Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

THIBAUD Jean (1901-1960)

par Pascal Bellanca-Penel, Jean-Paul Martin.

 Jean Valentin Thibaud naît le 12 mai 1901 à Lyon 5e, 14 bis rue de la Pyramide, fils de Jean-Claude Joseph Thibaud (né à Saint-Paul-en-Jarrez [act. Saint-Paul-en-Jarez, Loire] en 1870), comptable, et de Marie Mathilde Augustine Boudin (née à Lyon le 20 septembre 1871). Témoins : Antoine Pérole, prêtre, et Auguste Masset, charpentier.

 Après des études secondaires au lycée Ampère, il obtient sa licence ès-sciences à l’université de Lyon. Il intègre en 1919, sur titre, l’École supérieure d’électricité de Paris. Il y explore l’électrotechnique générale, suit un cours de « Mesures électriques », et produit des conférences dans lesquelles il disserte sur les « Applications mécaniques de l’électricité » ou encore sur les « Exploitations électriques ». Sorti diplômé en juillet 1921 avec un rang honorable (37e sur 209 étudiants), il entre au laboratoire privé de physique des rayons X du duc Maurice de Broglie (1875-1960). C’est sur les propriétés des rayons X et γ que J. Thibaud va faire ses premières armes en 1921, sous la houlette de celui qu’il considérera toujours comme son « maître ». Il soutient sa thèse en juin 1925, publiée sous le titre : La spectrographie des rayons γ, spectres β secondaires et diffraction cristalline, devant un jury composé de Marie Curie, Jean Perrin et d’André-Louis Debierne – le découvreur en 1899 de l’Actinium. Le 26 novembre 1928, il devient directeur adjoint du laboratoire de physique de l’École Pratique des Hautes Études de la faculté des sciences de Paris. En cette année 1928 il se voit décerner le prix Hughes de l’Académie des sciences de Paris. Deux ans plus tard, il publie en 1930, chez Armand Colin, la première édition d’un ouvrage qui en comportera cinq : Les rayons X, ouvrage qui reproduit dans son ensemble, un cours donné dans la chaire française de l’université de Louvain. Autre distinction académique, il reçoit cette même année, le prix H. Becquerel de l’Académie des Sciences. Un an plus tard, en octobre 1931, il devient maître de recherche à la faculté des sciences de Paris. En 1933, il met au point la technique expérimentale dite de la trochoïde pour laquelle il reçoit en 1934 le prix Jérôme Ponti de l’Académie des sciences de Paris. C’est avec cette technique que J. Thibaud prend date et publie le 7 août 1933 un compte rendu qui allait préciser la charge spécifique de l’électron positif. Le 23 septembre, ses résultats paraissaient dans la revue Nature. Il y indique que ce corpuscule positif dont les traces se manifestaient depuis un an avait reçu le nom d’« électron positif ». Il faudra attendre la communication du 23 octobre 1933 pour que J. Thibaud précise ses mesures et sa méthode. Sa grande contribution à l’étude du positon sera publiée quelques mois plus tard, en décembre 1933. Il sera avec Frédéric Joliot le premier à enregistrer les traces de l’annihilation du positon dans la matière. Anderson citera Joliot et Thibaud dans sa conférence Nobel, comme les premiers à avoir observé le phénomène.

 Jean Thibaud quitte Paris, certainement à la fin de l’année 1934. Il est dans un premier temps chargé du service de la chaire de physique de la faculté des sciences de Lyon en février 1935. C’est un mois plus tard qu’il sera définitivement nommé professeur sur la chaire de physique expérimentale. C’est au numéro 1 de la rue Raulin qu’il crée le laboratoire de physique atomique. Il recrute alors une dizaine de collaborateurs dont quelques jeunes talents. C’est le 7 mars 1936 qu’a lieu l’inauguration officielle de l’institut de physique atomique de Lyon. Après la publication le 22 décembre 1938 de l’article d’Otto Hahn (1879-1968) et de Fritz Strassmann (1902-1980), Thibaud et ses collaborateurs, André Moussa en particulier, travaillent sur la rupture des noyaux lourds.

 En novembre 1940, Jean Thibaud se porte candidat au remplacement de Jean Perrin. Celui-ci, devant l’avancée allemande, avait fui à Bordeaux avec le gouvernement, laissant vacant son laboratoire et sa chaire de chimie physique de la faculté des sciences de Paris ; embarquant sur le Massilia, il se réfugie à Casablanca pour rejoindre les États-Unis en 1941 et y mourir en 1942. La nomination de J. Thibaud, avant novembre 1940, est proposée par le conseil de la faculté des sciences de Paris par 18 voix contre 13 au détriment de Francis Perrin, fils de Jean, également candidat. Jacques Chevalier, secrétaire d’État à l’instruction publique du gouvernement de Vichy, signe le 28 décembre 1940 l’arrêté de nomination de Thibaud sur la chaire de chimie-physique de la Sorbonne. Jean Thibaud occupe la chaire jusqu’à l’été 1941. Il accepte au mois d’octobre 1941 la direction de l’École de physique et chimie de la ville de Paris en remplacement de Paul Langevin, arrêté le 30 octobre 1940 et placé quarante jours plus tard en résidence surveillée à Troyes. Le préfet de la Seine, José Bourgeois, le choisit pour occuper la direction. Au final, J. Thibaud restera directeur de L’EPCI durant les quatre années que durèrent le régime de Vichy. Lyon est bombardée par les alliés le 26 mai 1944, détruisant une partie de ce qui reste du laboratoire de la rue Raulin. Les Allemands fuient précipitamment la ville en détruisant ses ponts les 1er et 2 juin ; les FFI [Forces françaises de l’intérieur] entrent à Lyon le même jour. J. Thibaud reprend normalement ses cours à la faculté de médecine de Lyon. Le 21 septembre 1944, un arrêté du ministre de l’Éducation nationale le suspend provisoirement de ses fonctions dans le cadre des instructions données par le gouvernement provisoire de la République. Il faudra moins d’une année universitaire pour que le Conseil académique d’enquête de Lyon rende un avis. C’est lui en effet qui, le 23 mars 1945, rétablit J. Thibaud dans ses fonctions.

 Le 19 mars 1945, Frédéric Joliot, nouveau directeur du CNRS, décide de doter l’Institut de physique atomique de Lyon d’une subvention importante sans doute pour permettre son rééquipement. Joliot est révoqué du haut-commissariat le 26 avril 1950 par le président du conseil, Georges Bidault, pour avoir signé l’Appel de Stockholm le 19 mars 1950. J. Thibaud se porte candidat au poste de haut-commissaire durant l’été 1950, mais ne parviendra pas à l’obtenir (nomination de Francis Perrin).

 Parallèlement au laboratoire de la rue Raulin, J. Thibaud crée le Centre de Perfectionnement en Physique Nucléaire de Lyon (CPNL) au sein du fort de la Vitriolerie (Lyon 7e). C’est là qu’il développe un enseignement de 3e cycle de physique nucléaire, et forme en parallèle quelques officiers et techniciens militaires au nucléaire. C’est l’armée qui l’accueille en effet, et qui a payé le « grand accélérateur type Cockroft à un million de Volts » dont il a équipé une grande salle du fort de la Vitriolerie.

 Le laboratoire de la rue Raulin est progressivement délaissé par J. Thibaud, qui se consacre à voyager pour faire des conférences grand public. Comprenant que les lieux sont insuffisants pour se développer, J. Thibaud établi avec Jean Roux, les plans d’un nouvel institut de physique nucléaire qu’il projette d’installer sur le domaine de la Doua.

 Il meurt le 22 mai 1960 dans son appartement du cours Vitton, sans avoir vu son nouveau laboratoire sortir de terre.


Académie

Élu le 6 décembre 1938 au fauteuil 2, section 1 Sciences, il succède à l’ingénieur Gabriel Canat de Chizy*, décédé. Reçu le 13 décembre, il prononce le 13 juin 1939 son discours de réception, intitulé Matière et énergie (MEM 24, 1945), devant le doyen Auguste Rivet*, président de l’Académie. Ce dernier accueille alors « un savant éminent dont les travaux sont appelés à avoir un retentissement qui dépassera les limites de notre ville et même de notre pays. ». Thibaud est président en 1948. Il a présenté de nombreuses communications : La dissociation des atomes (17 janvier 1939) ; Bombardement d’atomes, Cassure de l’uranium (14 mars 1939) ; La guerre et nos laboratoires (13 avril 1940) ; La tentative de géométrisation de la physique et le problème du temps (23 mai 1943) ; La constitution des noyaux atomiques ; (La constitution des noyaux atomiques (14 mars 1944) ; L’énergie atomique (4 décembre 1945) ; Le radar (26 février 1944) ; Les travaux et recherches sur la bombe atomique (14 janvier 1947) ; Éloge de Jean Coignet (29 avril 1947 ; Considérations sur la mort de Lord Rutherford et de Planck (18 novembre 1947) ; Le secret des recherches scientifiques. Considérations sur l’énergie atomique, son contrôle et les armes nucléaires (20 avril 1948) ; Les applications industrielles de l’énergie atomique (23 juin 1948) ; Rôle militaire de l’énergie atomique (21 juin 1949) ; Récentes conquêtes de l’énergie atomique (23 janvier 1950) ; Souvenirs d’un voyage au Portugal (18 avril 1950) ; Impressions d’un voyage en Scandinavie (27 novembre 1950) ; La recherche atomique (19 juin 1951) ; Une mission en Egypte (15 janvier 1952) ; Hommage à Einstein (19 avril 1955). Récents progrès dans la recherche en physique nucléaire (22 novembre 1955) ; Un précurseur lyonnais de l’industrie de l’uranium, le chimiste Antoine Muguet (4 décembre 1956).

Il a fait un legs à l’Académie pour attribuer périodiquement un prix à un jeune physicien qui s’est illustré par ses recherches en physique subatomique. À partir de 1963, ce prix a été décerné régulièrement au rythme biennal de deux prix ex-aequo (la liste des récipiendaires se retrouve dans les Mémoires de l’Académie).

Bibliographie

André Moussa (membre correspondant, membre du jury du prix Thibaud), Quinze années de travail aux côtés de Jean Thibaud (MEM 32, 1978). – Idem, La vie et l’œuvre de Jean Thibaud, conférence prononcée à l’occasion du 20e anniversaire du prix à l’Institut de physique nucléaire de Lyon (MEM 38, 1984, ph.). – Pascal Bellanca-Penel et Jean-Paul Martin*, Jean Thibaud, un atomiste du xxe siècle, conférence du 16 septembre 2014 (MEM 15, 2015).

Publications

Retenons : La spectrographie des rayons γ, spectres β secondaires et diffraction cristalline, thèse, Paris : Masson, 1925, 120 p. – Les rayons X (théorie et applications), Paris : A. Colin, 1930, 218 p. – Vie et transmutations des atomes, Paris : A. Michel, 1937, 236 p. – Énergie atomique et univers, Lyon : M. Audin, [1945], 304 p. – Puissance de l’atome ; De l’utilisation industrielle et du contrôle de l’énergie atomique au Gouvernement mondial, Paris: A. Michel, [1949], 264 p. – Avec Louis Cartan et Paul Comparat, Quelques techniques actuelles en physique nucléaire. Méthode de la trochoïde électrons positifs, spectrographie de masse : isotopes, compteurs de particules à amplification linéaire, compteurs de Geiger et Müller, Paris: Gauthier-Villars, 1938, 276 p.

Articles de vulgarisation : « L’atomistique et la vie des étoiles », Rev. des Deux Mondes, 1928, p. 931-941. – « L’électron positif et l’annihilation de la matière », Bull. de l’AFAS, 1935. – « Univers et réalité, première partie : Le problème du réel », Rev. de Paris, 1945. – « L’énergie atomique », Technica 75, 1946, p. 21. – « L’énergie interne des noyaux atomiques et ses applications », La France Énergétique, Rev. Générale de L’énergie, 1946. – « La Bombe atomique et le secret de l’énergie nucléaire, seconde partie », Rev. de Paris, 1946. – « Les premières recherches sur l’énergie atomique à l’Institut Atomique de Lyon », Reflets de Lyon, 1946. – « Les rythmes dans la réalité physique : du noyau atomique à l’étoile », in Les rythmes et la vie, Paris : Plon, 1947, p. 19-51. – « Le cinquantenaire de la découverte du radium », Nouvelles Littéraires, 1948. – « Comment on domestiquera l’énergie atomique », in Almanach des Sciences 1949, vol. 2, éd. de Flore, la Gazette des lettres. – « Énergie atomique et recherche scientifique », Hommes et Mondes 9, 1949, 34, 290. – « L’énergie nucléaire », Rev. Française 23, 1949. – « L’Algérie en face du problème nucléaire », Bull. d’information de l’Assemblée Algérienne, 1954. – « Un précurseur lyonnais de l’industrie de l’uranium, le chimiste A. Muguet », Technia, 1957.