Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

DEVAY Francis (1813-1863)

par Jacques Hochmann.

 François Marie Antoine Devay (qui signe Francis, appelé parfois Francisque) est né à Tarare le 5 mars 1813, fils unique de Pierre François Devay (Le Bois-d’Oingt 1784-1863), receveur des droits réunis, issu d’une famille de cultivateurs, et de son épouse Reine Pierrette Adélaïde Andrieu (sans x comme aimait à le préciser son père) née en 1787. Le grand-père maternel de Francis Devay, Claude Marie Andrieu (Tarare 1746-Lyon 1797), négociant lyonnais fortuné, homme d’esprit cultivé et à ses heures poète, avait commis des épigrammes contre la Convention. Il fut arrêté à Lyon, après l’insurrection de 1793, et conduit à Paris pour y être jugé. Il dut la vie sauve à des retards dans son transfert qui le firent arriver dans la capitale au moment de la chute de Robespierre. Après Thermidor, il se consacra à l’éducation de ses deux filles, mariée l’une à François Devay, et l’autre, Étiennette Pierrette, née à Lyon en 1780, à Pierre Gourju (Morestel 1762-Lyon 1814), ancien professeur du collège de la Trinité avant la Révolution, professeur de philosophie puis doyen de la faculté des lettres de Lyon sous l’Empire, père de Clément Gourju (1814-1899), également philosophe engagé dans la défense d’un catholicisme traditionnaliste et grand-père du sénateur du Rhône, Antonin Gourju, 1847-1926. On connaît de Pierre Gourju La philosophie du 18ème siècle dévoilée par elle-même, ouvrage destiné aux pères de famille et aux instituteurs chrétiens. Selon Potton, Francis Devay serait également parent du chirurgien de l’Hôtel Dieu, Amédée Bonnet* (1809-1858).

 Enfant d’une grande intelligence, plus habile aux jeux de l’esprit qu’à ceux du corps, élevé par une mère qui alliait l’intelligence et la foi, Francis Devay commence sa scolarité à Villefranche où son père occupe un emploi dans les contributions. Il les poursuit au collège royal de Lyon, où il a pour professeur de philosophie l’abbé Noirot*. Il est le condisciple de Frédéric Ozanam (1813-1853) – fondateur de la Société Saint-Vincent-de-Paul, professeur à la Sorbonne, récemment béatifié ], et de Joseph Arthaud (1813-1883) – médecin de l’Hospice de l’Antiquaille, fondateur de l’Asile de Bron [auj. hôpital psychiatrique du Vinatier], et premier professeur de clinique des maladies mentales de la faculté de médecine de Lyon créée en 1877. Comme celle des autres élèves de Noirot (son cousin Clément Gourju, ou encore le philosophe ultramontain Blanc de Saint-Bonnet* 1815-1880), toute l’œuvre de Francis Devay s’inscrit dans le courant chrétien social et dans le souci de réconcilier la foi et la raison, la science et la religion caractéristiques de l’enseignement de l’abbé-professeur. Après avoir songé à embrasser l’état ecclésiastique à l’exemple d’un proche parent aumônier à l’hôpital de Belleville, Francis Devay renonce, dit-il, « au ministère des âmes pour les soins du corps », et il entame en 1832 des études médicales à Lyon où avait été officialisé, depuis 1821, un enseignement secondaire de médecine. En 1834, il est nommé interne de l’Hôtel-Dieu et poursuit ses études à Paris où il reçoit le grade de docteur en médecine, le 24 avril 1840. Sa thèse (Appréciation philosophique et pratique de la doctrine médicale du docteur Broussais, de ses vérités et de ses erreurs. Président Pr Andral. Paris, impr. de Rignoux, 1840, 78 p.) combat la doctrine « physiologique » matérialiste de Broussais, qui considérait l’homme comme un simple agencement d’organes soumis aux lois de la physique et de la chimie, et défend le point de vue vitaliste de l’école de Montpellier selon lequel la matière vivante est animée par un principe autonome. Il évoluera ensuite vers un spiritualisme chrétien soutenant « l’omnipotence de la cause suprême dans les fins déterminées de tout acte organique ». Revenu à Lyon, il choisit d’exercer la médecine, après deux échecs au majorat de chirurgie, à l’Antiquaille puis à la Charité. Membre de la Société d’anthropologie de Lyon il est aussi, depuis sa création en 1840, membre de la Société médicale d’émulation de Lyon. Regroupant médecins, chirurgiens, pharmaciens et vétérinaires, cette société est alors sous la présidence d’Antoine Bouchacourt (1812-1898)*, fondateur de l’obstétrique lyonnaise. Grand ami de Frédéric Ozanam, Bouchacourt fut un des premiers membres de la Société Saint Vincent-de-Paul à laquelle adhère aussi Francis Devay. Également élève de l’abbé Noirot, Bouchacourt sera le futur biographe de Devay. Nommé en 1842 médecin suppléant de l’Hôtel-Dieu, Francis Devay accède au titulariat en 1852. En 1854, il devient professeur de clinique interne à l’École préparatoire de médecine, créée en 1841 par transformation de l’école secondaire. La hauteur de son enseignement, prononcé semble-t-il avec gravité et sans beaucoup d’éloquence, a pu faire dire qu’il dépassait parfois le niveau de ses élèves. Alors qu’il habitait avec ses parents, 12 rue Saint-Joseph (act. Auguste Comte), il se marie le 20 novembre 1843 à Lyon, à Philiberte Hélène Mas, née à Lyon le 11 avril 1823, fille des défunts Jean Louis Mas (Lyon 1778-Bourbonne-les-Bains 1833) et Marie Pierrette Joséphine Courajod (Lyon, 1787-1831), de familles de négociants aisés. Il en aura quatre fils : Gabriel Antoine Pierre (1844-1881) ; Georges François Antoine (1847-1861), décédé à quatorze ans du tétanos à la suite d’une brûlure ; Louis Étienne (1850-1856) décédé à six ans de méningite ; Auguste Gabriel Antoine (1855-1917). La fortune que lui a apporté sa femme lui permet de limiter son activité de praticien ; il se consacre surtout à l’enseignement et à une réflexion où transparaît la persistance de son goût précoce pour la philosophie, les questions sociales et la théologie. On l’a décrit comme un homme réservé, mais plein d’humour, de petite taille, avec « une certaine raideur dans les gestes et dans la tenue, toujours digne cependant avec quelque chose de saccadé dans la voix ».

 Atteint d’une « maladie progressive des organes respiratoires » qui l’avait affaibli depuis plusieurs années, Francis Devay est mort le 8 juillet 1863 à cinquante ans. Il est inhumé à Écully.


Académie

Élu à l’Académie le 6 décembre 1859, quatre ans avant sa mort, déjà atteint par la maladie, Francis Devay n’y a eu qu’une activité réduite. Il occupe le fauteuil 3, section 3 Sciences, où il succède à Isidore de Polinière* (1790-1856). Son discours de réception, prononcé le 19 mars 1861, porte sur la Médecine morale. Sa seule participation écrite aux séances est un mémoire lu le 10 juin 1860 sur un de ses sujets de prédilection : Nouvelles observations sur les dangers des mariages consanguins (MEM S 10, 1860).

Bibliographie

A. Potton*, Th. Perrin* et Socquet, Mort et obsèques du docteur Fr. Devay. Discours prononcés à la cérémonie. Lyon, A. Vingtrinier, 1863, 16 p. – Dechambre, Dict. encyclopédique des sciences médicales, Paris : Masson, 1864-1889, t. 28, p. 458-459 – A. Bouchacourt, « Éloge historique du Docteur F. Devay , Discours de réception à l’Académie, MEM S 17, 1869-1870, et Lyon : Assoc. Typogr., 1869, 36 p. – Notice sur le docteur Devay par le docteur Gubian (lu à Soc. impériale Méd. Lyon), Lyon : Vingtrinier, 1869, 23 p. – DBF. – F. Scheider, Arthaud de Lyon, aliéniste missionnaire, Paris : Éd. Glyphe, 2009.

Iconographie

L’Académie conserve dans ses dossiers une photographie de Francis Devay où l’on peut apprécier sa « douce et méditative physionomie » mentionnée par Bouchacourt.

Publications

La liste complète de ses publications est à la fin de son éloge par Bouchacourt*. On peut les classer dans trois catégories :

Médecine : Recherches et observations cliniques sur la nature et le traitement des fièvres graves [typhoïdes, ataxiques, malignes], Lyon : Lépagnez, 1841. Avec Alexandre Guilliermond, Recherches nouvelles sur le principe actif de la ciguë (conicine) et de son mode d’application aux maladies cancéreuses et aux engorgements réfractaires, Lyon et Montpellier : Savy, 1852 ; 2e édition en 1853 porte un titre modifié : Recherches nouvelles sur le principe actif de la ciguë (conicine) et de son mode d’application aux maladies cancéreuses et aux engorgements de la matrice et du sein, 160 p. Devay a publié dans la Gazette médicale de Lyon en 1852 les résultats positifs d’une expérience, rare à l’époque, de transfusion sanguine. Il a aussi rassemblé des Notes et observations sur le diabète sucré (Gazette médicale de Paris 1849 et Thunot, 1849), où il vante les mérites du régime carné pauvre en glucides et en féculents. Il s’y montre informé des expériences que venait d’effectuer Claude Bernard, présenté comme un compatriote, en déclenchant un diabète par une piqûre du plancher du quatrième ventricule, sur le cerveau de lapin.

D’autres publications traitent de sujets de pathologie générale comme sa leçon d’ouverture au cours de clinique interne en 1854, intitulée De quelques causes de maladies particulières à notre temps (Paris Labé et Lyon Savy 1859). Tout en reconnaissant que la cause des maladies reste la plupart du temps inconnue ou mal connue, il affirme que nombre de maladies apparaissent spontanément « sans causes déterminées », en quoi il s’oppose à la médecine anatomo-clinique concurrente qui recherche systématiquement l’explication des maladies par des lésions des organes et voit dans l’autopsie l’ultime « vérification ». Il préfère distinguer des causes innées ou « de famille », en confiant à l’analyse soigneuse des antécédents familiaux le soin de prouver l’importance de l’hérédité, un sujet alors déjà très à la mode que les romans d’Émile Zola vont un peu plus tard populariser encore davantage. Dans une perspective vitaliste métaphysique, il insiste sur les prédispositions morbides, les « diathèses » et les tempéraments, transmis par l’hérédité sous la forme d’un trouble global de la vitalité, ce qui lui permet de relier entre elles des maladies aussi différentes que l’asthme d’un enfant et les convulsions de ses parents. Comme son contemporain Benedict Augustin Morel, le grand théoricien de la dégénérescence, qu’il cite abondamment, il fait en effet une place à « l’hérédité dissimilaire », c’est-à-dire au fait que la maladie peut entièrement se transformer en passant des parents aux enfants, ce qui explique l’aggravation progressive de la tare au fil d’une lignée : des parents atteints par exemple d’un simple strabisme ou d’un pied bot engendrant un déséquilibré mental qui lui-même donnera naissance à un retardé mental. Il ne nie pas l’existence de maladies acquises, mais, toujours dans une perspective continuiste, il voit dans les unes une prédisposition aux autres. Ainsi une « perte séminale » prédispose à l’aliénation, une fièvre à une phtisie. Ce parti pris héréditariste et continuiste ne l’empêche pas de tenir compte des facteurs d’environnement : le climat, les occupations professionnelles, la pathologie de la misère. S’il n’ignore pas la contagion par des « germes morbifiques » dans la gale ou la variole et incrimine le rôle des « miasmes hospitaliers » dans les maladies nosocomiales, il insiste surtout sur les causes morales et sociales, condamnant un point de vue organiciste exclusif au nom d’une optique qu’on peut qualifier anachroniquement de psychosomatique et qui va se répandre dans la médecine romantique. Il préconise ainsi de rattacher toutes les maladies à un état de civilisation. Sans rejeter le progrès voulu par la Providence, il en condamne les excès et certaines conséquences : l’atmosphère viciée des villes, les habitudes de mollesse et de luxe, la perte de discipline paternelle, les cataclysmes politiques, la recherche débridée de la richesse et du plaisir, l’échauffement de l’imagination par les passions factices et la littérature bon marché, le libertinage qui altèrent la substance cérébrale et sont à l’origine aussi bien de l’apoplexie que de l’aliénation. Il fait une place particulière à l’usage excessif de l’alcool et du tabac et souhaite une campagne pour « prémunir l’enfance contre les séductions dangereuses qu’exercent les vapeurs de la nicotine ».

Dans cette réflexion de pathologie générale se laisse deviner l’hygiéniste, préoccupé plus de prévention et du devenir de l’espèce que de soins spécifiques. Cette troisième série de publications est la plus abondante. Elle comporte des mémoires qui montrent à la fois son ancrage dans l’histoire et une inspiration chrétienne établissant des ponts entre science et religion. À peine docteur, il produit un article Des principes fondamentaux de l’hygiène contenus dans l’Ancien Testament et les antiques traditions orientales (RLY 14, 1841 p. 329-347), suivi dans le même numéro par Des perfectionnements qu’on pourrait apporter au bien-être de l’individu et de l’espèce par une saine application de la physiologie de l’homme (ibid., p. 475-499). Il y présente l’hygiène, telle qu’elle découle des connaissances physiologiques, comme une sorte de morale pratique, dans la filiation des intuitions de Zoroastre, de Confucius, des pythagoriciens et de la loi mosaïque, épanouie par le message évangélique, les recommandations de saint Paul et celles des Pères de l’Église. Il reproche à Mahomet d’avoir adouci la morale sexuelle héritée des Hébreux en faisant preuve de mansuétude vis à vis de l’inceste et en dévalorisant la condition des femmes pour mieux asseoir sa domination sur son peuple. Mais il lui reconnaît le mérite d’avoir proscrit l’alcool et les jeux de hasard. Viendront ensuite plusieurs mémoires sur les principes fondamentaux de l’hygiène, sur les rapports entre l’hygiène et la religion chrétienne et même une réflexion curieuse sur les Inductions physiologiques et médicales touchant à la fin de l’homme et à sa résurrection, publiée en annexe au livre de l’abbé Reaume : Le carême et les fins dernières de l’homme, Lyon 1862. C’est surtout dans son ouvrage princeps Hygiène des familles ou du perfectionnement physique et moral de l’homme dans ses rapports avec l’éducation et les besoins de la civilisation moderne (Paris : Labé, et Lyon : Savy, 1846, rééd. 1858), que Francis Devay rassemble l’essentiel de ce qu’il faut bien appeler sa philosophie. Persuadé de la « toute puissance de l’hygiène pour adoucir les grands maux de l’humanité » il ambitionne de donner au médecin, dans l’intimité de la famille, une place « [d’] instituteur journalier », pénétrant les habitudes de chacun, conseillant « l’assortiment des mariages fondé sur l’antagonisme des tempéraments », veillant à limiter les excès de toutes sortes et jusqu’à l’ « onanisme conjugal » et les autres « vices vénériens » considérés non seulement comme immoraux, mais comme nuisibles pour la santé car contraires aux lois de la physiologie. Assimilant la santé et le salut, la morale et l’hygiène, il substitue ainsi subrepticement le médecin de famille au prêtre, résolvant peut-être son hésitation initiale entre la direction des âmes et les soins du corps. Sur un plan plus général, il soutient que la vraie civilisation doit bénéficier à tous et s’élève contre la paupérisation du prolétariat facteur de dégénérescence physique et morale, liée au progrès industriel, notamment en Angleterre dont il condamne une démocratie qui tourne au seul profit de l’aristocratie et de la bourgeoisie riche. Précurseur d’un eugénisme ouvert, il est favorable au « judicieux croisement des races », et soutient que la grandeur d’une ville se mesure à son nombre d’étrangers qui apportent un sang nouveau et évitent l’appauvrissement par la consanguinité. Il remarque aussi la supériorité physique et morale des peuples sauvages, moins affectés par la civilisation industrielle et où les mères allaitent elles-mêmes leurs enfants. Visiblement influencé par le philosophe catholique traditionaliste Joseph de Maistre, qu’il cite, il considère que la plupart des pathologies sont le résultat des fautes des parents, que ces fautes soient volontaires (les vices causant l’abâtardissement des grandes familles nobles), ou liées à des conditions sociales ou économiques défavorables qui « exténuent » les pauvres. Il convie donc l’ensemble de la population à une tâche de régénération et de réarmement moral, mais aussi à des changements économiques et sociaux éclairés par la science des médecins et l’enseignement chrétien. La religion chrétienne ramenée à ses fondamentaux, « dégagée de ce que les passions humaines lui ont apporté d’éléments hétérogènes et, quelquefois de souillures », est en effet pour lui, le « meilleur modificateur hygiénique ».