Né le 13 janvier 1771 rue Lafont à Lyon, Camille Jordan est baptisé le lendemain dans l’église Saint-Pierre-Saint-Saturnin. Parrain : Claude Perier (Grenoble 1742-Paris 1801), négociant et banquier à Grenoble, futur régent de la Banque de France, oncle maternel – il est père de nombreux et brillants enfants dont Augustin (1773-1833), pair de France, député de l’Isère ; Alexandre (1774-1846), maire de Montargis, député et président du Conseil général du Loiret ; Casimir (1777-1832) président de la Chambre des députés, président du Conseil, ministre de l’Intérieur, qui a épousé Pauline Loyer, petite-fille de Toussaint Loyer* ; Camille Joseph (1781- 1844), polytechnicien, député de la Sarthe, de la Corrèze, pair de France, chevalier de la Légion d’honneur ; Alphonse (1782-1866), commandant de la Garde nationale, maire d’Eybens, député de l’Isère ; Joseph (1786-1868), auditeur au Conseil d’État, receveur général de la Grande Armée, receveur des finances, officier de la Légion d’honneur – ; le parrain est représenté par Joseph Henry Lambert, écuyer ; marraine : Marie Anne Jordan (Lyon, 1726-1788), tante paternelle. Son père, Pierre Jordan (Lyon 4 juillet 1727-23 janvier 1791), négociant, descend d’une ancienne famille huguenote du Languedoc, puis dauphinoise et enfin lyonnaise. Il a épousé le 22 octobre 1765, dans l’église Saint-Louis à Grenoble, sa cousine, Marie-Élisabeth Perier (Grenoble 1748-1796), fille de Jacques Périer (1703-1782), marchand toilier, et d’Élisabeth Dupuy (1719-1841), dont la mère était Hélène Jordan, née en 1689, grand-tante de Pierre ; elle lui a donné six fils, Camille étant le troisième de la fratrie.
Camille a fait ses études au collège de la Trinité (alors dirigé par les oratoriens) où il est le condisciple de Joseph Marie Degérando – ou de Gérando – (1772-1842), ami intime avec lequel il se retrouve au séminaire de Saint-Irénée pour suivre deux années de philosophie. Devenu avocat, il est présent le 21 juillet 1788 à Vizille pour la tenue des États généraux du Dauphiné dans le château que son oncle Claude Perier a mis à la disposition de l’assemblée, événement marquant le début de la Révolution française. Camille Jordan y fait la connaissance de Jean-Joseph Mounier (Grenoble 1758-Paris 1806), élu député du Tiers-État. S’étant rendu à Paris en 1790 avec sa mère, Camille Jordan n’approuve pas la Constitution civile du clergé adoptée le 13 juillet et, en accord avec Degérando, publie en 1791 plusieurs libelles anonymes, notamment contre Lamourette : Lettre à M. Lamourette, se disant évêque de Rhône-et-Loire, et métropolitain du Sud-Est, Lyon, 1791 ; Seconde Lettre sur son avertissement pastoral, et, sous le pseudonyme de Simon : Histoire de la conversion d’une dame parisienne, Lyon, 1791, puis en 1792, contre les réfractaires, La loi et la religion vengées des violences commises aux portes des églises catholiques de Lyon. Engagé dans l’insurrection de Lyon en 1793, il parvient à s’enfuir en Suisse, puis gagne l’Angleterre où il reste trois ans, se faisant nombre d’amis, émigrés et membres du parlement anglais. Il revient à Grenoble en 1796, assiste aux derniers instants de sa mère, et fait partie de la société de la Dui (société d’amitié et de conseils) avec Degérando et ses cousins Perier au château de Vizille.
L’élection de Camille Jordan le 22 mars 1797, comme député du Rhône au Conseil des Cinq-Cents, marque le réel début de sa vie politique. Le 17 juin il se fait remarquer par son Rapport sur la police des cultes, demandant la liberté de culte et plus particulièrement le rétablissement des cloches : « Les citoyens étant libres dans l’exercice de leur culte, les cloches doivent être permises comme partie intégrante du culte », propos immédiatement fustigés par quantité de railleries (le Din, din, dindon vaudeville, dédié à Camille Jordan par le citoyen***), et le sobriquet de Jordan-Cloche, puis il affronte Marie-Joseph Chénier à propos des Compagnons de Jéhu lyonnais, et développe, à force d’anaphores, ses talents d’orateur dans la défense des royalistes. Il n’a plus qu’à prendre la fuite en compagnie de Degérando – « Oreste et Pylade » – en Suisse, en Allemagne où il retrouve Mounier et rencontre Goethe. Un arrêté du 29 pluviôse an VIII [17 février 1800] le met sous surveillance. Il est interné à Grenoble et séjourne quelque temps à Saint-Ouen chez Mme de Staël, dont il devient un ami proche et qu’il influencera dans la rédaction de son ouvrage De l’Allemagne. Il publie en 1802 à Hambourg une brochure anonyme de 50 pages sur le consulat à vie : Vrai sens du vote national sur le consulat à vie, qui commence ainsi : « Et moi aussi, homme indépendant, j’ai suivi la foule ; j’ai voté pour le consulat à vie […]. Nous voici délivrés à la fois des habitudes serviles de l’ancien ordre et des exagérations passionnées du nouveau, appelés par notre Gouvernement à délibérer sur de grands intérêts, reconnus par lui-même assez sages pour les bien déterminer. » Jordan y affirme que la majorité du peuple a « la ferme confiance que bientôt Bonaparte, appréciant les nouvelles circonstances qui l’entourent, n’écoutant que l’inspiration de son âme et la voix des bons citoyens, posera lui-même à l’autorité, dont il est investi, une limite heureuse […]. Toute la sécurité qu’un caractère peut donner, Bonaparte l’inspire ». Cependant Camille Jordan demande que les libertés soient préservées – notamment la liberté de la presse –, que « le magistrat reprenne le pas sur l’officier », et le maintien d’une représentation nationale basée sur la propriété : « Nous tenons, avant tout, à la liberté, à la tranquillité de notre pays ; voilà ces grands intérêts qui surtout nous occupent, qui seuls nous enflamment ; qu’ils soient respectés, que les droits de tous soient garantis, qu’un pouvoir exécutif soit contenu dans des justes bornes ». Il termine en se déclarant tout à fait opposé à un régime héréditaire. Son petit-cousin Antoine Louis Hippolyte Duchesne, qui avait remis le manuscrit à l’éditeur, est arrêté. Courageusement, pour le faire élargir, Jordan envoie au premier consul un exemplaire signé de son nom, sans être inquiété ; mais les exemplaires ont été saisis (à l’exception de six), et l’ouvrage est réimprimé à Londres (par Cox fils et Baylis). Il ne suit donc pas Napoléon en 1804, et se retire provisoirement de la vie politique. Revenu à Lyon, il reprend le négoce de son père quai Saint-Clair, rencontre et correspond avec de nombreux amis, dont Ampère*, Juliette Récamier, Germaine de Staël, Mathieu de Montmorency, et il se consacre à des travaux littéraires, notamment à la traduction des Odes du poète allemand Klopstock (1724-1803).
Il se marie le 25 mars 1805, à Lyon, avec Louise Philippine Magnieunin (Lyon 17 décembre 1785-Paris 26 novembre 1860), fille d’un négociant, domiciliée place Bonaparte (act. place Bellecour) – veuve, elle s’est remariée le 7 septembre 1823, à Paris avec Hyacinthe Hippolyte de Mauduit (Moëlan [Finistère] 13 mai 1794-Santa-Marta [Colombie] 13 octobre 1862), capitaine, puis consul de France en Colombie, d’où un fils Hippolyte (1825-1876) chevalier de la Légion d’honneur – ; le couple a pour témoin un beau-frère de la mariée, Antoine Marie Étienne Lacène, ancien trésorier de France au parlement de Grenoble, rentier – celui-ci sera maire d’Écully de 1822 à 1828 après que son épouse Louise Magnieunin aura hérité de la villa Saint-Pierre, où il se passionnera pour la botanique.
La fin de l’Empire marque le retour à la vie politique de Camille Jordan, qui fait partie de la délégation lyonnaise envoyée à Dijon le 30 mars 1814 auprès de l’empereur d’Autriche pour obtenir un adoucissement des contributions de guerre. Il est anobli par le roi (ordonnance royale du 18 août 1814), et en octobre Guizot l’informe qu’il est fait chevalier de la Légion d’honneur. Le 4 février 1815, le roi le nomme conseiller municipal de Lyon. Le 10 mars suivant, il tente avec le comte d’Artois de résister au retour de Napoléon qu’il refuse de rencontrer lors de son passage à Lyon. Le 19 janvier 1816, il est envoyé à Londres avec Jean Aimé Ange Régny* pour recouvrer le legs du Major-Général Martin. Il est nommé au Conseil d’État le 30 novembre 1815. Peu enthousiaste, il refuse d’abord de se présenter à la députation. Enfin il se soumet aux instances de Germaine de Staël, qui lui a écrit le 12 septembre 1816 : « Je vous adjure de renoncer à la vie privée au nom de tous les devoirs, devant Dieu et devant les hommes. » Il se présente donc, n’obtient que 58 voix dans le Rhône, est élu député de l’Ain le 4 octobre 1816 par 102 voix sur 201 votants (285 inscrits) ; il réside alors à La Chapelle-du-Châtelard en Dombes. Il devient vice-président de l’Assemblée, ce qui ne semble pas le ravir, sa santé étant déjà chancelante ainsi qu’il l’écrit le 2 janvier 1817 de Paris (il réside alors 63 rue des Saints-Pères) à sa belle-sœur Louise : « Ma santé est toujours languissante et je suis toujours fort triste de cette vie si contraire à tous mes goûts. » Il devient président en novembre 1817. Réélu le 20 octobre 1818 dans le Rhône et dans l’Ain, il quitte la majorité, refuse de suivre le gouvernement sur le projet de loi relatif à la censure et devient un des chefs de l’opposition constitutionnelle. Il fait partie des royalistes qui, au centre de l’Assemblée, soutiennent l’application stricte de la Charte et s’opposent aux ultra-royalistes. Les constitutionnels sont en cela plus proches des libéraux qui forment l’aile gauche de l’hémicycle. Une notice écrite sur lui dans l’Ain le décrit « plein de probité, d’honneur et de courage ; croit que la conscience politique ne se sépare point des vertus du citoyen ; et que le plus grand service à rendre au monarque est de l’éclairer sur les vœux de l’opinion publique. Une santé faible, une force éteinte par de longs travaux, ne laissent pas à ce député tous les moyens de remplir sa carrière législative avec l’exactitude et l’activité qu’il voudrait déployer. Ses souffrances l’enchaînent souvent loin de ses collègues, quand sa présence pourrait être d’un salutaire effet au milieu des discussions orageuses ; mais sa voix est toujours une puissance, et son opinion rallie ordinairement de nombreux suffrages. Si vous voyez s’avancer à la tribune d’un pas lent et réfléchi un homme de taille élevée, la figure douce et valétudinaire, les cheveux courts, poudrés et un peu crêpés ; si cet orateur promène sur l’assemblée un œil de bienveillance et de conviction ; que son discours soit commencé d’un accent noble, assuré et modeste à la fois, recueillez-vous, gardez un religieux silence, prêtez une exclusive attention : M. Camille Jordan va parler. » Il est révoqué du Conseil d’État par le ministère Richelieu après son discours d’amendement du 30 mai 1820.
Camille Jordan siégera à la Chambre des députés, jusqu’à sa mort à Paris des suites d’un cancer, le 19 mai 1821. Après un service funèbre à l’église Saint-Thomas d’Aquin, il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, où les députés font ériger son tombeau dessiné par l’architecte François Mazois (1783-1826). Son éloge funèbre est prononcé par Royer-Collard et par Louis-Clair de Beaupoil de Saint-Aulaire. Le 9 octobre, lors d’un banquet offert à Lyon par le député de Corcelles, on laisse vide la place qu’aurait dû occuper Camille Jordan, en recouvrant son couvert d’un crêpe noir. Une urne contenant son cœur est déposée sur l’autel de la chapelle de la villa Saint-Pierre à Écully avec cette inscription :
cette urne renferme le cœur
de camille jordan
membre de la chambre des députés
conseiller d’état
né à lyon mdcclxxi
décédé à paris
ce xix mai mdcccxxi
et sur le couvercle :
julie – patrie – vertu –vérité – amitié.
Julie est le prénom qu’il donnait à son épouse Louise. Il en a eu une fille et deux garçons, tous les trois nés 121 place Bonaparte : Marie-Camille (Lyon 12 août 1806-Gleizé 22 décembre 1859), mariée le 2 octobre 1827 à Alfonse Péricaud de Gravillon, mère d’Arthur de Gravillon ; Joseph François Auguste (Lyon 14 novembre-Paris 22 septembre 1855), polytechnicien (1826), ingénieur en chef des Ponts et chaussées, directeur de la Compagnie ferroviaire Lyon-Genève, chevalier de la Légion d’honneur ; Charles (Lyon 4 octobre 1811-Rome 3 janvier 1851) officier de cavalerie. Camille Jordan est par ailleurs l’oncle d’Esprit Alexandre Jordan*, du botaniste Claude Thomas Alexis Jordan*, et grand-oncle du mathématicien Marie Ennemond Camille Jordan (1838-1922).
Une rue Camille-Jordan a été baptisée à Lyon 1er le 18 mai 1829. Son nom a été également donné à une rue de la Croix-Rousse en 1852 (lors du rattachement de la Croix-Rousse à Lyon en 1854 elle est devenue la rue Mascrany).
Traducteur des poètes allemands Klopstock et Schiller, Camille Jordan est admis à l’Académie comme membre ordinaire le 11 juillet 1809 pendant sa vacance politique. Des raisons de santé font qu’il n’y est présent qu’à partir du 27 mars 1810. Le 3 et le 17 avril suivants il fait un Discours sur l’influence réciproque de l’éloquence sur la révolution et de la révolution sur l’éloquence, et prononce son discours de réception sur le même sujet en séance publique les 1er et 15 mai. Le 8 janvier et le 5 février, il présente une notice sur Klopstock qu’il reprend en séance publique le 14 mai. Suivent Éloge de l’avocat général Servan (30 juillet, 6 et 13 août 1811) ; Éloge de Faye de Sathonay, maire de Lyon (5 janvier 1813), jugé d’une longueur excessive et d’une louange outrée, repris corrigé la semaine suivante.
Son éloge, rédigé par Ballanche*, est lu le 27 août 1823 par Mottet-Degérando*. Dumas* écrit à son sujet : « Cet orateur faisait remarquer, au sein de l’Académie, la brillante faculté d’improvisation qu’il avait reçue de la nature. On n’oubliera de longtemps le rapport qu’il fit ainsi du poème de Mme de Vannoz, son amie, sur la conversation. C’est un sujet pour lequel il aurait pu fournir lui-même un modèle ; car il animait ses entretiens par beaucoup d’esprit, d’à-propos et de gaîté. »
Jacques-Alphonse Mahul, Ann. nécrologique, ou Supplément annuel et continuation de toutes les biographies ou dict. historiques, 2e année, 1821, Paris : Ponthieu, 1822. – Sainte-Beuve, « Camille Jordan et Mme de Staël », Rev. des deux mondes, 1er mars 1868. – Édouard Herriot*, « Camille Jordan et la Restauration, 1814-1821 », RLY 1902. – Dufaÿ, Supplément à la Galerie civile de l’Ain. – Louis Trénard, Dict. Napoléon. – Y. Destianges, DBF. – Biographie pittoresque des députés de France, Bruxelles : éd. Maubach, septembre 1820. – R et C. – Louis Trénard, DMR. – Saint-Pierre, Dict. Ain. – Juliette Récamier muse et mécène, Cat. expo. musée des beaux-arts de Lyon, 2009, notice de Gérard Bruyère*.
Portrait en buste, plâtre de Chinard. – Portrait, huile sur toile par Marie-Éléonore Godefroy, élève du baron Gérard, et retouché par celui-ci. Vers 1840 la famille Jordan « fit présent à l’académie de Lyon d’une copie de ce portrait attribuée à Charles Rauch » (G. Bruyère*). – Portrait de face, dessin de Revoil, 1821, publié par Mahul, Annuaire nécrologique, 1821. – Médaillon de profil, bronze, par David d’Angers, musée du Louvre et Académie. – Portrait en buste, marbre sculpté par Mme de Sermezy. – Portrait en buste, marbre, signé Arthur Guillot, 1831, musée des beaux-arts de Lyon. – Portrait, lithographie, bibliothèque de Bourg-en-Bresse. – Buste en hermès, signé David d’Angers, 1822, ornant sa tombe au cimetière du Père-Lachaise.
Document relatif à l’Histoire de l’Académie de Dumas, Ac.Ms270 f°45. – Correspondance, classée dans 26 chemises, Ac.Ms355, don de M. Boubée en 1918.
Documents anonymes (avec Degérando) : Lettre à M. Lamourette, se disant évêque de Rhône-et-Loire, et métropolitain du Sud-Est, Lyon, 1791. – Seconde Lettre sur son avertissement pastoral, Lyon 1791. – Sous le pseudonyme de Simon, Histoire de la conversion d’une dame parisienne, Lyon, 1791. – La loi et la religion vengées des violences commises aux portes des églises catholiques de Lyon, Lyon, 1792. – Rapport sur la police des cultes, 29 prairial an V, Paris : Impr. Nat. – Avis à ses commettants sur la révolution du 18 fructidor, Paris, 25 vendémiaire an VI. – Anonyme, Vrai sens du vote national sur le consulat à vie, Hambourg, Londres, 1802. – Opinion de M. Camille Jordan, député du département de l’Ain, sur le projet de loi relatif à la liberté individuelle, 14 janvier 1817, Paris : Hacquart . – Opinion de M. Camille Jordan sur le projet de loi relatif aux journaux. Séance du 28 janvier 1817, Paris : Hacquart. – Discours de Camille Jordan, précédés de son éloge par M. Ballanche, d’une lettre par M. le baron Degérando sur sa vie privée, et de l’éloge de Saint-Aulaire, Paris : Renouard, 1826.