Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

LUMIÈRE Auguste (1862-1954)

par Maryannick Lavigne-Louis.

 Auguste Marie Louis Nicolas Lumière naît le 19 octobre 1862 à Besançon, 10 place Saint-Quentin. Sont déclarants Théodore Auguste Berthelot, doreur à Besançon, et Achille Pechelache, horloger. Auguste est le premier fils de Claude Antoine Lumière, lui-même fils d’un vigneron et charron (Ormoy [Haute-Saône] 13 mars 1840-Paris 9e 67 rue Rochechouart 15 avril 1911), et de Jeanne Joséphine Costille (Paris 29 juillet 1841-Lyon 20 décembre 1915), fille d’un imprimeur de Belfort. Le couple s’est marié à Paris 5e le 24 octobre 1861 ; Claude Antoine est peintre en lettres 39 rue Saint-Victor, tandis que Joséphine, habitant avec ses parents à la même adresse, est blanchisseuse. Il a pour témoin le peintre aquarelliste Auguste Aristide Fernand Constantin (1824-1895) qui l’initie à la peinture et se montre à l’occasion son bienfaiteur ; en hommage, Antoine prénomme son premier fils Auguste.

 Venu habiter à Besançon, Antoine suit des cours de peinture et de photographie à l’école d’art industriel tout récemment créée, où il obtient un prix de dessin et où il est chargé de cours en 1865. Deux ans après Auguste, naît le 5 octobre 1864, 143 Grande-Rue, leur second fils Louis Jean ; Antoine se dit « peintre et photographe ». L’artiste peintre Victor Jeanneney, déclarant, est accompagné par Achille Pechelache. Ce dernier est encore présent lors de la déclaration de naissance le 5 avril 1870, 59 rue des Granges, de Jeanne Claudine Odette (2 avril 1870-Lyon 6e 24 novembre 1926), mariée le 25 septembre 1890 à Lyon à René Kohler*, honorée de la Légion d’honneur le 29 décembre 1924 pour son action dans l’aide sociale et la puériculture, et à laquelle la ville de Lyon a rendu hommage en 1927 en donnant son nom à une rue du 3e arr.

 Antoine opte définitivement pour le métier de portraitiste photographe. Fuyant les Prussiens, la famille vient s’installer à Lyon, où vont naître les autres enfants : Mélina Juliette (Lyon, 7 rue des Marronniers, 30 septembre 1873-Montpellier 5 janvier 1924), mariée le 31 août 1893 à Lyon (le même jour que son frère Auguste), avec Jules Winckler brasseur de bière, se remarie le 2 septembre 1901 à Evian avec Armand Louis Henri Gélibert ; Francine, dite France (Lyon, 16 rue de la Barre, 18 septembre 1882-La Ciotat 3 mai 1924), se marie le 9 juin 1903 avec Charles Winckler, brasseur de bière ; Pétrus Édouard (né le 18 novembre 1884, 16 rue de la Barre), mobilisé en 1914 dans l’aviation, meurt pour la France le 17 février 1917 à Saint-Sauveur (Haute-Saône) aux commandes de son avion.

 Antoine Lumière possède un atelier de photographie dans un baraquement adossé à l’Hôtel-Dieu, en face de l’habitation de la rue de la Barre, où Joséphine son épouse l’aide avec une grande dextérité. Dès 1872 il reçoit une médaille d’or à Lyon pour ses talents de photographe. Entré dans la franc-maçonnerie en 1865, Antoine entend donner à ses fils une instruction laïque. Auguste et Louis fréquentent l’école primaire, puis l’institution Franklin, une école de commerce créée par un des amis de leur père dans le domaine des Hirondelles à Monplaisir. Ensuite ils font de brillantes études à la Martinière, et Auguste obtient le bac. Handicapés par des migraines, les deux frères ne peuvent envisager de tenter le concours de Polytechnique, mais surtout ils fourmillent d’idées. C’est ainsi qu’entre 1884 et 1945, ils ont déposé 240 brevets d’invention ou de perfectionnement. Antoine, voyant le génie de ses deux fils, envisage de créer une véritable usine. En 1881, il devient locataire, avec promesse d’achat, d’une ancienne chapellerie, 25 chemin Saint-Victor à Monplaisir, où il entame immédiatement des travaux, à la grande surprise d’Auguste de retour du service militaire : « Mon père avait abandonné sa maison de photographie, espérant gravir quelques échelons de plus dans l’échelle sociale et faire fortune dans l’industrie, il avait voulu fonder une usine pour la fabrication des plaques au gélatino-bromure d’argent, et avait loué un vaste local à Monplaisir ». Le 5 janvier 1884 est fondée la Société Antoine Lumière et ses fils, devenue en 1892 la Société anonyme des plaques et papiers photographiques Antoine Lumière et ses fils ; puis la dénomination évolue en fonction de la fusion avec une autre société (Union photographique industrielle Lumière et Jougla réunis, en 1911). Enfin, entre 1928 et 1975, elle devient la Société Lumière, avant sa fusion avec Ilford. Parallèlement, Antoine développe la fabrication du papier photographique en créant en 1892 une usine à Charavines (Isère). En récompense de ses succès (il emploie plus de 200 personnes), Antoine Lumière est fait chevalier de la Légion d’honneur le 2 avril 1894. Les bâtiments industriels ne cessent de s’agrandir, d’autant plus qu’Auguste et Louis sont à l’origine de deux inventions considérables, le cinématographe en 1895 – invention dont Auguste ne mesure pas l’importance, n’y voyant en 1900 qu’« une curiosité scientifique », sans « aucune valeur commerciale quelle qu’elle soit » –, et en 1903 les autochromes, considérés par Auguste et Louis Lumière comme leur chef-d’œuvre. Leur procédé utilise pour filtrer la lumière un seul écran trichrome composé de millions de grains de fécule de pomme de terre teintés des trois couleurs primaires – bleu, vert et rouge –, dont la commercialisation en 1907 connut un grand succès jusqu’à l’apparition du Kodachrome (1935) et de l’Agfacolor (1936). Auparavant le procédé de reproduction photographique des couleurs reposait sur une méthode interférentielle présentée en 1891 par Gabriel Lippmann, lourde d’utilisation nécessitant trois enregistrements successifs des trois couleurs primaires sur une plaque de verre recouverte d’une émulsion photosensible à base de nitrate d’argent et de bromure de potassium.

 Antoine est fait officier de la Légion d’honneur le 18 novembre 1906, année où il déclare occuper plus de 1 000 personnes. Les bâtiments d’usine situés entre le cours Gambetta et le chemin Saint-Victor (act. rue du Premier-Film) qui couvraient une très grande superficie, ont été démolis en 1975, à l’exception d’un hangar, dit « hangar du premier film », classé monument historique en 1994 et réhabilité récemment. La fortune étant au rendez-vous, Antoine a, comme l’écrit Auguste, « la maladie de la pierre invétérée [...] grisé par le succès de notre entreprise, il fit bientôt l’acquisition d’une propriété à La Ciotat, sur laquelle il construisit une grande et belle villa, puis créa un vignoble avec des caves monumentales ; il éleva encore d’autres constructions à Evian, à la Turbie et enfin à Monplaisir. » Entre 1899 et 1902, il fait construire par les architectes Alex et Boucher, en bordure ouest de la place de Monplaisir (act. place Ambroise-Courtois) le somptueux « château Lumière », acquis par la ville de Lyon en 1975 et siège de l’Institut Lumière depuis 1982. En 1896, Auguste et Louis, tous les deux récemment mariés, se font construire par l’architecte P. Court leur propre villa commune au nord de celle de leur père, en bordure du cours Gambetta (n° 262, devenu en 1935 le n° 96 du cours Albert-Thomas), démolie en 1975.

 Auguste Lumière se marie le 31 août 1893 avec Marie Euphrasie Marguerite Winckler, grande mélomane (Lyon, 13 septembre 1874-25 juin 1963), fille de Joseph Alphonse Winckler, brasseur de bière (Champagnole [Jura] 3 octobre 1839-Nice 21 avril 1925), chevalier de la Légion d’honneur (14 août 1900), et de Marie Léocadie Thévenin (Champagnole 27 juin 1839-Lyon, 3e 22 février 1917). La famille Winckler, d’origine alsacienne, venue s’installer à Lyon en 1869 dans le quartier de la Guillotière, a tissé avec la famille Lumière des liens étroits concrétisés par quatre unions (Louis Lumière et Rose Winckler, Auguste Lumière et Marguerite Winckler, Jules Winkler et Juliette Lumière, Charles Winckler et France Lumière). De son mariage, Auguste a deux enfants, Andrée (1894-1917), et Henri (Lyon, 8 mai 1897-Cannes, 4 octobre 1971), marié en 1926 avec sa cousine doublement germaine Odette Winckler ; Henri a été président de la société Lumière de 1940 à 1964, administrateur-fondateur d’Air France, et président de l’aéroclub du Rhône et du Sud-Est de 1931 à 1967, titulaire de la médaille de la Résistance et officier de la Légion d’honneur.

 Proche de ses deux beaux-frères médecins, René Kohler et Armand Gélibert, Auguste Lumière, chimiste, s’oriente vers la biologie ; en 1896 il installe dans l’usine familiale un laboratoire de pharmacodynamique et crée, 9 cours de la Liberté, la Société des produits chimiques spéciaux « Brevets Lumière » (transférée en 1932 45 rue Villon). Le 1er octobre 1904, il lance la revue L’Avenir médical, et en 1910 il crée des laboratoires de recherches scientifiques de 5 000 m2 sous le nom de la Société Anonyme des Produits chimiques Spéciaux, et un dispensaire dans la rue Villon. Les blessés de la guerre de 14-18 l’incitent à mettre au point le Tulle Gras, précieuse découverte permettant d’activer la cicatrisation des plaies. En 1918, il crée 45 rue Villon la Clinique Lumière, « dont le personnel composé de 15 médecins et de 30 techniciens et administratifs, assurait entre 100 et 150 consultations par jour. Dans cette clinique fut réalisé un grand nombre d’examens (endoscopie, radiographie, analyses biologiques…). Auguste s’était dès 1899 passionné pour l’étude du cancer. Dès 1914, il se lia d’amitié avec Léon Bérard, directeur du Centre anticancéreux de Lyon dont il devint l’assistant à l’hôtel-Dieu en 1917, puis au Centre en 1922 » (Jean Freney). Il pratique la médecine en autodidacte (il s’intéresse particulièrement à la tuberculose), consacre sa fortune aux soins des malades, travaille énormément, et publie beaucoup (près de 200 ouvrages). « Ces efforts ont abouti à la découverte d’un certain nombre de médicaments dont la haute valeur est aujourd’hui confirmée. Ce sont principalement, et pour ne citer que les plus importants : les persulfates alcalins (Persodine) employés par voie gastrique contre l’anorexie et, en injections, contre les contractions spasmodiques du tétanos ; le mercure phénol disulfonate de sodium (Hermophényl), produit antiseptique ne précipitant pas les albuminoïdes et antisyphilitiques, absorbable par injections intramusculaires ; les semicarbazides aromatiques, dont la Cryogénine est le type, antipyrétique-analgésique remarquable par son activité et son innocuité ; le tartrate borico-sodique (Borosodine), sédatif nervin très en faveur auprès des psychiatres ; les thiodérivés métalliques organiques, parmi lesquels l’argento-thiopropanolsulfonate de sodium (Cryptargol), seul médicament capable de réaliser une antisepsie intestinale effective, et le dérivé correspondant de l’or (Allochrysine), dont les effets dans la tuberculose et le rhumatisme chronique sont maintenant universellement reconnus et appréciés. L’Allochrysine permet d’utiliser les ressources immenses de la chrysothérapie par injections intra-musculaires » (BML).

 Entré en 1881 dans la franc-maçonnerie, Auguste Lumière est un humaniste laïc. Président d’honneur de la Ligue populaire antialcoolique de Lyon, il est soucieux d’améliorer les conditions de travail du personnel des usines Lumière, majoritairement féminin, en créant par exemple une caisse de retraite, et en favorisant la création de l’Amicale Lumière. Pendant la guerre de 1914-18, il met au point avec son frère Louis une prothèse « pince-main » articulée, et en offre 5 000 exemplaires à des soldats mutilés.

 Mais la fin de la vie d’Auguste est assombrie par son attitude pétainiste pendant la seconde guerre mondiale. Ayant reçu la francisque, il est nommé au conseil municipal de Lyon, et en 1942 il adhère au comité de parrainage de la LVF [Légion des volontaires français] de Jacques Doriot, tandis que son fils Henri est résistant.

 Auguste Lumière s’éteint le 10 avril 1954 à Lyon, il est inhumé le 13 dans le tombeau familial du cimetière de la Guillotière après une cérémonie intime dans l’église Saint-Maurice. Auguste Lumière a été administrateur de l’école de la Martinière, administrateur de l’école de chimie industrielle de Lyon, membre correspondant de l’Académie des sciences (1928), conseiller du commerce extérieur de la France, correspondant du ministre de l’Instruction publique, membre du comité des travaux historiques et scientifiques, administrateur des hospices civils de Lyon, administrateur du sanatorium d’Hauteville. Il a reçu de très nombreuses décorations ; fait chevalier de la Légion d’honneur en 1897, il a été décoré par son père Antoine ; officier en 1908, commandeur en 1923, et grand officier en 1935.


Académie

Auguste et Louis présentent une Note sur la photographie des couleurs, avec projections électriques, le 4 mars 1894 (MEM 1895, p. 137-140). Exceptionnellement la séance a lieu dans les salons de Casati. En juin de la même année l’Académie, sur le rapport d’Alfred Léger*, leur remet la médaille de la fondation instituée en 1804 par le prince Lebrun. Sur rapport de Victor Grignard* du 21 novembre 1933, Auguste est reçu comme titulaire au fauteuil 5, section 1 Sciences, le 12 décembre 1933, en remplacement du comte de Sparre* décédé, tandis que son frère Louis, parti vivre à Neuilly, est reçu comme membre associé à la même date. Le 9 janvier 1934, Auguste s’excuse de n’avoir pu prononcer son discours de réception. L’allocution de réception est prononcée par Louis Rogniat*, président (MEM 1936). Le 2 février 1937, le président Mathieu Varille* félicite Auguste « à qui le ministre de la Santé vient de décerner une médaille d’or pour son dévouement à toutes les œuvres hospitalières qui sont l’honneur de notre Cité ».

Bibliographie

Claude Vigne, La vie laborieuse et féconde d’Auguste Lumière, Durand-Girard, 1942. – Patrimoine Rhône-Alpes, Société anonyme des plaques et papiers photographiques Antoine Lumière et ses fils puis société Lumière puis groupe Ilford France actuellement Institut Lumière cinéma et musée, site internet Gertrude, 2000. – Jean Freney, « Auguste Lumière (1862-1954), le cinématographe […] et la microbiologie », Bull. de la société française de microbiologie, 2008. – Patrice Beghain, DHL. – « Une Fabrique de l’innovation : lumière sur les Lumière, l’invention et l’innovation permanente », BML, exposition présentée du 5 novembre 2013 au 1er mars 2014.

Iconographie

Les photographies d’Auguste Lumière et de sa famille sont considérables. – Des monuments et des plaques ont été érigés en hommage aux Frères Lumière, en tant qu’inventeurs du cinématographe : Monument érigé à La Ciotat par le sculpteur Louis Botinelly, inauguré le 10 août 1958. – Place Ambroise-Courtois, important monument dessiné par l’architecte Hubert Fournier et le sculpteur Francisque Lapandéry, réalisé par Michel Lapandéry, et inauguré le 30 septembre 1962. – Auguste est associé à son frère Louis sur une médaille, gravée par Émile Rousseau, éditée en 1960, qui présente leurs effigies superposées ; le revers célèbre la première projection d’un film (L’arroseur arrosé) le 28 décembre 1895. – Très nombreuses sont les plaques commémoratives : citons celle du n° 1 rue de la République à Lyon, où fut ouverte le 25 janvier 1896 la deuxième salle de cinéma du monde, et la plaque étoilée à la mémoire d’Auguste sur le Walk of fame d’Hollywood (6320 Hollywood Blvd).

Publications

Les dveloppateurs organiques en photographie et le paramidophénol, Paris : Gauthier-Villars, 1893 (en collaboration avec son frère Louis). – Le mythe des symbiotes, Paris : Masson et cie, 1919. – Rôle des collodes chez les êtres vivants. Essai de biocollodologie. Nouvelle hypothses dans le domaine de la biologie et de la médecine, Paris : Masson et cie, 1921. - Colloïdoclasie et floculation, Lyon : Léon Sézanne, 1922. – Théorie colloïdale de la biologie & de la pathologie, Paris : E. Chiron, 1922. – Le problème de l’anaphylaxie, Gaston Doin, 1924. – Tuberculose, contagion, hérédité, Lyon : Desvignes, 1931. – « Rôle de l’alcoolisme dans la tuberculose », Lyon, L’Avenir médical, novembre 1931. – « La tuberculose chez les nègres », Lyon, L’Avenir médical, janvier 1932. – « Comment la croyance en la contagion de la tuberculose a-t-elle pris naissance ? », Le Concours médical, janvier 1932. – Les influences morales dans la cancerose, L’Avenir médical, janvier 1932. – Sénilité et rajeunissement, Paris :J. Baillière, 1932. – Colloïdes et micelloïdes : leur rôle en biologie et en médecine, Editions médicales Norbert Maloine, 1933. – À propos du premier Congrès de médecine néo-hippocratique, Laboratoires Lumière : Lyon, 1939. – Les fossoyeurs du progrès : les mandarins contre les pionniers de la science, Lyon : Léon Sézanne, 1942. – « Crémastomancie ou Divination par le Pendule », Littérature, Histoire, Arts et Sciences des Deux Mondes, 1er avril 1948. – « La divination par le pendule », Revue des Deux Mondes, avril 1948. – « Les maladies sociales », Revue des Deux Mondes, novembre 1948. – « La tuberculose est-elle contagieuse ? », Revue des Deux Mondes, janvier 1950. – Les Curiosités Du Dictionnaire. Le Mechef Omineux D’un Palot, Lyon : Léon Sézanne, 1952. – Mes travaux et mes jours, Paris : éd. Du Vieux Colombier, 1953.