Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

MICHEL Antoine François (1789-1871)

par Marguerite Yon-Calvet.

 Antoine François Michel est né le 3 mai 1789 à Grigny (Rhône) dans une famille de notables locaux qui compte des négociants, des notaires royaux, des marchands-drapiers... Son père Charles Michel (Grigny, 1751-1828) – marchand d’habits, aubergiste, fabricant de soie, receveur des droits réunis à Millery, maire de Grigny en 1791 – et sa mère (Jeanne-) Marie Trayvou (Grigny, 1754-1841) eurent au moins 12 enfants de 1780 à 1802, dont l’une – Jeanne-Benoîte – était la sœur jumelle d’Antoine. « Son parrain a été Sieur Antoine Michel son oncle paternel, négociant à Lyon ; sa marraine Dme Françoise Michel sa tante paternelle, épouse de Simon Hubert Farge, négociant à Givors ».

 On ne sait rien de son enfance dans les années sombres de la Révolution. Il a dû participer dans sa jeunesse aux campagnes de l’Empire (il avait 26 ans en 1815), puisqu’il fut en 1857 bénéficiaire de la Médaille de Sainte-Hélène, créée par Napoléon III pour récompenser les 405 000 soldats qui avaient combattu aux côtés de Napoléon Ier pendant les guerres de 1792 à 1815 et qui vivaient encore en 1857 [il porte cette médaille sur la seule photo qu’on possède de lui (la famille ne mentionne pas cette décoration impériale sur son faire-part de décès en janvier 1871, la défaite de Sedan ayant balayé l’Empire et ses gloires quatre mois plus tôt, le 4 septembre 1870 !)].

 Le 26 novembre 1828, il épouse à Vaise Jeanne Cazot (Lyon 17 juin 1808-Lyon 6 juillet 1863), fille des défunts Benoît Cazot, négociant rue Saint-Jean, et de Jeanne Pierrette Picard, le contrat de mariage ayant été signé à Grigny le 16 novembre, devant Me Gonnard. Ils ont trois enfants : deux fils (morts en bas âge) et une fille Marie-Céline (1833-1882), qui épouse en 1852 Pierre Piaton (1818-1879), notaire et avocat, fils de Louis Piaton (1788-1871), teinturier sur soie, et de Marie Claudine Ravut (1784-1847). Sa fille Marie-Céline Piaton est la belle-mère de Pierre Villard*, la grand-mère de Louis Tavernier*, l’arrière-arrière-grand-mère de Marguerite Yon-Calvet*, et de Bruno Permezel*.

 Il meurt à Marseille à l’âge de 82 ans, le 6 janvier 1871, quartier Sainte-Marthe. Mais ses funérailles ont lieu à Lyon, à Saint-Martin d’Ainay, le 10 janvier. Il est inhumé au cimetière de Loyasse (caveau au nom de Michel : Hours, n° 155).

 Muni d’une formation de « chimiste-coloriste », il se consacre à la teinture des soies, dont il fait une industrie familiale florissante. Homme de science en même temps qu’industriel, il poursuit des recherches sur la chimie des colorants, qui connaissent un développement remarquable dans les années 1830 (selon Peyrenet 1978, p. 41 : « … en 1835 on compte soixante-dix-sept ateliers de teinture à Lyon… »). Par la suite, il présentera régulièrement ses résultats à la Chambre de commerce de Lyon, et à l’Académie.

 Après la révolution, on sait qu’il habite Saint-Cyr-au-Mont-d’Or où il est connu comme « industriel de l’indiennerie » (cf. Histoire de Saint-Cyr) ; il loue à une Mme Cranthier le « Moulin d’Arche » à Saint-Cyr « en septembre 1821 pour 15 ans » (en fait, il résilie son contrat en 1835). La même année 1821, il crée avec son frère Charles Michel aîné (né en 1781) et Jean-Baptiste Ducarre (apparenté à l’épouse de Charles, Claudine Ducarre, mariée à Lyon le 11 juillet 1807) une société familiale de teinturerie sur soie, sous la raison Michel frères et Ducarre, 11 rue de la Quarantaine (à l’angle du quai Fulchiron) : Charles Michel pour la moitié, J.‑B. Ducarre pour un quart, Antoine-F. Michel pour le dernier quart. Il installe en 1822 dans la Loire un atelier destiné à procéder à un premier traitement des bois – 1 000 quintaux par semaine sont râpés et pilés grâce à une machine à vapeur (Cayez 1978, p. 190 ; Lavigne-Louis 2010, p. 285) –, et qui a fonctionné jusqu’en 1840.

 En 1832, J.-B. Ducarre s’étant retiré, ainsi que Charles aîné au profit de ses deux jeunes fils Charles Michel fils et Joanny (également petits-fils de Ducarre) pour la moitié, A. F. Michel prend le premier rôle, un autre de ses frères Charles Michel cadet étant le nouvel associé pour le dernier quart : la société devient alors la société « Michel frères et neveux », au capital de 100 000 Francs ; en 1833, A.-F. Michel est désigné comme « teinturier de soie » au 25 (et non plus 11) rue de la Quarantaine. Selon P. Cayez (1976, p. 190), dans le développement que connaissent alors les industries de cette spécialité, « la première réussite paraît avoir été celle des frères Michel », et l’entreprise est vers 1835 la plus importante de Lyon. A.F. Michel a inventé un procédé (brevet déposé) pour teindre la soie qui permet d’obtenir, à partir du bois de châtaignier, un noir profond à un prix beaucoup moins élevé que la noix de galle, très chère, utilisée jusque-là ; et ce noir fait alors la célébrité de la maison. Ainsi François Gillet (le fondateur de l’entreprise Gillet destinée à un bel avenir industriel : voir ici notice Joseph Gillet*), une fois terminé son apprentissage de « teinturier-apprêteur », avait à l’âge de 18 ans commencé sa carrière en entrant en 1834 chez « Michel Frères, la principale maison de teinture de Lyon, qui emploie alors 40 ouvriers, rue de la Quarantaine » : il y reste quatre ans, avant de fonder en 1838 sa propre entreprise, où il exploite d’abord le brevet de teinture au châtaignier d’A. F. Michel.

 En 1844, A. F. Michel est fait chevalier de la Légion d’honneur ; sur la liste des exposants qui ont obtenu cette décoration à l’occasion de l’ « Exposition nationale » de 1844 installée sur les Champs-Elysées (d’une série de onze expositions destinées à encourager le développement agricole et technologique en France, la première ayant eu lieu en 1798), il est le premier cité dans le rapport de M.E. Chevreul (Cayez 1978 ; cf. Lavigne-Louis 2010, p. 285). Il demeure alors au 13 [ancienne numérotation] rue Vaubecour à Lyon.

 Le 8 mai 1846 il achète (devant le notaire Me Thioffait, au prix de 60 000 fr.) le château de la Damette à Irigny (Rhône), à sa nièce Alexandrine Page (née à Lyon le 20 novembre 1818), fille de sa sœur Agathe et de son beau-frère Joseph Bissardon qui l’avait acquis en 1831. C’est une belle « maison des champs » construite vers 1670 [classée « monument historique » en 1927], entourée de jardins à la française en terrasses, avec une orangerie et de vastes dépendances, et célèbre pour les peintures à sujets mythologiques attribuées à Thomas Blanchet (1614-1689) ou à Adrien Dassier (1630-1690), qui ornent les plafonds. Il utilise les dépendances pour installer les ateliers et les laboratoires de ses recherches sur les teintures de soie, et il accueille la famille de sa fille (Marie-Céline Piaton) ; elle en restera propriétaire jusqu’en 1883.

 Il installe aussi à Saint-Symphorien-de-Marmagne (près du Creusot, Saône-et-Loire) un atelier procédant à un premier traitement du bois de châtaignier (Cayez 1978, p. 190). Il y fait construire en 1860 une « maison de maître », dans une vaste propriété avec dépendances, fermes, prés, vignes, et une châtaigneraie. La même année il dépose un brevet sur l’utilisation du bois de châtaignier dans le tannage des cuirs.

 Mais l’âge de la retraite arrive, et pour mettre fin à ses activités industrielles il procède de la façon suivante : en 1865 (il a alors 76 ans), il fusionne d’abord sa société avec celle de Claude (ou Claudius) Piaton (1820-1901, frère de son gendre Pierre), lui aussi teinturier sur soie, sous la raison « Piaton, Michel et Cie, 31 quai Fulchiron-3 rue de la Quarantaine) : puis, le 18 août de la même année, Claude Piaton, Paul Bredin et Antoine Michel la transforment en société « Piaton, Bredin et Cie » (Lavigne-Louis 2010, p. 309), ce qui lui permet de se retirer des affaires.

 A.F. Michel était un homme cultivé. Sans être un spécialiste des beaux-arts, il a eu le souci de faire restaurer à la Damette les peintures de Blanchet ; sa bibliothèque (2 601 volumes selon l’inventaire établi à sa mort) rassemble des livres de toutes sortes : archéologie et histoire, géographie et économie politique, aussi bien que romans, philosophie ou botanique, littérature étrangère et ouvrages militaires…, sans compter près d’une centaine de cartes (Lavigne-Louis 2010, p. 291). Il a constitué aussi à la Damette d’intéressantes collections minéralogiques et géologiques [elles ont été vendues aux enchères à Paris, le 27 juin 1927], et y accueille des scientifiques qui mènent chez lui leurs expériences. C’est à la Damette qu’Henri Sainte-Claire-Deville, en utilisant le sodium comme réactif, coula en 1854 le premier lingot d’aluminium qu’il présenta la même année à Paris à l’Académie des Sciences ; quelques lingots figurèrent à l’Exposition Universelle de 1855 ; grâce à ces travaux, la baisse considérable du prix de revient – de 3 fr. le gramme à 20 fr. le kilo – ouvre la possibilité de faire à l’avenir de l’aluminium un véritable produit industriel. C’est également là qu’Émile Verguin a travaillé sur l’aniline : à la suite du chimiste anglais W. Perkin qui avait obtenu à Londres en 1956 le premier colorant à base d’aniline, de couleur violette – la « mauveine » –, Verguin obtient en 1859 un colorant rouge, la fuchsine, qui allait remplacer la garance (mais la découverte se termina pour Verguin en échec industriel et commercial dans l’« Affaire de la Fuchsine » : Cour impériale de Lyon, 1re Chambre. Affaire de la Fuchsine, M. Narath contre la société la Fuchsine, 1870). Il publie plusieurs articles faisant état de ses recherches : sur le « vert de Chine » par exemple, et surtout sur le « noir ». Ses découvertes font l’objet de dépôts de brevets et de publications.

 Il participe à la fondation de l’« École des Sciences et Arts de la Martinière » (1832), dont il est un des « administrateurs » jusqu’à sa mort et dont il a été président (cf. discours de M. Bizot à l’ouverture de la séance de la Commission administrative de la Martinière 24 avril 1879, dans la Notice nécrologique de son gendre Pierre Piaton : Garin 1879, p. 29-30). Une médaille de l’École [collection privée] porte le nom d’ « A.F. Michel » son titre d’« administrateur », et la date de 1832).

 Il est membre fondateur de l’« École Centrale Lyonnaise pour l’Industrie et le Commerce » en 1857 : l’école avait été créée pour devenir une Martinière supérieure, à l’initiative du saint-simonien François-Barthélemy Arlès-Dufour *, homme d’affaires et humaniste lyonnais, et de Désiré Girardon, professeur à la Martinière, qui se disaient désireux de « former les meilleurs élèves de la Martinière à la chimie, la mécanique industrielle, la construction civile et le dessin industriel », grâce à la participation financière de « dix-sept notables habitants de Lyon » (dont A. Michel), membres fondateurs, chacun pour 5 000 fr.), afin de constituer un capital. Vice-Président de la Société de secours mutuel des ouvriers en soie de la ville de Lyon et des villes suburbaines, 1857, dont il a été nommé membre par décret de l’empereur du 9 avril 1850. La part qu’A. F. Michel a prise au développement de l’industrie lyonnaise est reconnue par un lot de trois médailles de « La Société des Sciences industrielles fondée en 1862 » – une en aluminium et deux en cuivre [documents transmis et conservés dans la famille] –, aux profils d’A.M. Ampère * et J. C. Jacquard, gravées en 1868 par G. Bonnet ; le petit écrin de carton porte le nom de « M(onsieur) Michel.

 Chevalier de la Légion d’honneur en 1844. Membre de la Chambre de commerce de Lyon (1848-1869). Médaillé de Sainte-Hélène en 1857.


Académie

Le 11 août 1857, il adresse une lettre de candidature à l’Académie. Le rapport sur le candidat est présenté le 24 novembre 1857 par Armand Bineau* « au nom de la section des sciences mathématiques ». Le 1er décembre 1857, Antoine Michel est élu au fauteuil 5, section 1 Sciences. Le 8 novembre 1859, « M. Michel dépose sur le bureau le manuscrit de son discours de réception. Une commission formée des membres du bureau auxquels se joindront M.M. Fournet et Guimet et à défaut de ce dernier M. Glénard, entendra la lecture de ce discours qui doit figurer au programme de la prochaine séance publique ». Le texte « Considérations sur la teinture des soies en noir » (MEM S 10, 1860) porte la mention : « Présenté à l’Académie impériale de Lyon, le 8 novembre 1859 ».

Bibliographie

L. Bégule, Antiquités et richesses d’art du département du Rhône, Lyon : Rey, 1925. – P. Cayez, Métiers Jacquard et hauts-fourneaux, Lyon : PUL, 1978. – P. Cayez, S. Chassagne, Lyon et le Lyonnais, Paris : A. et J. Picard / Cénomane, coll. « Les patrons du Second Empire » (n° 9), 2006, 287 p. – École Centrale Lyonnaise 1857-1957, Lyon : Lescuyer, 1957. – L. Galactéros de Boissier, « Ombreval et la Damette : deux “maisons des champs” lyonnaises au xixe siècle », Revue Marseille n° 109, 1977 : La qualité de la vie au xviie siècle, p. 165-175. – J. Garin et al, Notice nécrologique sur Pierre Piaton et hommages rendus à sa mémoire, Lyon : Assoc. typogr., Lyon, 1879. – M. Lavigne-Louis, Châtelains et vie de château autour de Lyon, Lyon : BGA Permezel, 2010. – B. Jacquet Nicolas, « La maison des champs de La Damette », dans Châteaux du Lyonnais, Lyon : éd. les Beaux Jours, 2014. – M. Peyrenet, La dynastie des Gillet : Les maîtres de Rhône-Poulenc, 1978, Paris : éd. Le Sycomore, 198 p. – Archives familiales Calvet, Piaton, Permezel.

Publications

Rapport sur le vert de Chine, Chambre de commerce de Lyon, Lyon : impr. Barret, 1856, 19 p. – « Notice du vert de Chine et de la teinture en vert chez les Chinois », in Natalis Rondot, Recherches sur la matière colorante des nerpruns indigènes, Chambre de commerce de Lyon, Paris, 1858, 208 p. – Considérations sur la teinture des soies en noir, lu à la Société impériale d’Agriculture, d’histoire naturelle et des arts utiles de Lyon, dans sa séance du 23 mars 1860, Annales de la Société impériale d’Agriculture, d’histoire naturelle et des arts utiles de Lyon, Lyon : Barret, 1860, 20 p. – Note sur la substitution du bois de châtaignier à l’écorce de chêne dans la tannerie, lue à l’Académie impériale de Lyon, dans sa séance du 17 janvier 1865, Lyon : Rey et Sézanne, 1865, 12 p. – Mémoire sur le tannin de châtaignier et sur son application au tannage des cuirs, lu à la Société impériale d’agriculture, d’histoire naturelle et des arts utiles de Lyon, dans sa séance du 20 janvier 1865, Lyon : Barret, 1865, 11 p.