prend acte que Chantre a bien effectué des fouilles à Khozam en 1899 ; il recherche les quatorze objets figurés dans le livre de 1904 et, en principe, conservés au muséum. Sa conclusion est que seules quatre pièces sont originales ; sur les huit incriminées par Lortet, trois peuvent être écartées car « [ils] ne sont rigoureusement identiques » ni aux vases figurés par Morgan, ni à ceux du muséum, donc « paraissent être des dessins de fantaisie exécutés par un artiste qui a dû s’inspirer fortement des figures de M. de Morgan » ; cinq sont « très fidèlement copiées sur les planches de MM. de Morgan et Flinders Petrie et, ce qui est plus grave encore, transposées de localité ». Le rapport complet de Ch. Depéret figure dans la brochure La vérité de Lortet.

  En définitive, l’examen rigoureux à une époque plus récente des collections Chantre du muséum de Lyon, amorcé par Lortet, et la confrontation avec les publications, font ressortir de fausses « découvertes » – alors qu’il s’agit d’achats ou de dons –, des falsifications d’étiquetage (attribution d’objets à lui-même alors qu’ils ont été trouvés par d’autres chercheurs tels Setton Karr), des dispersions d’objets même après intégration dans les collections du muséum, et des falsifications scientifiques (évoquées ci-dessus).

  Chantre est démis de son poste de sous-directeur à la fin de 1908, poste non remplacé. Son cours à la faculté des sciences est supprimé. Il réduit son activité scientifique, fréquente encore les milieux anthropologiques et le muséum où le personnel, et même le nouveau directeur Claude Gaillard*, ont eu à se plaindre de son comportement.

  Chantre est décédé en sa propriété d’Écully le 24 décembre 1924 à la suite d’une pneumopathie. Engagé depuis longtemps dans les œuvres de bienfaisance, en particulier en faveur des enfants défavorisés, il lègue sa fortune aux Hospices civils de Lyon. Une large partie des objets achetés ou découverts par Chantre font partie des collections du muséum de Lyon, ainsi qu’une importante bibliothèque, et surtout un ensemble de plus de 3 000 photographies.

  Divers objets de collection dont l’origine n’est pas précisée ont été dispersés le 10 avril 2014 par Me Gondran (Interenchères).


Académie

Élu le 3 juin 1879, fauteuil 3, section 2 Sciences, sur un rapport de Marmy daté du 20 mai de la même année, appuyé par Loir, Guimet et Mollière.

Il est correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1922.

Bibliographie

L. Manouvrier, « Rapport sur les recherches anthropologiques dans le Caucase par M. Ernest Chantre », Bull. Soc. Anthrop. Paris 11, 1888, p. 198-221. – L. Lortet, La Vérité, Lyon : Assoc. Typogr., 1908, 10 p. – J. Audry, « Discours prononcé aux funérailles de M. Ernest Chantre le 27 novembre 1924 », Ac Rapports 1924-1926, p. 119-124 (portrait). – L. Mayet, « Ernest Chantre », Bull. Soc. Linn. Lyon 4-3, 1925, p. 19-20. – E. Pittard, « Hommage à la mémoire d’Ernest Chantre (1843-1924) », AFAS, 49e session, Grenoble 1925, p. 461-463. – S. Reinach, « Ernest Chantre », Rev. Archéol. 21, p. 165. – H. Muller, « M. Ernest Chantre », Bull. Soc. Ét. Hist. Scient. Litter. Hautes-Alpes, 1925, p. 191-198. – Notice dans Ève Gran-Aymerich, Dictionnaire biographique archéologique, Paris : CNRS Édition, 2001. – J.-C. Goyon, « Deux pionniers lyonnais de la paléo-écologie de la vallée du Nil égyptien : Victor Loret (1859-1946) et Louis Lortet (1836-1909). La constitution de la collection égyptienne du muséum d’histoire naturelle de Lyon », Du Muséum au Musée des Confluences 1, 2008, p. 125-135. – C. Lorre, « Ernest Chantre (1843-1924) et ses recherches dans la nécropole de Koban (Ossétie du Nord) », Du Muséum au Musée des Confluences 1, 2008, p. 161-172, portrait. – DBF : l’article de St. Le Tourneur, pourtant long, ne dit mot des mésaventures de Chantre. – Béatrice André-Leicknam et Jean-Pierre Mohen, « Voyages archéologiques au Caucase à la fin du xixe siècle », Revue du Louvre 28, 1978, p. 313-322, 12 fig.

Manuscrits

Les ADR possèdent un fonds Chantre (16 J) qui comprend des papiers familiaux, une correspondance et quelques documents anciens. Voir « Ernest Chantre, archéologue, 1772-1912 », répertoire numérique par A. Chappaz et M.-A. Dubos, dossier ADR n° 16 J 1-20 (en ligne sur Internet, il permet d’avoir la liste de tous les documents dans les archives).

Publications

Chantre a publié au moins 230 articles d’importance très inégale.

Travaux importants en collaboration : Avec L. Lortet*, « Études paléontologiques dans le bassin du Rhône. Période quaternaire ». Arch. Mus. Hist. nat. Lyon 1, 1872, p. 59-130, 1 fig., 2 tabl., pl. 9-21. – Avec L. Lortet, « La faune et le climat du bassin du Rhône pendant l’époque quaternaire », Rev. Scient. (2) 10, n° 42, p. 361‑369. – Avec A. Falsan*, « Monographie des anciens glaciers et du terrain erratique de la partie moyenne du bassin du Rhône », Ann. Soc. Agric. Lyon (4) 7, 1874, p. 611-864 ; 10, 1877, p. 117‑141 ; (5) 1, 1878, p. 509-874 ; 2, 1879, p. 205-474. Réunis en 3 volumes : XXVIII + 622 p., 42 fig. ; 572 p., 147 fig. ; atlas in folio. – Avec L. Lortet, « Études paléontologiques dans le bassin du Rhône. Période tertiaire : recherches sur les mastodontes et les faunes mammalogiques qui les accompagnent, Arch. Mus. Hist. nat. Lyon 2, 1878, p. 285-313, pl. 1-17 + 16bis. – Avec L. Bertholon, Recherches anthropologiques dans la Berbérie orientale (Tripolitaine, Tunisie, Algérie), Lyon : Rey, 1912-1913, 2 vol., 662 p., ill.

Nota : dans les listes que Chantre établit et publie, il omet très souvent de mentionner l’autre auteur, même s’il s’agit de l’auteur principal (Lortet, Falsan...) ; il se présente même parfois faussement comme co-auteur (par exemple pour la note de C. Gaillard, « Sur la faune du gisement sidérolithique éocène de Lissieu [Rhône] », CRAS, 1897, p. 986-987).

Ouvrages importants consacrés aux résultats de ses missions : Études paléontologiques ou recherches géologico-archéologiques sur l’industrie et les mœurs de l’homme des temps antéhistoriques dans le nord du Dauphiné et les environs de Lyon, Paris : Savy, Lyon : Mégret, 1867, 132 p., 14 pl. – Les palafites ou constructions lacustres du lac de Paladru..., Grenoble : Ville, 1871, 23 p., 1 carte, 13 pl. – Âge du Bronze, Paris : Baudry, Lyon : Pitrat, 1875, 318 p., ill. – Recherches anthropologiques dans le Caucase, Paris : Reinwald, Lyon : Georg, 1885-1887, 5 vol. : t. 1 : 1 carte, XXXVI + 93 p., 2 portraits, 6 pl. ; t. 2 : 223 p. + Atlas 78 pl. ; t. 3 : 136 p. + Atlas 29 pl. – Les Arméniens, esquisse historique et ethnographique, Lyon : Georg, 1896, 53 p. – Mission en Cappadoce 1893-1894, Paris : Leroux, Lyon : Pitrat-Rey, 1898, 224 p., 205 fig., 1 carte. – « L’homme quaternaire dans le bassin du Rhône : étude géologique et anthropologique ». Ann. Univ. Lyon n.s., 1-4, 1901, 189 p., 73 fig. – Recherches anthropologiques dans l’Afrique orientale [...] Égypte, Lyon : Rey, 1904, 309 p., 297 fig. – « Recherches anthropologiques en Égypte », in L’Homme préhistorique (3) 4, avril 1905, p. 111-124, fig. 53-56 [présentation détaillée par l’auteur du livre de 1904].

Divers : « Notice historique sur la vie et les travaux de J.-J. Fournet*... », Ann. Soc. Sci. Indus. Lyon, 1870, p. 5-87 (bibl.). – Réponse de M. Ernest Chantre aux accusations portées contre lui au sujet de ses travaux sur la nécropole de Khozan, Lyon : Rey, 1908, 24 p.

Communications orales : 131 ont été mentionnées dans le bulletin de la Société archéologique de Lyon, et aussi dans celui de la Société Linnéenne : liste complète dans Acta Societatis Linneanae Lugdunensis, en ligne.

Cette notice a été révisée.