Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

POLINIÈRE Isidore de (1790-1856)

par Jacques Hochmann.

 Augustin Pierre Isidore Polinière est né le 15 décembre 1790 à Vire (Calvados), seul garçon au milieu de quatre sœurs. Parrain le 16 décembre, paroisse Notre-Dame et Saint-Thomas : Augustin Claude Richard Polinière, ancien lieutenant général criminel au bailliage de Vire, oncle paternel ; marraine : Marguerite Adélaïde Pauline Latache, tante maternelle, épouse de Charles Jean Baptiste Bruyard, ci-devant avocat au parlement de Paris, inspecteur général des manufactures de France, représentée par demoiselle Marie Eugénie Polinière, sœur de l’enfant. Son père, Pierre Julien François Polinière (Vire, 12 février 1742-19 juin 1819), était docteur agrégé au collège de médecins de Vire et médecin des hôpitaux du roi. Comme son propre père, Julien Pierre (1710-Vire 1784), également médecin et de plus échevin, il exerçait à l’Hôtel-Dieu de Vire (aujourd’hui transformé en musée, dont une salle porte le nom de Polinière). L’arrière-grand-père d’Isidore, Pierre Polinière (Coulonces [Calvados], 1671-1734), était aussi médecin. Il est connu surtout comme mathématicien et initiateur de la physique expérimentale : il avait fait des expériences devant Louis XV, alors âgé de douze ans, et serait un de ceux qui ont découvert la lumière électrique. Sa mère, Marie Victoire Latache (Volvic [Puy-de-Dôme] 1760-Vire 1831) était la fille de Pierre Michel Latache (Versailles 1729-Saint-Sauveur-Marville 1811) qui avait acheté les domaines de Fay, de Marville et de Neuvilette au prince de Conti.

 Renonçant à une carrière militaire et suivant le désir paternel, Polinière entreprend des études de médecine à Paris. Mobilisé pendant la campagne de 1809, illustrée par la victoire de Wagram, il exerce comme aide-chirurgien militaire. Il reprend ensuite ses études, et suit en même temps les cours de philosophie et d’histoire de François Guizot (1787-1874) et de Victor Cousin (1792-1867), alors tout jeunes professeurs. Il est remarqué pour ses qualités cliniques par le docteur Joseph Récamier (1774-1852), médecin-chef à l’Hôtel-Dieu de Paris puis professeur au Collège de France (originaire du Bugey et parent de l’époux de Juliette Récamier). Il adopte alors les idées de son maître, tenant de l’optique anatomo-pathologique contre les idées physiologiques de François Broussais (1772-1838). Il soutient sa thèse le 22 mai 1815 sur la puberté (Paris, Didot, 1815).

 Le 13 janvier 1813, il avait épousé, à Seyssuel-et-Chasse (act. Seyssuel, Isère), sa cousine germaine, Marie Élisabeth Robichon, née à Givors (Rhône-et-Loire) le 27 septembre 1794, décédée à Seyssuel en 1871, fille de Marc Robichon (Miellin [Haute-Saône] en Franche-Comté, 1741-Seyssuel 1799) – avocat au parlement, propriétaire avec sa famille des verreries de Givors et de Rive-de-Gier, lieutenant de police à Givors –, et de Marie Marguerite Louise Latache (Volvic 1755-Seyssuel,1842). Du fait de « l’alliance contractée dans une famille fort recommandable » (Monfalcon*), Isidore Polinière, jeune médecin, vient s’installer à Lyon. Il doit alors, non sans peine, se constituer une clientèle et se faire des amis dans une ville qui lui est étrangère. Pour meubler son attente et se faire connaître, il occupe son temps à faire plusieurs rapports sur commande ou dans le cadre des concours ouverts par les sociétés savantes. C’est ainsi que, en collaboration avec Jean Baptiste Monfalcon* (1793-1874), un médecin lyonnais qui deviendra son ami et son biographe, il rédige un premier rapport sur la fabrication des eaux minérales artificielles. Il obtient la médaille d’or de l’Académie en 1821, dans un concours où il s’agissait de déterminer les avantages et les inconvénients respectifs des hôpitaux et des soins à domicile pour les malades indigents (un sujet alors à la mode). Se souvenant sans doute des débats occasionnés par les saignées excessives préconisées par Broussais, il concourt auprès de la Société médicale de Marseille, en 1827, sur l’étude clinique des émissions sanguines artificielles dont il montre à la fois les bénéfices et les risques. Monfalcon précise que, malgré son goût pour les arts et les lettres (et sa culture philosophique et historique), Polinière ne veut pas faire une carrière d’écrivain et entend exercer concrètement la médecine. Il se présente donc aux épreuves du concours de médecin suppléant de l’Hôtel-Dieu, en 1822. Classé premier, il saute un échelon, devient tout de suite titulaire et responsable d’une salle de cent vingt malades, la salle Saint Charles. Grand, blond, distingué, aimant les arts, d’un abord avenant, sachant plaire aux malades, il se constitue alors rapidement une clientèle importante dans les hautes classes de la société, Il aura parmi ses clients célèbres : Mademoiselle Mars, la comédienne, atteinte d’une douleur au genou lors d’une représentation à Lyon ; Madame de Chateaubriand, indisposée pendant une halte à Lyon, sur le chemin d’Italie ; Adolphe Crémieux, futur ministre de la justice de la Deuxième République (et auteur du Décret Crémieux qui donnait en 1870 la nationalité française aux juifs d’Algérie) ; ou encore le baron Larrey, une gloire de la chirurgie militaire, alors âgé, revenu très malade d’une inspection en Afrique et à qui il ferme les yeux (Larrey, qui a laissé son nom à une région anatomique, la fente de Larrey, en avant du diaphragme, est aujourd’hui inhumé aux Invalides). Cette clientèle huppée ne l’empêche pas de s’occuper avec beaucoup d’attention, d’assiduité et d’humanité des malades pauvres qu’il soigne à l’hôpital. Il n’est pas recruté comme professeur de clinique de la toute nouvelle école secondaire de médecine, mais est entouré d’élèves dans son service où il se signale par la modération dans ses doctrines, sa grande tolérance pour les « sectes dissidentes » (comme la phrénologie qui compte à Lyon des partisans engagés) et le respect de ses patients. Il est élu par deux fois président de la Société de Médecine, devient membre du « jury médical », une institution qui avalise les candidatures des officiers de santé, des pharmaciens, des sages-femmes et des herboristes et contrôle leur exercice. Il est nommé secrétaire général du Conseil de salubrité, où il développe une importante activité concernant l’état des cimetières, des prisons, des casernes, des hôpitaux, des abattoirs, la pureté des eaux potables, la voirie, la qualité de l’air et la lutte contre les pollutions industrielles. C’est cette activité d’hygiéniste qui lui vaudra d’être envoyé, avec deux collègues, L.-F.Trolliet (1777-1852) et A. Bottex* (1796-1849), en mission à Paris pour étudier les mesures à prendre devant l’épidémie de choléra de 1832.

 Entretemps, pendant la révolution de 1830, monarchiste constitutionnaliste modéré, il use de son amitié avec le préfet, le comte René Auguste de Brosses — fils du président de Brosses, du Parlement de Bourgogne, célèbre pour ses Lettres d’Italie — et le convainc de ne pas répandre inutilement de sang et de céder aux insurgés. La monarchie de Juillet le récompensera en lui octroyant, en 1844, le titre de baron.

 Ayant terminé ses années de service à l’Hôtel-Dieu, Polinière devient en 1832 médecin de l’hospice de la Charité. Il est nommé membre du conseil d’administration des Hospices civils de Lyon le 13 décembre 1841. En 1843, il devient administrateur directeur de la Charité. Dans ces fonctions, il poursuit sa tâche d’hygiéniste suivant la ligne déjà dessinée par son collègue Jean-François Terme* (1791-1847), président des Hospices jusqu’en 1840, puis maire de Lyon. Polinière, rétablissant le plan primitif, fait rouvrir les arcades et fenêtres qui avaient été obturées, déblayer les galeries et agrandir les salles pour permettre la circulation de l’air. Il améliore le couchage et la nourriture des patients, cherche à détruire les foyers d’infection et lutte ainsi avec succès contre ce qu’on appelle aujourd’hui les « maladies nosocomiales ». Il s’est converti, pour les enfants trouvés, au système du tour d’abandon institué à Lyon en 1804, dont Terme et Monfalcon ont montré les avantages et surtout les inconvénients, souhaitant son abandon progressif et son remplacement par l’admission à bureau ouvert. Il s’efforce aussi de faciliter le retour au foyer des enfants abandonnés et de « raviver le sentiment maternel » en diminuant de manière significative les frais occasionnés par le « droit de recherche ». En 1846, il présente un rapport sur les aménagements et les extensions à apporter au « claustral » de l’Hôtel-Dieu. En 1852, dans un autre rapport, il oppose au projet gouvernemental d’une prison pour prostituées vénériennes analogue à Saint-Lazare à Paris, celui d’un quartier « pénitencier » sous administration hospitalière à l’Antiquaille. En janvier 1854, il quitte le conseil d’administration que, contrairement à certaines sources, il n’a jamais présidé. Parallèlement, il préside la commission exécutive des salles d’asile (ancêtres de nos écoles maternelles) à l’origine de réflexions réunies dans une brochure et qui alimenteront son discours de réception à l’Académie. Il est aussi administrateur du Dispensaire de Lyon, membre puis président de la Société nationale de médecine et des sciences médicales de Lyon, membre correspondant de l’académie royale de médecine.

 Polinière a eu deux fils : Pierre François Léon, né à Lyon en 1818, qui héritera du titre de baron, et Pierre Eugène Alphonse (1822-1879), chef d’escadron au 6e régiment de dragons, officier de la Légion d’honneur par décret du 25 août 1869.

 Atteint d’un « mal insidieux et terrible au siège de l’intelligence » (une tumeur cérébrale ou une atteinte vasculaire ?), mais ayant conservé toutes ses facultés, il vient à l’Académie prononcer l’éloge de son confrère et ami Jean Marie Viricel* décédé en 1855. Il est alors victime d’un malaise et meurt peu après à son domicile, 4 rue Saint-Joseph (act. rue Auguste-Comte) à Lyon 2e le 13 juillet 1856. Déclaration est faite le 14 par son fils aîné Pierre François Léon de Polinière, alors juge au tribunal civil de Trévoux. Il semble avoir été inhumé à Seyssuel. Il laisse derrière lui une bibliothèque léguée en partie à l’école de médecine, une collection de tableaux, de bronzes et de coquillages, ainsi qu’une fortune considérable dont, dit Monfalcon, il faisait un usage « bienfaisant ». « Il n’a point été le chef de la médecine lyonnaise, ajoute-t-il, mais Lyon l’a compté parmi ses médecins les plus distingués ».


Académie

Élu en 1832, il fait son discours de réception sur L’éducation considérée dans ses rapports avec la médecine (Lyon, Impr. Rossary, 1833). Très assidu, il assure par deux fois la présidence, en 1836 et en 1845. Ses comptes rendus des travaux de l’année sont particulièrement détaillés. (CR des travaux de l’Académie de Lyon, 1837). Il a prononcé en outre plusieurs éloges funèbres et donné des recensions d’ouvrages. Le 31 mars 1845 il préside le banquet offert par l’Académie en l’honneur de Lacordaire à qui il remet une médaille commémorative. En 1847, lors de la création des fauteuils, il occupe le fauteuil 3, section 3 de la classe des sciences.

Chevalier de la Légion d’honneur, décret du 9 février 1844 (LH/2192/34).

Bibliographie

Bouchet. – David 2000. – J.F. Terme et J.B. Monfalcon, Histoire statistique et morale des enfants trouvés, Paris : Baillière et Lyon Savy 1837. – J.B. Monfalcon, Éloge du docteur baron de Polinière lu à l’Académie le 31 mars 1857 MEM S 1858, et Lyon : Impr. Rey et Suzanne, 1857. – P. Diday, « Vie du docteur Polinière », Gazette médicale de Lyon, nos 3 et 4, février 1857.Registres des délibérations du CA des HCL 1843-1854, Archives municipales. – J. Guiart, L’école médicale lyonnaise, Paris : Masson, 1941.

Iconographie

Selon Monfalcon, Polinière serait à l’origine de la médaille du conseil d’administration des hôpitaux de Lyon gravée « sous sa direction » en 1845 par Louis Schmitt (1807-1890), avec l’effigie des fondateurs légendaires Childebert et Ultragothe. – Une épreuve gravée par Benoît Joseph Chevron (1824-1875) d’un portrait par Claude Bonnefond* (1796-1860) est conservée au Musée Gadagne (numéro d’inventaire 1294 22), une autre au Fonds Coste de la BML (N°14711 du catalogue), et une au Musée d’histoire de la médecine et de la pharmacie de Lyon. – Buste daté de 1827 par Clémence de Sermezy (1767-1830), musée d’histoire de la médecine de la pharmacie de Lyon. – Monfalcon signale un portrait gravé par Louis Schmitt « reconnaissant » ; il s’agit en fait d’une médaille en effigie mentionnée par Audin et Vial.

Publications

Essai sur la puberté (thèse méd. Paris n° 157), Paris : Didot, 1815, 39 p. – Quels sont les avantages et les inconvénients respectifs des hôpitaux et des secours à domicile distribués aux indigents malades, Lyon : Impr. Durand, 1821 – Avec J. B. Monfalcon, Rapport sur la fabrique des eaux artificielles de P. Bourgeois, Lyon : Impr. Louis Perrin, 1825. – Étude clinique des émissions sanguines artificielles, Paris : Baillière, 1827. – Avec L.F. Trolliet et A. Bottex, Rapport sur le choléra morbus de Paris, Lyon : Babeuf, 1832. – Salles d’asile pour l’enfance de la ville de Lyon, Lyon : Impr. Rossary, 1835 – Avec J. B. Monfalcon, Traité de la salubrité des grandes villes, suivi de l’hygiène de Lyon, Paris : Baillière, 1846. – Avec J.B. Monfalcon*, Hygiène de la ville de Lyon ou opinions et rapports du Conseil de salubrité du département du Rhône, Lyon : Nigon, 1851. – Considérations sur la salubrité de l’Hôtel-Dieu et de l’hospice de la Charité par le Docteur Baron de Polinière, Lyon : Impr. Louis Perrin, 1853.