Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

BORDE Charles (1711-1781)

par Denis Reynaud.

 Parfois orthographié « Bordes » ou « de Bordes », voire « de La Borde », mais les actes de baptême et de décès portent « Borde ».

 Né à Lyon le 6 septembre 1711, rue Belle-Cordière, de Jacques Borde, trésorier au bureau des finances, et de Geneviève Taillandier. Baptisé le même jour à Saint-Nizier. Parrain : noble Charles Basset (de Châteaubourg, 1647-1733, père de Jean Baptiste Basset*), échevin, avocat en parlement, receveur général des étapes ; marraine : Jeanne Derigny, « fille [en réalité femme] du parrain ». Son frère aîné Louis* s’est, quant à lui, distingué dans la mécanique. Castillon écrit qu’« il tenait, par les liens de la parenté, à un ministre (M.D.S.) » : probablement Antoine de Sartine, secrétaire d’État à la Marine, qui était fils d’un épicier lyonnais devenu financier. On ne dit pas qu’il se soit marié, ni qu’il ait jamais eu d’autre occupation que la littérature. Il mourut à Lyon le 15 février 1781, des suites « d’une maladie grave causée par sa négligence », et il fut inhumé dans le tombeau de la chapelle Sainte-Blandine de l’église d’Ainay. Des « Vers sur la mort de M. Bordes », par le chevalier de Cubière, furent publiés en première page du Mercure de France (9 juin 1781 ; voir Ac.Ms127 f°74, et réponse de Mathon* du 7 juillet 1781, f°73) ; d’autres vers sous le même titre auraient été composés par l’abbé La Serre* (signalés par Delandine – « 1489. Mélanges de poésie » –, mais absents dans Ac.Ms 158bis). Voir aussi Journal de la langue française, n°1, sept. 1784, p. 34, et abbé Guillon, Tribut de l’amitié à la mémoire de M. Borde, déc. 1786 (Ac.Ms124 f°303).

 Après des études au collège de la Trinité à Lyon, Charles vécut quelques années à Paris avec une modique pension de sa famille ; il fréquenta Bernis, Bernard, Mably, Condillac et Voltaire. Il revint à Lyon vers 1740, et se lia à J.-J. Rousseau lors du séjour lyonnais de celui-ci en 1740-1741. « Je revis M. Borde avec lequel j’avais depuis longtemps fait connaissance, et qui m’avait souvent obligé de très grand cœur » (Confessions, livre 7); Jean-Jacques compose alors un de ses premiers essais littéraires, une « Épître à M. Bordes » : « Toi qu’aux jeux du Parnasse Apollon même guide, / Tu daignes exciter une muse timide » (publiée pour la première fois par Jacob Vernes dans son Choix littéraire en 1760, t. XXII, p. 222-226). La mort de son frère Louis en 1747 lui ayant assuré une certaine aisance, Charles voyagea en 1755-1756 à Genève (visite à Voltaire aux Délices) et en Italie (d’où il adressa onze lettres à l’abbé Pernetti et à La Tourrette), en Hollande avec La Tourrette (1759), et séjourna à Londres en 1766 (« exprès pour m’y nuire », écrit Rousseau), toujours avec La Tourrette. Il vécut sans doute à nouveau à Paris en 1778.


Académie

Après une première tentative en août 1743, Borde le cadet est élu le 16 mars 1745 à l’Académie des sciences et belles-lettres. Le 27 avril, il prononce un discours de réception mêlé de prose et de vers, auquel répond Pallu* (Ac.Ms263 f°37 ; AHSR 3, 1825, p. 40-47). Les procès-verbaux des séances le montrent très actif à l’Académie, à laquelle il réserve plusieurs fois par an la primeur de ses productions poétiques et de ses traductions de l’italien. Il donne notamment des Réflexions sur le mouvement et le repos (31 août 1745) ; une Histoire abrégé du théâtre italien (30 mai 1747) ; une Dissertation sur la fiction (29 mars et 23 avril 1748 ; publié dans le Choix littéraire, VI, 1756, p. 3-41) ; des Réflexions sur les langues vivantes (26 août 1749). Sur les interventions académiques de Borde relatives à Rousseau, voir les procès-verbaux des 11 mai et 22 juin 1751, 11 décembre 1753, 15 janvier 1754. Il est directeur de l’Académie lorsqu’elle accueille Voltaire le 26 novembre 1754, et il prononce un discours à cette occasion. En partance pour l’Italie, il trouve le temps d’adresser des Observations sur quelques usages de l’Académie (26 août 1755) ; à son retour, il dit en vers le plaisir qu’il a eu de revoir sa patrie (27 avril 1756). Le 24 août 1756, il lit un mémoire favorable à la réunion des deux académies. En 1757, il donne sa Traduction de l’ouvrage d’Algarotti sur la musique italienne (18 janvier et 19 avril). En 1758, il lit une Ode sur la guerre et ses funestes effets (24 janvier et 4 avril). En janvier 1762, à la fusion des deux académies en ASBLA, à l’automne 1758, il devient membre de la classe des « belles-lettres et arts qui en dépendent » ; il souligne les dangers de la publicité des travaux de l’Académie. À partir de 1766, un long conflit l’oppose à l’abbé Jacquet*, ainsi résumé par Guillon de Montléon : « Vous ne manquerez sans doute pas d’y parler [dans l’Histoire de l’Académie] de la guerre que M. Borde fit à l’abbé Jacqu[et], en jésuite, à cause et à la suite de son discours de réception, où il avait vanté l’état de pure nature, d’après Jean-Jacques, ce qui sentait fort le système du R. P. Louis Molina. » (lettre de 1827 à Dumas*, Ac.Ms270 f°105). Voir aussi son compte rendu de l’assemblée publique du 7 avril 1761 (Ac.Ms267-II f°343), un rapport de 1765 pour la distribution des jetons (Ac.Ms263 f°189), et un projet de délibération sur les associés juin 1774 (Ac.Ms263 f°194). Son éloge fut prononcé devant l’Académie par Bory* en 1781 (Ac.Ms124 f°297).

Borde était également membre de l’Académie des Arcades de Rome (1755) et de la Société royale de Nancy (juillet 1759) ; voir « Discours de réception à la société royale de Nancy par Mr.*** de l’Académie de Lyon et de celle des Arcades de Rome » (Choix littéraire 22, 1760, p. 103-125).

Bibliographie

Merle de Castillon*, préface des Œuvres diverses de M. Borde, 1783, I, p. IIJ-XXY. – Bréghot. – Barbier, Examen critique et complément des dictionnaires historiques, 1820. – Antoine Péricaud, Notice sur la vie et les ouvrages de Charles Borde, ADR, 1824, 20 p. – André Ruplinger, « Un contradicteur de J.-J. Rousseau : le Lyonnais Charles Bordes », in RLY, sept.-oct. 1914, p. 305-321. – André Ruplinger, Un représentant provincial de l’esprit philosophique au xviiie siècle en France, Charles Bordes, membre de l’Académie de Lyon (1711-1781), préf. G. Lanson, Lyon : A. Rey, 1915.

Manuscrits

Outre son buste, l’Académie conserve les manuscrits de discours : Sur l’utilité des sciences et des lettres : réponse à un censeur qui avait soutenu le système de M. Rousseau, 1er mars 1768 (Ac.Ms131 f°26) ; Observations sur la langue française (Ac.Ms151 f°79) ; Sur les jardins d’Angleterre, 1769 (Ac.Ms225 f°50) ; et de poésies : 1er chant de la Henriade, traduit en vers latins, 1770 (Ac.Ms127 f°172) ; La Lorgnette, fragment historique mis en vers, déc. 1780 (Ac.Ms127 f°180) ; Le Naufrage, poème en trois chants (Ac.Ms127 f°182) ; Épître aux Muses, 1762 (Ac.Ms158bis f°1) ; De l’empire de la mode sur les Français, 1760 (Ac.Ms158bis f°5) ; À Corinne, 3 sept. 1771 (Ac.Ms158bis f°11) ; Imitation d’une ballade de Cowley intitulée La Chronique, 3 sept. 1771 (Ac.Ms158bis f°303).

Publications

« Discours sur l’émulation lu dans la première Séance publique de l’Académie de Sciences et Belles-Lettres de Lyon, et de la Société Royale des Beaux-Arts, réunies, le 5 du mois de Novembre 1758 » (Mercure de France, mars 1759, p. 13-20). – La Papesse Jeanne, poème en dix chants, La Haye, 1763, 112 p. – Parapilla, poème en cinq chants traduit de l’italien, Florence (Lyon), 1776, 49 p., à propos duquel Voltaire écrit à Borde, le 10 avril 1773 : « Quand vous aurez mis la dernière main à cet agréable ouvrage, il sera un des meilleurs que nous avons dans le genre, en italien et en français ».

La plus grande partie de la production littéraire de Borde est réunie par l’abbé de Castillon* dans les Œuvres diverses de M. Borde (4 tomes, Lyon : Faucheux, 1783), qui ne contiennent pas les œuvres licencieuses ou impies. Mais un supplément intitulé Parapilla et autres œuvres libres, galantes et philosophiques de M. B*** fut publié la même année sous une fausse adresse (Florence, Alexandre Paperini ; édition augmentée en 1784). Ces Œuvres diverses contiennent, outre un portait gravé par Charles Boily : des poésies dont une dizaine avaient été publiées dans l’Almanach des muses (1765, 1784, 1785) – parmi lesquelles une Ode à la guerre (janvier 1758) a joui d’une certaine réputation – ; une tragédie : Blanche de Bourbon, lue à l’Académie le 30 août 1746), et dont J.-J. Rousseau déplorait qu’il refusât de la publier (« Et je vois qu’impuissante à fléchir tes rigueurs/ Blanche n’a pas encore épuisé ses malheurs », épître à M. Borde, OC, 10, 1779) ; des comédies : La Bru, Les Nouveaux Anoblis, Le Retour de Paris, lu à l’Académie le 29 mars 1764 ; des proverbes destinés à être joués localement en société (la scène des Reconnaissances est « aux Brotteaux ») ; divers essais littéraires, philosophiques, linguistiques, pédagogiques. Certaines pièces, comme la Profession de foi philosophique (1763) ou Le Catéchumène (1766), ont parfois été attribuées à Voltaire. En 1751, Borde s’acquiert une réputation nationale en réfutant le Premier Discours de Rousseau : Discours sur les avantages des sciences et des arts prononcé dans l’assemblée publique de l’Académie des sciences et belles-lettres de Lyon, le 22 juin 1751 (Mercure, décembre 1751, p. 25 64) ; puis en publiant une réponse à la réponse de Jean-Jacques, qui lui valut l’approbation de Fréron (Lettres sur quelques écrits de ce temps, XI, 1753, p. 198-211) et de Rousseau lui-même : « il publia non contre moi comme les autres, mais contre mon sentiment, deux discours pleins d’esprit et de vues et très agréables à lire ». Ces mots furent écrits avant que Borde récidive avec deux pamphlets : Prédiction tirée d’un vieux manuscrit sur La Nouvelle Héloïse (1761), et Le Docteur Pansophe, ou Lettres de M. de Voltaire (Londres, 1766, voir Mémoires secrets, 15 nov. 1766). Pour une liste complète des œuvres publiées de Borde, voir Barbier ou Péricaud.