Jean Camille Raphaël Lépine est né à Paris 8e, le 5 décembre 1876. Il est le fils unique de Jacques Raphaël Lépine (Lyon 6 juillet 1840-Menton, Grand hôtel Garavan, 17 novembre 1919) – lui-même fils de Jean Baptiste Lépine (Chalon-sur-Saône 1806-Lyon 1894) négociant à Chalon, puis « teneur de livre » 10 rue de l’Annonciade à Lyon, et d’Emanuele Joachime Vergerano née à Valladolid le 21 août 1814 –, et de Mathilde Koechlin (Mulhouse 1853-1884), fille de Georges Michel Jules Koechlin (1816-1882), industriel, et de Camille Dollfuss (née en 1826).
Raphaël Lépine, qui avait entrepris des études de médecine à Lyon et été reçu, en 1860, à l’internat des hôpitaux de Lyon, avait poursuivi sa formation à Paris. Devenu interne puis médecin des hôpitaux de Paris, il avait été nommé agrégé en 1874 avant de revenir à Lyon, en 1877, inaugurer la chaire de clinique interne de la toute nouvelle faculté de médecine. Il s’est illustré internationalement par ses recherches sur le diabète et la sécrétion interne du pancréas, dans la suite des découvertes de Claude Bernard. Il a été membre de l’Académie de médecine et membre correspondant de l’Académie des Sciences. Ami de Gambetta, militant dreyfusard, il a participé à la fondation de la Ligue des droits de l’homme dont il a présidé la section lyonnaise. Son frère, Louis Lépine (1844-1933) avocat, a été gouverneur général de l’Algérie et, par deux fois, préfet de police du département de la Seine. Il a profondément réorganisé la police parisienne, réprimé les émeutes anarchistes, et c’est le fondateur du fameux Concours Lépine.
Orphelin de mère à 8 ans, élevé par son père, Jean Lépine a grandi dans une ambiance austère de travail scientifique et médical. Après des études secondaires au lycée Ampère, il entreprend des études de médecine à la faculté de Lyon. Il est reçu interne des hôpitaux de Lyon à 20 ans, en 1896, et soutient sa thèse le 6 avril 1900 – Étude sur les hématomyélies – sous la présidence du Pr A. Pierret. Il est en même temps, licencié en droit. Après un passage par le laboratoire de son père, il est reçu premier au concours de médecin des asiles en 1904. Il effectue un bref passage comme médecin-adjoint à l’asile de Pau et revient à Lyon comme chef de clinique d’Auguste Pierret (1845-1920), arrivé de Paris, comme son collègue Raphaël Lépine, pour occuper la chaire « des maladies mentales », en succédant, en 1884, à Joseph Arthaud. En 1907, Jean Lépine est reçu à l’agrégation et devient médecin-chef à l’asile de Bron (act. le centre hospitalier Le Vinatier). Il succède en 1911 à Auguste Pierret. La chaire devenue chaire « des maladies nerveuses et mentales » prendra ensuite le nom de chaire « de neurologie et de psychiatrie », puis « de neuropsychiatrie et d’hygiène mentale » sous la direction de Jean Dechaume successeur de Jean Lépine. Pour répondre à ce souci d’articuler neurologie et psychiatrie, et s’intéressant aux pathologies mixtes, Jean Lépine, qui est depuis 1913 membre du conseil d’administration des Hospices civils de Lyon, obtient, en sus de son service de l’asile de Bron, la direction d’une petite unité de dix-sept lits à l’Hôtel-Dieu, la salle Saint-Sacerdos, bien que n’étant pas médecin des hôpitaux de Lyon. Des pathologies mentales plus légères que celles reçues à l’asile y voisinent avec des situations d’urgence et des malades atteints d’affections neurologiques. En 1911, Jean Lépine se présente, sans succès, à la députation dans le département de la Loire, comme candidat républicain. Pendant la guerre de 1914-1918, il dirige à Lyon un service de neuropsychiatrie militaire et s’intéresse aux pathologies que nous appellerions aujourd’hui « stress post-traumatique ».
En 1920, Jean Lépine est élu par ses pairs doyen de la faculté de médecine, poste qu’il occupera pendant presque un quart de siècle. Il va y déployer une intense activité d’administrateur et de bâtisseur. La faculté de médecine, avec ses mille trois cents étudiants, étouffe alors dans des locaux exigus quai Claude Bernard, et ne peut développer ses laboratoires. Après une longue et difficile période de négociations entre la municipalité, le corps médical et les Hospices civils, la construction d’un vaste ensemble hospitalier (le futur hôpital Édouard-Herriot) situé dans le quartier de Grange-Blanche a été décidée pour remplacer l’hôpital de la Charité. Les travaux confiés à l’architecte Tony Garnier, ralentis par la guerre, ont repris. Jean Lépine, qui soutient le projet municipal, songe alors à faire édifier une nouvelle faculté dans la proximité immédiate de l’hôpital sur le modèle des hôpitaux universitaires qu’il a visités à l’étranger, notamment aux États-Unis, lors d’une mission en compagnie d’un de ses collègues, Albert Policard (1881-1972), et de l’architecte Paul Bellemain. Par l’intermédiaire de son ancien camarade d’internat, Alexis Carrel (1873-1944), prix Nobel de médecine 1912, installé aux États-Unis, il obtient de la Fondation Rockefeller une large part du financement de son projet. Construite en un temps record, la nouvelle faculté ouvre ses portes en 1931. Parallèlement, Jean Lépine obtient la construction, sur ses plans, au nouvel hôpital Édouard Herriot, d’un vaste service hospitalier de neurologie et de psychiatrie, le « pavillon P », où il développe en 1932 avec Pierre Wertheimer (1892-1982) une des premières unités neurochirurgicales françaises. À l’asile départemental de Bron, il fait construire en 1934 un pavillon moderne, les Terrasses, composé principalement de services libres (échappant à la loi sur l’internement). Cependant, son activité d’administrateur se déploie dans d’autres domaines : ceux de l’hygiène, de la protection de l’enfance et de la lutte contre la tuberculose. Au conseil d’administration des Hospices civils de Lyon, il obtient l’affectation pédiatrique de l’hôpital Debrousse, une fondation primitivement destinée aux vieillards et aux incurables. Précurseur de la protection maternelle et infantile, il met sur pied avec la Croix-Rouge américaine la Fondation franco-américaine pour assurer, grâce à des « visiteuses » (nos modernes assistantes sociales), « la préservation des enfants de l’infection, de la contagion, des fautes d’hygiène et des erreurs d’allaitement ». Il réussit, grâce à ses talents de diplomate, à fusionner l’école d’infirmières du défunt hôpital de la Charité, l’école de formation des infirmières à la puériculture fondée en 1918 par la Fondation franco-américaine et l’école d’infirmières visiteuses d’hygiène de Lyon fondée, à son initiative, sous le patronage de la Fondation Rockefeller, de l’Institut bactériologique de Lyon et du Comité départemental de lutte contre la tuberculose. Ce sera l’école d’infirmières et d’assistantes sociales Rockefeller édifiée dans le voisinage immédiat de la faculté de médecine. Avec le soutien des Hospices civils de Lyon, il crée le sanatorium des Petites Roches à Saint-Hilaire-du-Touvet (Isère) pour les étudiants tuberculeux. Sur le plan culturel, s’appuyant sur des contacts établis depuis la révolution chinoise de 1911 entre l’université de Lyon et la Chine, il profite d’une rencontre à Genève avec le délégué chinois à la Société des nations pour contribuer à créer, dans les locaux du Fort Saint-Irénée abandonnés par l’armée, l’Institut franco-chinois afin d’accueillir les étudiants qui viennent de Chine poursuivre leurs études à Lyon. Zhou Enlai (1898-1916), compagnon de Mao Zedong, premier ministre de la République populaire de Chine de 1949 à sa mort, y aurait résidé. En 1928, Jean Lépine est élu membre de l’Académie de médecine et, en 1935, membre de l’Académie des sciences morales et politiques. En 1940, il accepte pendant quelques mois de participer à la Délégation générale de la municipalité de Lyon, mise en place par le régime de Vichy sous la présidence de Georges Villiers (1899-1982 ; il sera révoqué en 1943 après l’invasion de la zone libre, puis déporté à Dachau). Jean Lépine, qui avait, dans sa jeunesse, un passé de dreyfusard et de républicain et qui avait été secrétaire de la Ligue des droits de l’homme, est lui-même révoqué comme doyen en 1943. Il sera rétabli dans ses fonctions en 1944, mais prendra aussitôt sa retraite. Retiré à Nice, il entame alors, à 70 ans, une nouvelle carrière. Élu en 1947 sur la liste de Jean Médecin, qui retrouve son poste de maire après la guerre et un court intermède socialiste, il sera, pendant près de vingt ans, adjoint chargé de l’instruction publique et, à ce titre, aura à son actif la construction ou la rénovation de plusieurs établissements scolaires primaires et secondaires. Il joue un rôle de premier plan dans la création de l’université de Nice. Un Comité municipal Doyen Jean Lépine perpétue encore son souvenir et attribue des aides financières à des projets intellectuels scientifiques ou culturels favorisant le rayonnement de la ville de Nice.
Le 30 juin 1900, il avait épousé, à Paris 12e, Élisabeth Thyss (Mulhouse 8 mars 1877- Châteauneuf-de-Grasse 15 décembre 1963), alors externe des Hôpitaux, fille de Charles Thyss (1847-1919), chef de service au Crédit Lyonnais, et de Sophie Henriette Thierry (1851-1903). Son témoin était le préfet de police Louis Lépine. De ce mariage sont nés quatre enfants, Pierre Raphaël (Lyon 1901-Paris 1989) ; Marianne (née en 1903) ; Charlotte (née en 1906) ; et Albert (né en 1909). L’aîné, Pierre Lépine, interne des hôpitaux de Lyon, docteur en médecine, a fait la plus grande partie de sa carrière à l’Institut Pasteur ; membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences, il est l’inventeur d’un des vaccins contre la poliomyélite ; il a été élu conseiller du 16e arrondissement de Paris à sa retraite, pendant trois mandats.
Jean Lépine est mort à Nice le 13 juin 1967. Il a été inhumé à Menton, auprès de ses parents. Son éloge a été prononcé à l’Académie de médecine par Albert Policard le 23 janvier 1968.
Jean Lépine, après des travaux cliniques et expérimentaux de médecine interne dans la filiation des recherches paternelles, s’est surtout intéressé à la neurologie (les lésions de la moelle, l’urémie nerveuse, l’épilepsie, les commotions cérébrales, la syphilis nerveuse) et à la psychiatrie dans une perspective à la fois biologique et hygiénique. Il a consacré des publications au rapport entre la tuberculose et les maladies mentales, aux effets de l’alcoolisme, en particulier sous la forme de l’abus d’absinthe, et un rapport sur la neurasthénie. Il donne une place importante dans le traitement psychiatrique aux conditions de vie des hospitalisés, à l’hygiène générale, à l’influence de l’aération, de l’alimentation, des exercices physiques. Il reconnaît l’intérêt de la psychothérapie, mais s’élève contre son application exclusive. Il est surtout connu pour son utilisation du choc par la fièvre déclenchée par l’injection du nucléinate de soude, dans différentes pathologies mentales. Cette « pyrétothérapie » dont les premiers résultats positifs sont publiés en 1907, précède l’impaludation (l’injection du parasite responsable de la malaria) proposée en 1917 par le Viennois Julius Wagner von Jauregg (1857-1940) pour traiter la paralysie générale, une méthode qui a valu le prix Nobel à son auteur en 1927. Après avoir consacré un travail aux troubles mentaux de guerre, Jean Lépine abandonne son activité scientifique pour se consacrer à ses tâches administratives.
Commandeur de la Légion d’honneur en 1951. Deux avenues Doyen Jean Lépine, à Bron (Rhône) et à Nice, commémorent son nom.
Élu le 7 décembre 1926 au fauteuil 2, section 3 Sciences, sur rapport du docteur Joseph Mollard*, un ancien collaborateur de son père, Jean Lépine (qui succède à Eugène Vincent*, 1843-1926, chirurgien) consacre son discours de réception au Canada français, le 13 mars 1928. Élu président en 1936, il s’excuse, dans son discours d’entrée en fonction (MEM 1939) de ses « absences trop fréquentes » qui ne « sont pas du désintérêt ». Il salue l’élection à l’Académie d’Édouard Herriot*. Les mémoires de l’Académie ne comportent qu’une autre communication, présentée le 27 février 1940, sur Les relations intellectuelles entre la France et la Hongrie (MEM 1945), ainsi que les éloges funèbres de Victor Grignard* (MEM 1939), Joseph Mollard* (MEM 1939), Louis de Longevialle* (MEM 1939), Alexis Carrel [1873-1944] (MEM 1949), et le Compte rendu des travaux de l’Académie pendant l’année 1936 (MEM 1939). Il est émérite en 1946.
H. Hermann*, « Le doyen Jean Lépine », Lyon médical 1968, p. 5-14. – J.-F. Cier*, « Éloge de Jean Lépine », MEM 1977. – Bouchet. – H. Bonnet, « Jean Lépine et les thérapeutiques de choc en psychiatrie », Conférences d’histoire de la médecine, cycle 1990-1991, Lyon : Fondation M.-Mérieux. – H. Bonnet, Histoire de la psychiatrie à Lyon, Lyon : Césura, 1988. – P. Guinet*, Notice sur Jean Lépine, dossier acad. – M. Pouzet, DBF.
Photographie, au musée d’histoire de la médecine, Lyon.
Titres et travaux du Dr. Jean Lépine, Paris : Alcan, 1911. – « Essai de traitement d’états mentaux par la réaction provoquée au moyen du nucléinate de soude », Lyon médical, nov. 1907, p. 788-791. – Pathogénie des états neurasthéniques rapport au 10e congrès de médecine de Genève, 1908. – Troubles mentaux de guerre, Collection Horizons, Paris : Masson, 1917.