Son grand-père John Appleton, citoyen américain, marié avec Sarah Tayerweather, décédé à Cambridge, Mass. le 9 août 1829, avait été consul des États-Unis à Calais. Son père, John James (Cambridge, Mass. 22 septembre 1792-Rennes 4 mars 1864), « chargé d’affaires des États Unis d’Amérique », notamment à Stockholm, s’installe définitivement en France. Il rencontre une jeune femme, Augustine Houdan (Le Havre 14 octobre 1810-6 mai 1861), issue d’une famille de voiliers de père en fils et veuve de Eugène Laurent Hachard (décédé au Havre 1er fév. 1834). Leur mariage fut tardif pour des raisons administratives et sans doute familiales. L’acte de notoriété à fin de mariage justifiant de l’état civil de John James Appleton n’est homologué par le tribunal civil du Havre que le 6 décembre 1839 ; il faut encore attendre le consentement de la mère de la mariée, donné par-devant notaire le 22 février 1840. Les bans sont publiés et le mariage est enfin conclu le 7 avril au Havre en présence d’amis des époux, dont le consul américain et le frère du premier époux de la mariée. Le couple quitte Le Havre et s’installe à Rennes où, le 20 mai 1840, six semaines après la célébration du mariage, naît leur premier enfant, Marie. À partir de cette date John James Appleton s’appelle Jean Jacques Appleton. C’est avec ces prénoms français, mais toujours citoyen américain, qu’il déclare la naissance de Charles Louis Appleton, né le 11 juillet 1846 à Rennes. En 1864, à moins de 18 ans, Ch. Appleton se trouve orphelin de père et de mère. Il entreprend des études à la faculté de droit de Rennes, peut-être sur les conseils de son beau-frère, plus âgé que lui, Eugène Pinault, qui a épousé sa sœur Marie (18 août 1862, Rennes), et est lui-même licencié en droit. Fabricant tanneur à Rennes, homme politique qui devient sous la Troisième République député, maire de Rennes, puis sénateur (Gauche républicaine), Pinault se comporte en soutien de la famille Appleton ; il déclare le décès de son beau-père Jean, puis de son beau-frère Jean Jacques Osgood, et il est à plusieurs reprises témoin au mariage des enfants de Ch. Appleton. Appleton conquiert deux premiers prix au cours de ses études de droit et obtient sa licence en 1867 à Rennes. La même année, à sa majorité, Appleton opte pour la nationalité française (Rennes 11 octobre 1867 ; art. 7 du code Napoléon). Français et licencié en droit, le 30 décembre 1867, à Charolles (Saône-et-Loire), il épouse Joséphine Tondu de Quennefer (Charolles 12 janvier 1848-Saint-Genis-Laval 4 août 1914), fille d’un avocat, Alexandre Tondu de Quennefer (1816-1873) et de Marie Cladie Amélie Maire (1811-1847). À la demande de son beau-père, Appleton quitte alors Paris où il habitait, 33 rue Dauphine, et s’installe auprès de sa belle-famille comme avocat. C’est donc à Charolles que naissent ses deux premiers fils : Jean (31 octobre 1868- Lyon 3e 23 décembre 1942) et Henri (14 avril 1870-1910). Tout en travaillant comme avocat à Charolles, Appleton rédige une thèse de doctorat qu’il soutient à Dijon le 29 avril 1871. Il présente alors le concours d’agrégation des facultés de droit sans réussir immédiatement, mais il est admissible en 1872 ; aussi Charles Giraud, président du jury, le recommande-t-il à l’université de Berne où il devient professeur de droit civil français. Ceci explique son installation dans cette ville pendant trois ans. Sa première fille, Charlotte, naît à Berne le 18 février 1873, et il y publie ses premiers articles. Éloigné de Paris et des bibliothèques, après de nouveaux échecs en 1873 et 1874, il réussit le concours d’agrégation en 1875. Il est alors attaché à la faculté de droit de Rennes (22 juillet 1875), sa faculté d’origine, mais il n’a pas le temps d’y enseigner. Charles Giraud, inspecteur général des facultés de droit, qui est en train de créer à la hâte une faculté de droit à Lyon, se souvient de lui et lui propose un poste à Lyon qu’il accepte (arrêté du 29 octobre 1875). Sur les huit agrégés du concours de 1875, quatre abandonnent leur premier poste pour participer à cette nouvelle faculté (en 1875, J. Brémond, H. Michel et, en 1876, O. Flurer). Appleton demande seulement la permission de faire ses derniers cours à Berne (20-29 octobre 1875) et s’installe définitivement à Lyon. Ses trois derniers enfants naissent 4 rue Jarente : Marie (Lyon 2e 5 avril 1877-Paris 15e 17 septembre 1946) ; Paul (Lyon 2e 26 octobre 1878–Aubusson 3 octobre 1945) (le doyen de la faculté de droit, Exupère Caillemer*, est l’un des témoins de la déclaration de cette naissance) ; et Jeanne (Lyon 2e 29 mars 1883-Dijon 22 juillet 1901). Après leurs études à la faculté de droit de Lyon, les trois fils d’Appleton choisissent des carrières juridiques, Jean, poète à ses heures (voir Bournet, Anthologie des poètes du Sud-Est, Lyon, Chevassus, 1947), devient professeur de droit dans cette même faculté (concours de 1895) et fonde la première association d’avocats ; il se marie le 11 août 1894 à Oberbruck (Haut-Rhin) avec Gabrielle Zeller (née le 2 octobre 1871 à Oberbruck), fille de fabricant de toiles de coton ; après la mort de cette dernière il épouse Olympe Bourgade le 7 juillet 1911. Le deuxième fils, Henri, après s’être présenté sans succès au concours d’agrégation des facultés de droit, opte pour la magistrature ; nommé juge suppléant à Tunis, il est substitut du procureur à Sousse (Tunisie) quand il épouse le 29 septembre 1897 à Montpellier Geneviève Tondut de Quennefer (née à Bayonne le 28 août 1878), fille d’un conseiller à la cour d’appel de Montpellier ; il rentrera ensuite en France. Paul réussit le concours d’agrégation des facultés de droit (1908) et se marie peu après, le 25 septembre 1910 à Aubusson (Creuse), avec Eugénie Anne Émilie Tixier (Aubusson 3 juin 1887-Paris 6e 16 octobre 1873), fille d’un bâtonnier. Le 9 décembre 1895, à Lyon 2e, Charlotte épouse un normalien, devenu doyen de la faculté des sciences de Dijon, Albert Recoura (Grenoble 30 janvier 1862-La Tronche [Isère] 21 décembre 1945). Enfin, Marie choisit un ingénieur, d’une famille de musiciens, Julien Kosciusko Koszul (Roubaix 7 juin 1872-Lyon 10 août 1945).
La vie d’Appleton a été endeuillée par la mort de plusieurs de ses proches. Son frère aîné Jean Jacques Osgood (Rennes 14 décembre 1843-Laval 16 septembre 1872), sous-préfet de 28 ans, est tué en duel par le baron Ritter, ancien commandant du corps franc de Bretagne. Sa dernière fille Jeanne meurt à 18 ans en 1901. Au cours de l’année 1910, décèdent la femme de son fils Jean, Gabrielle Zeller (Lyon 2e, 4 mars 1910) ainsi que son fils Henri. Sa propre femme disparaît le 4 août 1914 en leur maison des Barolles à Saint-Genis-Laval. Il a encore la peine de perdre l’un de ses petits-fils, Georges Recoura, brillant élève de l’École des chartes, qui se noie en Sicile à l’âge de 27 ans (Dijon 15 juin 1897- Castelvetrano 23 avril 1925).
Après avoir participé à la fondation de la faculté de droit de Lyon, Appleton y fait toute sa carrière. Chargé des cours de la seconde chaire de droit romain, il en devient titulaire en 1878 (décret du 12 août 1878) ; il la conserve quarante ans, jusqu’à sa retraite qu’il prend à 72 ans (31 octobre 1918). Pendant la guerre, il assure bénévolement des conférences et encadre les étudiants serbes réfugiés à Lyon en 1917-18 ; en avril 1919 et pendant toutes les vacances d’été, il donne des conférences de recyclage pour les soldats démobilisés. Il faut noter qu’après 1918, professeur honoraire, il continue comme simple chargé de cours à enseigner pendant encore trois ans, jusqu’à fin octobre 1922. Il est ainsi l’un des rares professeurs de droit à avoir enseigné cinquante ans (en comptant les trois années bernoises), et jusqu’à la fin de sa vie il a continué de publier. Personnage original, non conformiste, il est en quelque sorte autodidacte d’après ses propres aveux ; car marié très jeune, installé à Charolles, puis à Berne, il est resté loin des facultés. Une fois agrégé, n’est-ce pas lui qui accompagne Ferdinand de Lesseps lors de sa visite à Lyon et Saint-Étienne (juillet 1879), lui qui s’amuse avec son jeune collègue Octave Flurer à sauter à pieds joints sur une table de la faculté où le surprend le doyen Caillemer* ? Ce dernier appréhende parfois les fantaisies d’Appleton, d’autant plus que Calixte Accarias, inspecteur général des facultés de droit, rédige des rapports un peu sceptiques sur ce collègue aux idées personnelles qu’il juge « plus brillant que judicieux ». Le recteur remarque qu’il y a incompatibilité d’humeur entre Appleton et le doyen Caillemer, qui reproche notamment à Appleton d’avoir inscrit ses enfants chez les jésuites. Plus tard, il comprend mal qu’Appleton soutienne son fils Jean, jeune agrégé attaché à la faculté de droit de Lyon, qui est dreyfusard, militant actif et l’un des fondateurs de la section lyonnaise de Ligue des droits de l’homme. Cependant, Caillemer finit par reconnaître son enthousiasme qui fait aimer le droit romain aux étudiants, et sa culture qui entraîne de nouveaux chercheurs vers cette matière. Avec lui « le droit mort [redevient] vivant », dira un de ses élèves. S’il est avant tout connu pour ses travaux de romaniste, il n’oublie pas qu’il a été praticien et s’intéresse au droit contemporain. Pendant des années il enseigne, outre le droit romain, un cours de droit des gens, puis de droit constitutionnel français et comparé, de garanties des libertés individuelles. Lors de la rentrée des facultés, le 3 novembre 1892, il choisit de parler de la condition féminine dans le droit moderne. Il ne cesse jamais, dans ses cours comme dans ses écrits, de souligner les liens entre le droit romain et le droit positif. Polémiste vigoureux, il défend l’enseignement du droit romain. Pour répondre à ceux qui n’y voient que conservatisme passéiste, il expose sa propre conception de la pédagogie contre celle (supposée ou réelle) de certains de ses collègues. Il critique le centralisme ministériel qui impose des programmes surannés et la traditionnelle méthode exégétique. Il soutient la méthode historique qui permet de comprendre comment le droit romain et son interprétation ont évolué et inspirent encore le droit français comme de nombreux droits étrangers ; l’étudier forme l’esprit et le raisonnement juridiques et ouvre sur le droit comparé. Pour éviter d’ennuyer par une érudition savante (utile seulement aux universitaires !) un public qui se destine avant tout aux carrières juridiques et judiciaires, il préconise de donner ainsi à l’étude du droit romain un intérêt pratique que, selon lui, d’autres méthodes négligent. Il choque une partie des romanistes en admettant, dès 1905, que les étudiants en droit peuvent ne pas connaître le grec, ni même le latin, et qu’ils peuvent travailler sur des traductions. Son énergie se retrouve dans les polémiques scientifiques qu’il mène avec d’autres romanistes, parfois contre les plus célèbres. Avec ses jeunes collègues lyonnais aux travaux novateurs, comme Édouard Lambert ou Paul Huvelin, qu’il estime sans conteste, il débat aussi ardemment. Ses propres travaux sont nombreux ; beaucoup sont encore lus et font l’objet de rééditions récentes. Passionné par l’étude critique des sources, Appleton chasse les interpolations des compilateurs de Justinien, les erreurs des copistes et les fautes de lecture des commentateurs. Il s’intéresse aussi aux explications de grands interprètes comme Dumoulin, Cujas ou Pothier. Cependant, il refuse « l’hypercritique » ; il ne veut pas écarter trop vite les récits des temps anciens et utilise la méthode comparatiste pour éclairer les mythes fondateurs de Rome. L’étude du droit romain à travers les siècles et de ses interprétations successives démontre que ce droit, et le droit en général, évoluent sous l’influence de la politique, de l’économie, et de la morale et doivent être compris comme des faits sociaux. Cette approche permet de faire bouger le droit contemporain et favorise son progrès. Il insiste sur le caractère relatif des droits subjectifs. Lorsque Louis Josserand* développe la théorie de l’abus des droits, il retrouve les antécédents romains de cette théorie et explique que croire que les Romains opposaient droit et morale est erroné ; au contraire, selon lui, à la recherche de l’équité, les jurisprudents ont conçu le droit comme « la morale en action ». Une de ses ultimes publications concerne les liens entre la morale et le droit. Charles Appleton décède le 20 janvier 1935, 24 rue Victor-Hugo, à Oullins.
Décorations, commémoration. Officier de l’Instruction publique (1888). Mélanges Charles Appleton : Études d’histoire du droit dédiées à M. Charles Appleton, offerts par ses collègues à l’occasion de son 25e anniversaire de professorat, (Annales de l’Université de Lyon), Lyon : A. Rey, Paris : Rousseau, 1903, VII + 655 p. ; repr. Nabu Press 2010. Membre correspondant de l’Académie de Bologne (14 avril 1908). Chevalier de la Légion d’honneur (16 janv. 1914 ; LH/44/30). Membre de l’Accademia nazionale dei Lincei, Rome (13 août 1914). Chevalier de l’ordre de Saint-Sava (Serbie). Membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (5 déc. 1924). Une rue de Lyon porte son nom dans le 7e arrondissement (Vanario).
Sur un rapport de René Garraud*, il est élu le 2 décembre 1913 au fauteuil 8, section 3 Lettres, précédemment occupé par le doyen Caillemer*. Il présente quelques communications : « Un portrait inédit du Premier Consul dessiné à Lyon par Longhi », MEM, 1915, p. 233-253. – « De quelques problèmes relatifs à l’histoire du mariage romain », 20 mars 1917, MEM, 1919, p. 107-138. – « La Longévité et l’avortement volontaire aux premiers siècles de notre ère, avec un tableau de statistique comparée », MEM, 1921, p. 195-217.
AN F17/22334/B. – David Deroussin, « Charles Appleton », in H. Fulchiron (dir.), La Faculté de droit de Lyon : 130 ans d’histoire, ELAH, 2006, p. 97-101. – « Enseigner le droit romain : pour quelle utilité et selon quelle méthode ? La réponse lyonnaise sous la IIIe République », in Ph. Nelidoff (dir.), Les Facultés de droit de province au xixe siècle, Presses Univ. Toulouse 1, 2009, p. 377-417. – Sylvie Rondel, L’enseignement du droit romain à Lyon, Mém. Univ. Lyon 3 inédit, 2006, 119 p. – Paul Collinet, « M. Charles Appleton (1846-1935) », RHD, 1935, p. 609-622. – Abel Lefranc, « Éloge funèbre », CRAI, 1935, p. 32-36. – Louis Josserand*, « Éloge funèbre », MEM 1936, p. 123-127. Le Progrès, 22 janv.1935. Publications de M. Ch. Appleton (1871-1921) ; Supplément (1921-1929). – René Garraud, Rapport lu devant l’Académie, 25 nov. 1913.
Médaille par Georges Dupré (Musée Art et Industrie, Saint-Étienne). – Portraits : Hommage à M. Ch. Appleton, Lyon : A. Rey, 1914. AN F17/22334/B ; « cliché Victoire Lyon » BML Rés. Coste 13118. Portraits BML PO546/S/3701 et 3702.
De la possession et des actions possessoires, Thèse, Dijon et Paris, 1871, viii + 488 p. – Résumé du cours de droit romain, Paris, Lyon, 1884-1885, 2 vol. 189-262 p. – Histoire de la propriété prétorienne, Paris, 1889, 2 vol, xxxix + 382 et 419 p. (repr. Scientia Verlag, 1974). – Histoire de la compensation en droit romain, Paris, 1895, III + 564 p. – Le testament romain, la méthode du droit comparé et l’antiquité des XII Tables, Paris, 148 p. – Un très grand nombre d’articles, publiés essentiellement dans RGD, qu’Appleton codirige, et dans la NRHD (qui redevient RHD), ou dans des Mélanges offerts à des collègues. Il en a publié lui-même une liste avec un supplément. Cette liste complétée et corrigée se trouve dans son dossier à l’Académie.