Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

PERRIN Théodore (1795-1880)

par Jacques Hochmann.

 Théodore Perrin est né à Lyon, rue de Flandre (act. quai de Bondy), le 10 vendémiaire an IV [2 octobre 1795]. Père : Jean Baptiste Robert Perrin, (Lyon Saint-Paul 26 mai 1741–Lyon 31 octobre 1817), marchand commissionnaire, recteur de l’Hôtel-Dieu de 1785 à 1789, fils de Robert Perrin (Lyon 1711-Chaponost 1789), marchand commissionnaire marié en 1736 à Pierrette Séreziat (Lyon Saint-Pierre Saint-Saturnin 1711-Chaponost 1797). Sa mère, Magdelaine Louise Bourgoin (Lyon Saint-Paul 3 janvier 1764-21 avril 1825) est la fille de François Bourgoin (1733-1806), seigneur de Sailly, et de Jeanne Courtois (née à Lyon Saint-Nizier en 1742), d’une famille de négociants dans l’épicerie. Le frère de Magdelaine, Louis Benoît Bourgoin (1780-ca 1835) avait épousé Louise Perrin (1786-1855), sœur de Théodore. Témoins à la déclaration de naissance : François Bourgoin et Jean Baptiste Condentia, négociants. Curieusement, est rajouté en marge de l’acte son mariage en 1832. Ses parents se sont mariés le 6 juin 1780 à Lyon Saint-Paul, domiciliés rue de Flandre, puis 4 rue de l’Archevêché (act. avenue Adolphe Max). Son frère, Louis Perrin* (Lyon 12 mai 1799-Lyon 7 novembre 1865), a fait une brillante carrière d’imprimeur. Sa sœur, Louise Adélaïde, dite Adèle (Lyon 11 avril 1789-Lyon 15 mars 1838), est la fondatrice de l’hospice des jeunes filles incurables d’Ainay (aujourd’hui un des sites de l’Association Adélaïde-Perrin qui accueille des handicapés mentaux et psychiques des deux sexes). Théodore Perrin lui a consacré une Notice biographique (Lyon : impr. Girard et Josserand, 1852), valorisant la foi et le dévouement d’une femme restée célibataire et dont la vie a été entièrement consacrée au développement de son îuvre.

 « Laborieux, appliqué et discipliné dans les études scolaires », et élevé dans une famille d’une grande piété, selon Gubian son biographe, Théodore Perrin s’oriente vers la médecine et devient élève en chirurgie de l’Hôtel-Dieu, le 4 septembre 1816. Il poursuit ses études à Paris (Lyon n’a pas encore d’école de médecine), sous la férule de François Broussais (1772-1838) qui enseigne une médecine fondée sur la physiologie, avec l’irritation comme principe explicatif de la morbidité. Il soutient à Paris, le 9 juin 1821, sa thèse intitulée Les sécrétions considérées sous le rapport physiologique et comme signes des maladies, écrite dans la perspective organiciste et nosographique de ses maîtres parisiens qui proclament, en pathologie, la supériorité sur la théorie des méthodes d’observation. Chaussier, Pelletan et Desgenettes sont ses juges. Il poursuit sa formation à Montpellier où il se convertit définitivement à une approche vitaliste, qui soumet l’ensemble des processus physicochimiques liés au fonctionnement du corps à un principe vital supérieur. Cette doctrine est alors incarnée par les continuateurs de Paul-Joseph Barthez (1734-1806) : Jacques Lordat et Anselme Jaumes. Ce dernier restera le modèle et l’ami de Théodore Perrin qui, revenu à Lyon, s’installe en pratique libérale et conquiert une importante clientèle. Il poursuit, en même temps, une réflexion théorique ainsi qu’une pratique médico-sociale.

 Sur le plan strictement médical, ses travaux se limitent à l’étude de la fièvre puerpérale et de la coagulation du sang dans les gros vaisseaux après l’accouchement, à un cas curieux de névrose observé chez un confrère, le docteur Dumont, de Monteux, à des remarques sur l’hypersalivation spontanée dont il montre qu’elle est sans rapport avec la syphilis, et à des travaux sur « les coliques hépatiques et les hydatides ». Sur le plan philosophique et religieux, Théodore Perrin est avant tout un catholique convaincu, mais un chrétien libéral qui « salue l’idéal politique entrevu à l’aurore de la Révolution » et « cherche à concilier ses principes religieux avec l’œuvre d’affranchissement par la liberté reconquise ». Il repousse l’animisme soutenu par un philosophe lyonnais, Francisque Bouillier* (1813-1899) qui place les fonctions corporelles sous le contrôle de la pensée, au nom d’une sorte de monisme psychosomatique, où les fonctions du corps ne seraient que l’expression de la volonté. Fidèle à Hippocrate, Théodore Perrin distingue soigneusement l’activité instinctive de l’activité intellectuelle. Contre le matérialisme positiviste de l’école de Paris, où il fit ses premières armes, et la réduction de la science clinique aux seules données de l’observation et à la statistique, il défend l’importance d’une méthode intuitive qui, au nom d’une théorie préalable, empreinte de spiritualisme et conforme à la doctrine chrétienne, prend en compte « une idée de la nature de la maladie », apprécie globalement « l’état de la vie, son degré d’énergie ou de faiblesse, le point sur lequel elle concentre ses forces, comme aussi ceux qui sont privés de son influence ». Aux anatomopathologistes absorbés dans la recherche des lésions organiques sur le cadavre, il rétorque : « L’intelligence de la vie ne frappe nullement leur esprit, ils se posent comme les observateurs de ce qui est et non de ce qui se fait. La vie n’est pas pour eux une série d’actes ayant une valeur corrélative, c’est la connaissance du fait accompli. Ils répudient cette belle philosophie des causes finales, aussi utile à la science qu’à la morale ». Cette position dynamique n’exclut pas la prise en compte de l’observation scientifique rigoureuse : Perrin admet les découvertes de Pasteur, tout en s’inquiétant de leurs limites. Il reproche avec ironie aux pasteuriens l’excès dans la quête des médications « parasiticides » qui les exposent, selon lui, à « trouver la médication homicide ». Il se montre sceptique devant l’homéopathie. On sent surtout chez lui l’héritage vitaliste montpelliérain en même temps que le souci de mettre la médecine et l’hygiène en accord avec la religion. Ce souci culmine dans ce qui sera son combat principal : la défense de l’allaitement maternel contre « l’allaitement mercenaire ». Pour lui, la mère transmet avec son lait une nourriture spirituelle autant que matérielle. S’appuyant autant sur l’histoire que sur la physiologie, il entend prouver que le lait maternel est le vecteur d’une force morale qui s’unit à la « force plastique » des organes. En donnant son lait, la mère ne fait pas qu’apporter une substance nécessaire au développement, elle modèle l’enfant par son amour, ses désirs et sa vitalité, facteurs absents d’un lait « mercenaire ». Elle éveille sa conscience, sa vie intellectuelle, affective et morale. Il n’est donc pas étonnant que les peuples qui s’abandonnent à l’allaitement mercenaire s’affaiblissent et dégénèrent. Élargissant sa visée à l’étude des civilisations, il poursuit sa défense de la prééminence des valeurs morales. C’est là où l’homme accepte le mieux les vérités morales que la santé de la population est la meilleure. « Les peuples civilisés exercés à la lutte morale acquièrent une susceptibilité vitale instinctive capable de repousser les causes hostiles qui tendent à compromettre l’existence tandis que l’état de barbarie imprime au tempérament une faiblesse radicale qui le laisse sans résistance contre les éléments morbides ». Ce qui est, implicitement, une justification des entreprises coloniales, alors en plein développement.

 Proche d’Ozanam et de son souci d’apporter des secours aux pauvres, Théodore Perrin a exercé dans plusieurs institutions charitables. Médecin de l’hospice des jeunes filles incurables fondé par sa sœur – qui, visitant l’Hôtel-Dieu, avait été frappée par le désespoir de trois jeunes filles infirmes et pauvres menacées de renvoi, sans aucun hébergement possible –, il devient ensuite le médecin de l’hospice de Saint-Alban pour les garçons dits incurables (aujourd’hui la Fondation Richard accueillant adultes et enfants handicapés moteurs). Il devient également médecin du Dispensaire général ainsi que de l’institution des sourds-muets à Vaise. Prenant de manière originale le contrepied des grands éducateurs que furent l’abbé de l’Épée, l’abbé Sicard et le docteur Jean Marc Gaspard Itard qui considéraient le sourd sans éducation comme voisin de l’animalité, il soutient que les sourds profonds sont dotés d’une intelligence native qui préexiste à tout apprentissage du langage des signes ou du langage oral. Nommé, le 22 janvier 1839, médecin des prisons, il est rapidement révoqué. Le préfet Jaÿr tire parti d’un dysfonctionnement grave du service (une femme incarcérée, sans que sa grossesse fût détectée, avait accouché en prison puis tué son enfant) pour assouvir une rancune. Perrin avait préalablement critiqué devant la société de médecine le rapport sur les enfants trouvés de Terme* et de Monfalcon*, deux médecins amis du préfet, où ceux-ci condamnaient le système du tour et voulaient lui substituer la « réception à bureau ouvert » afin de décourager les mères d’abandonner leur enfant et de lutter contre la fraude qui consistait, pour ces mères, à venir, après un abandon anonyme, se proposer comme nourrice rémunérée. Pour Perrin, cette procédure publique, qui ne tenait pas compte de la honte attachée à une grossesse illégitime, ne pouvait que favoriser l’infanticide. Cette critique n’avait pas été du goût du préfet. À quelques temps de là, la révolution de 1848 ayant fait perdre sa place au préfet, Théodore Perrin se vengea avec humour en déclarant : « Il a pu se faire qu’une femme enceinte ait été admise dans la prison sans que je me sois aperçu de son état ; mais le préfet n’a pas eu plus de perspicacité pour reconnaître que la Révolution de 1830 devait accoucher de celle de 1848. Dans les deux cas, il y a eu grossesse méconnue ». Se penchant, par ailleurs, sur le fléau de la mendicité, Théodore Perrin distingue les vagabonds justifiant la répression, les invalides ou les infirmes pour lesquels il préconise le remplacement des dépôts de mendicité par des hospices de vieillards ou d’incurables, les victimes du chômage pour lesquels il réclame les secours des pouvoirs publics, les enfants abandonnés enfin, qu’il s’indigne de voir entassés au milieu des autres mendiants où ils ne trouvent qu’une « école de corruption » et pour lesquels il réclame des institutions d’éducation.

 Membre puis président de la société nationale de médecine de Lyon, membre correspondant de l’académie de Turin, président du comité médical du dispensaire général, membre de la société d’éducation, Théodore Perrin est chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire le Grand. Collectionneur, il se signale par son cabinet d’antiquités du Moyen Âge. Le 9 novembre 1880, il est décédé à Vieu (Ain), où il s’était retiré pour s’exercer à la sculpture et « taquiner la muse ». Il y est inhumé.

 Alors qu’il habitait rue Bellecordière, il avait épousé à Lyon le 25 juillet 1832 Jeanne Marie Horacie Cozon (Lyon 28 décembre 1807-Lyon 2e 30 novembre 1885), fille de Jean Bernard François Cozon (Ambronay [Ain] 1746-Lyon 1822) avocat et magistrat, maire d’Ambronay, et de Gabrielle Horacie Vitet (née à Lyon le 23 septembre 1785), fille du médecin Jean François Vitet*. Ils ont eu sept enfants survivants : 1. Louis (1835-1917) dit Sainte Marie Perrin*. 2. Gabriel (Sainte-Foy-lès-Lyon 1837-Vieu 1914), avocat, bâtonnier de l’ordre en 1896, qui a épousé en 1872 Geneviève Brac de la Perrière (1849-1918), fille de Paul Brac de la Perrière (Sainte-Foy-lès-Lyon, 1814-1894), bâtonnier de l’ordre des avocats, condisciple et ami de Frédéric Ozanam (1813-1852), président de la Conférence Saint-Vincent de Paul de Lyon, fondateur des facultés catholiques et un des financeurs de la construction de la basilique de Fourvière ; un fils de cette union, Paul Perrin (1874-1930), associé aux frères Isaac et aux frères Dognin dans la firme de tulle et dentelles Dognin et Cie, a épousé Pauline Isaac (1876-1965), fille de Auguste Isaac*. 3. Marie Louise (Lyon 1840-Coligny 1888), épouse Camille Monin, notaire. 4. Marie Henriette Perrin (1844-1885), religieuse. 5. Jeanne (1846-1902), religieuse. 6. Emmanuel (1851-Belmont-Luthézieu 1906), époux en 1883 de Françoise Marie Jeanne Brac de la Perrière (1861-1937), sœur de Geneviève. 7. Cécile (1852-1915) épouse en 1873 de Paul Desjardins (1847-1925) architecte, fils de Tony Desjardins*.


Académie

Élu le 5 décembre 1854 au fauteuil 2, section 3 Sciences, Théodore Perrin prononce son discours de réception sur L’influence des doctrines et de la civilisation sur la musique (MEM L 4, 1854). Président en 1868, il fait le compte rendu des travaux de l’Académie (MEM S 17, 1868-1870), prononce l’éloge funèbre du président Durieu* (MEM L 13, 1866-1868) et un discours pour l’installation de son successeur Louis Guillard* (MEM S 17, 1868-1870). Il est l’auteur de plusieurs communications où il développe sa défense de l’allaitement maternel et ses idées sur la force vitale : De l’allaitement maternel dans ses rapports avec la vie physique, la vie morale, la vie sociale, suivi de l’analyse de l’ouvrage du docteur Brochard sur la mortalité des nourrissons en France (MEM L 15, 1865-1866). – Étude critique des doctrines médicales régnantes et de la valeur de la statistique appliquée à la médecine (MEM S 17, 1868-1870). – De l’éducation supérieure (MEM S 21, 1875-1876). – De l’allaitement mercenaire considéré comme cause des affections morbides constitutionnelles chez les jeunes sujets (MEM S 22, 1876-1878). – De la force psychovitale dans ses rapports avec les fonctions physiologiques et les affections morbides (MEM S 23, 1878-1879).

Bibliographie

P. D., « Mort du docteur Perrin » Lyon médical 35, 1880, p. 432. – Dr. Gubian, Éloge du docteur Théodore Perrin prononcé à la société nationale de médecine de Lyon, Lyon : Assoc. Typogr., 1883, 48 p. – Joseph Bard, Manuel général d’archéologie sacrée burgundo-lyonnaise, Lyon : Guyot, Paris : P. Mellier, 1844, p. 320-324. – J. Guiart, L’école médicale lyonnaise, Paris : Masson, 1941. – L. Guillo, Louis Benoît Perrin et Alfred Louis Perrin, imprimeurs à Lyon (1823-1865-1883), Villeurbanne : Mémoire pour le diplôme de bibliothécaire, École nat. sup. bibliothèques, 1986.

Iconographie

Photographie, musée historique de la faculté de médecine de Lyon.

Publications

L’éloge rédigé par le docteur Gubian contient la liste des publications. On retiendra : Rapport sur le projet de rédaction d’un formulaire, Lyon : Dispensaire général, 1830. – De la mendicité et des moyens de la réprimer, Lyon : impr. L. Perrin, 1832. – « Les jeunes filles incurables de Lyon », L’Athénée, mélanges scientifiques et littéraires, Lyon : impr. G. Rossary, 1835. – Essai sur le développement moral et intellectuel du sourd-muet avant qu’il ait acquis la connaissance de l’écriture, Lyon : impr. Louis Perrin, 1837, 58 p. – Rapport à la société de médecine de Lyon sur l’ouvrage de MM. Terme et Monfalcon intitulé « Histoire statistique et morale des enfants trouvés », Lyon : 1838. – Du danger des systèmes en médecine, Lyon : impr. Marle aîné, 1842. – Coliques hépatiques, Hydatides, Lyon : impr. Marle aîné, 1846. – De la périodicité, étude physiologique et médicale sur la force vitale et son alliance avec le sens intime, Lyon : impr. L. Perrin, 1851, 96 p. – Considérations sur la vérité de la doctrine hippocratique, Lyon : Vingtrinier, 1857, 31 p. – Nécessité des études philosophiques en médecine, Lyon : Vingtrinier, 1858. – « De l’étiologie de la coagulation du sang dans les gros vaisseaux pendant la période puerpérale », Rapport au Congrès de médecine de Lyon, Lyon : Vingtrinier, 1864. – De l’éducation supérieure (suite), étude comparative des mœurs de la Bretagne et de la France à l’époque de l’annexion, Lyon : librairie Bauchu, 1878. – Morale tirée de la physiologie, Lyon : J.B. Mégret, 1880.