François Barthélemy Arlès est né à Cette (graphie de Sète [Hérault] jusqu’en 1928) le 3 juin 1797 (15 prairial an V). Il est le fils de Jean François Arlès, commandant de la place de Cette, et de Claire Tichy, son épouse. La naissance de François Barthélémy est déclarée par son père François, négociant, en présence de Barthélemy Baille fils, négociant, et Jean Barthélemy Guy, percepteur des impositions. L’officier d’état civil, administrateur municipal faisant fonction d’officier d’état civil est Pierre Baille, père du témoin. Son père, Jean François Arlès, est né en 1758 à Lodève (Hérault) ; fils d’un ancien gendarme de Louis XVI, il a commencé sa carrière comme soldat au régiment du Médoc en 1775 et s’est marié avec Claire Tichy, fille de commerçant, le 1er mars 1791 à la maison commune de Sète. Ils ont sept enfants, mais seul François Barthélemy survit. Après une petite enfance à Sète, François Arlès suit son père de garnison en garnison, jusqu’à Fenestrelle en Piémont, et il reçoit l’éducation d’un enfant de troupe. Avec le grade de chef de bataillon, son père prend sa retraite à 52 ans le 31 juillet 1809 et s’installe à Paris. Fils d’officier, Arlès entre comme boursier au lycée impérial ; turbulent, il est renvoyé de deux lycées et aboutit au lycée d’Orléans. Après la mort de son père (26 janvier 1811), il poursuit encore un peu ses études, mais ne se présente pas au baccalauréat. Dès 1813, pour aider sa mère, il choisit de gagner sa vie. Fils de soldat, il essaie de s’engager dans la garde, mais il est refusé parce que trop jeune. Il trouve un petit emploi dans une fabrique de châles de la rue du Sentier. En 1814, il entre dans la Garde nationale pour défendre Paris. Le 15 juin 1815, il part pour rejoindre l’armée impériale, mais arrive après la défaite à Waterloo. Souvent, il rappelle cette expérience pour justifier son action en faveur de la paix. Avec le retour des Bourbons, sa mère perd sa pension ; il reprend vite son emploi à Paris, devient contremaître et dirige une centaine d’ouvriers. Cette première expérience le convainc, écrit-il, qu’avec respect d’autrui, sans négliger l’autorité, on peut obtenir beaucoup. Le soir, il s’efforce de compléter son instruction. En 1816, avec la réouverture des frontières, il opte pour la profession de commis-voyageur et part vendre des châles en Allemagne. Là, tout en multipliant les contacts commerciaux, il continue d’étudier, apprend l’allemand et l’anglais, améliore son français et se passionne pour l’économie politique. Il noue alors des amitiés qu’il conserve toute sa vie, aussi bien avec des ressortissants des États germaniques, qu’avec des bonapartistes exilés, ou avec Prosper Enfantin qui est alors, comme lui, commis-voyageur. En juillet 1819, il retourne à Sète pour remplir ses obligations militaires, mais il en est dispensé par le tirage au sort. À la fin de l’année 1820, il est à Paris et rencontre Jean-Baptiste Say dont il suit quelques cours.
Pendant ses voyages, il visite la Maison Dufour frères, dirigée par une famille protestante d’origine cévenole, de Sauve, installée à Leipzig depuis la révocation de l’édit de Nantes. Séduite par les qualités de ce jeune homme, en 1821, elle lui offre un emploi. À la fin de l’année 1822, il se fiance avec la jeune Pauline Henriette Louise Dufour, née le 30 septembre 1805 à Leipzig, fille unique de Paul Émile Dufour (Leipzig 1779-Lyon 1858) et de Pauline Adélaïde Janssen (née à Berlin en 1873). Il est alors envoyé en mission dans la succursale de Lyon que la Maison Dufour a conservée. Commence une correspondance abondante avec Pauline, qui continue toute leur vie car il ne cesse de voyager. Le mariage est célébré le 18 octobre 1824 à Abtnaundorf (village proche de Leipzig), et le couple s’installe 62 Strasse Abtnaundorfer dans une maison qui existe toujours. Peu après, le jeune ménage s’installe à Lyon et loge dans l’immeuble Millanois*, celui de la succursale Dufour, 22 Port Saint-Clair, à l’angle de l’actuelle place Tolozan. Ses beaux-parents viennent bientôt s’installer à Lyon et son beau-père prend sa retraite.
Le nom d’Arlès-Dufour qu’il donne à sa femme – puis porte lui-même dès 1829 à la fois pour se démarquer d’un homonyme (Pierre Arlès, conseiller municipal à Lyon), pour marquer son investissement dans la Maison Dufour, et pour affirmer l’égalité de la femme et de l’homme – devient son nom d’usage, officialisé par décret du 12 novembre 1851. Du couple naissent six enfants dont deux décèderont prématurément. La naissance de Pauline Claire, née le 28 août 1825, est déclarée en présence de Frédéric Guillaume Boëll, négociant, et de Benjamin Emmanuel Dufour, négociant. Un fils, François Gustave, né le 12 février 1829, est déclaré avec les mêmes témoins. Quelques mois plus tard, le 15 septembre 1829, la petite Pauline très aimée décède et est enterrée au cimetière de Loyasse. Viennent ensuite Adélaïde Claire née le 28 octobre 1830 à Lyon ; Prosper Eugène né à Lyon le 7 janvier 1833, décédé le 31 du même mois ; François Prosper Alphonse né le 15 octobre 1835 à la Guillotière car ses parents habitent alors 4 quai d’Albret, actuel quai de Serbie (La Guillotière ne sera rattachée à Lyon que par le décret du 24 mars 1852) ; François Henry Armand né le 3 juin 1842 à La Guillotière, décédé en 1904. Père attentionné, malgré ses multiples déplacements, Arlès-Dufour est très attaché à sa famille et à l’éducation de ses enfants. Cette famille partage bientôt son temps entre ce nouveau domicile et la maison de Montroses à Oullins. En effet, en 1842, Arlès-Dufour achète à Oullins un domaine, qu’il agrandit progressivement tout en gardant un appartement proche de son entreprise ; après le cours d’Albret, il s’installe, toujours sur la rive gauche du Rhône, en face de son affaire, 5 cours Morand (act. cours Franklin-Roosevelt).
Gustave se marie le 12 juin 1856 à Paris avec Lucy Jeanne Eugénie Martin-Paschoud, fille du pasteur Joseph Martin et de Gasparde Adélaïde Paschoud ; il travaille dans l’affaire de son père avant de se retirer en Algérie. Adélaïde se marie le 22 juin 1853 à Lyon avec Paul Mathieu Auguste Maurice Chabrières, associé avec son beau-père qui l’apprécie ; il devient ensuite trésorier payeur général du Rhône et garde la maison familiale d’Oullins. Alphonse se marie à Leipzig, le 3 août 1858, avec Annette Louise Hedwig Fuss-Seillier. Lui aussi travaille dans l’affaire de son père jusqu’à son départ pour l’Algérie. Enfin, le dernier, Armand épouse le 7 novembre 1870 à Oullins Marie Duveyrier, fille du saint-simonien Charles Duveyrier grand ami de François B. Arlès-Dufour, et que ce dernier avait recueillie chez lui après la mort de son père. C’est lui qui, le premier, vers 1860, part pour l’Algérie exploiter de grands domaines entre Blida et Coléa, à Oued el-Alleug, laissant un nom dans la colonisation de la Mitidja où, empreint de saint-simonisme, il se ruina.
Commissionnaire en soieries, François B. Arlès-Dufour développe de manière considérable l’agence lyonnaise de la Maison Dufour frères de Leipzig. Il voyage beaucoup. Il effectue son premier voyage en Angleterre en 1826, premier d’une longue série. Il y admire l’activité économique, la « démocratie » des monarques, l’amour des sciences (y compris la phrénologie !). Il se lie d’amitié avec William Leaf, son correspondant à Londres ; John Bowring, qui lui fait lire Bentham ; George William Villiers, futur Lord Clarendon, diplomate ; J.R. Porter, l’homme des statistiques ; le libre-échangiste Richard Cobden, ainsi que John Bright. La crise de 1837 met la succursale lyonnaise en grand danger car elle a de nombreux créanciers aux États-Unis et en Angleterre. Soucieux de ne pas léser ses associés, notamment son beau-père, Arlès-Dufour perd une grande partie de sa fortune, craint le dépôt de bilan, mais il est soutenu financièrement par son ami William Leaf et sans doute, selon Michelet, par quelques financiers. Il met des années pour recouvrer une partie de ses créances aux États-Unis (en 1848, il reçoit encore en paiement des domaines américains). En 1839, après avoir redressé la succursale de la maison Dufour, il fonde sa propre maison de commission en soieries sous le nom d’ « Arlès-Dufour » ; il installe des succursales à Saint-Étienne, Paris, Londres, Grenoble, Bâle ; il y en aura aussi à Crefeld en Prusse et à New-York. Il doit encore faire face en 1851 à un violent incendie qui détruit à Lyon l’immeuble Millanois, ses bureaux et une grande partie de ses stocks. Il ressort indemne des décombres ; soulagé d’avoir la vie sauve, explique-t-il, il garde toute son énergie et reprend ses activités. Son entreprise traverse une nouvelle crise économique, celle de 1857, mais cette fois-ci sa gestion prudente lui permet de ne pas se trouver en péril. En 1859, à l’âge de 64 ans, il se trouve à la tête d’une fortune considérable. Tout en restant associé commanditaire, il transmet la direction de son affaire, qui devient « Arlès-Dufour et Compagnie », à son gendre Maurice Chabrières et à ses fils Gustave et Alphonse (son fils Armand poursuit encore ses études) ; en 1885, la société prend le nom de Chabrières-Morel puis, à partir de 1930 jusqu’à sa fermeture en 2013, celui de Morel-Journel & Compagnie. Infatigable, pour stocker et vendre les soies et faciliter le crédit, il ouvre en 1859 à Lyon un Magasin général des soies, qui crée des succursales à Avignon et à Marseille (1863), et finalement s’ouvre à toute sorte de produits sous le nom de Société lyonnaise de magasins généraux (1868). Rappelant souvent ses origines modestes, il parle de lui comme « d’un prolétaire enrichi ».
Le saint-simonien. L’hiver 1828-1829, Prosper Enfantin séjourne longtemps à Lyon chez Arlès-Dufour ; c’est l’époque des conférences saint-simoniennes et, sans doute, celle où Arlès-Dufour se convertit au saint-simonisme. Tout en n’adhérant jamais aux excès de la « religion » du « père » Enfantin, il soutient les saint-simoniens lors de leur procès, verse ensuite des subsides à plusieurs d’entre eux qui se trouvent dans la gêne, notamment à Enfantin. En 1845, il ouvre un compte d’assistance qui leur est destiné. Finalement, il crée une société de secours mutuel « Les amis de la Famille » (saint-simonienne) qui fonctionne à partir de 1858 ; les fonds en sont déposés dans sa succursale de Paris qui assure cette entraide. Sans prendre parti dans les querelles internes, il garde des relations étroites avec les dissidents comme Michel Chevalier, tout en demeurant un ami fidèle d’Enfantin. Pour trouver à ce dernier un emploi, il arrive à le faire nommer en 1839 dans la Commission scientifique d’Algérie, puis administrateur dans les compagnies de chemin de fer [Enfantin est à l’origine de la fusion qui donne naissance à la compagnie P.L.M.]. Enfantin vit à Lyon de 1852 à 1854, et il est alors choisi comme témoin du mariage d’Adélaïde et Maurice Chabrières. À la mort d’Enfantin (août 1864), dont il est nommé légataire universel avec l’aide d’une petite équipe, Arlès-Dufour publie ses œuvres et celles de Saint-Simon, et fait entrer les archives saint-simoniennes à la Bibliothèque de l’Arsenal (Fonds Enfantin) ; dans ce même lieu viennent d’être déposées ses propres archives (Fonds Arlès-Dufour).
Jusqu’à la fin de sa vie, Arlès-Dufour s’inspire des grands principes de la doctrine saint-simonienne et se dit socialiste. Cependant il n’est pas révolutionnaire ; ce philanthrope, ému par la misère ouvrière, est trop libéral pour soutenir les canuts et le préfet Bouvier-Dumolart lors de la querelle sur le tarif qui aboutit à la première révolte de 1831. En 1848, il est un peu inquiet devant les événements, et préfère se consacrer à « l’administration des choses », c’est-à-dire au développement économique plutôt qu’aux affaires politiques. Personnage important et influent au plan local mais aussi au plan national, il refuse toujours d’entrer dans une des chambres parlementaires « rétrogrades » et « privilégiées » ; sous la Monarchie de Juillet, il se dit opposé au régime censitaire ; sous le Second Empire il répète qu’il ne se sent d’aucun parti et pense qu’il pourra mieux faire passer ses idées dans la vie active. Il accepte cependant quelques fonctions locales. Le 4 septembre 1830, il est adjoint au maire de Lyon, son ami le médecin Victor Prunelle*. Puis, quand il a déménagé sur l’autre rive du Rhône, il devient conseiller municipal à La Guillotière le 28 septembre 1839, jusqu’à sa démission le 12 mai 1843. Conseiller général du Rhône le 23 août 1852, il est réélu en 1861. Enfin, après le rattachement de La Guillotière à Lyon, il est à nouveau conseiller municipal de Lyon (1855), mais, en désaccord avec la politique extérieure de l’empereur (belliciste et cléricale), il démissionne en décembre 1867. Fidèle au message saint-simonien, il pense que tout doit être fait pour « améliorer le sort moral, physique et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ». Pour ce faire, il publie plusieurs articles (il plaide même pour un impôt progressif). Dans sa sincérité et par volonté d’efficacité, il n’hésite pas à interpeller les plus hautes personnalités. Son franc-parler ne l’empêche pas d’être bien en cour sous Louis-Philippe, puis, comme nombre de saint-simoniens, proche de Napoléon III. À ce dernier qui lui dit qu’il a la réputation d’être « un peu toqué », il ne cache pas ses convictions et répond que ce sont les « toqués » qui réussissent. Mais, plus que par les journaux ou l’intervention des puissants, il entend agir de manière concrète ; avec sa fortune, mais aussi avec sa force de conviction qui entraîne les participations, il suscite la création de nombreuses institutions dans tous les domaines. Le premier moyen d’action est la diffusion des savoirs. Membre fondateur et secrétaire général de la Société d’instruction élémentaire du Rhône créée en 1828, il ouvre de nouvelles écoles primaires et, peu après (1829), des cours du soir pour adultes (avec la méthode Jacotot). Il s’intéresse aussi à l’enseignement professionnel. En 1832, il publie un article offensif pour soutenir Charles-Henri Tabareau* et inciter les académiciens de Lyon, qui en sont responsables, d’ouvrir l’école La Martinière sous forme d’externat, et non d’internat, afin de donner une « éducation industrielle » au plus grand nombre d’élèves possible. Il devient administrateur et bienfaiteur de cette école. Avec Désiré Girardon, neveu de Tabareau, comme directeur, il est à l’initiative de la fondation en août 1857 de l’École centrale lyonnaise pour l’Industrie et le Commerce, première école d’ingénieurs située en province, qu’il renfloue financièrement plusieurs fois. Son dernier fils, Armand, est élève de la première promotion de cette école (1857-1860). En 1864, toujours avec Girardon comme directeur de l’enseignement, il fonde et dirige la Société d’enseignement professionnel du Rhône (S.E.P.R.) qui fonctionne toujours. À Oullins, où il construit une cité ouvrière, il créée une école primaire libre laïque (1865), puis une école primaire supérieure (1871). Il rachète la petite bibliothèque populaire attaquée par le clergé, et l’ouvre gratuitement à tout public (1868). Enfin, il participe encore de manière généreuse à la fondation de l’École de commerce et de tissage qui ouvre ses portes peu après sa mort. Son action en faveur de l’enseignement est reconnue sur le plan national, et il est nommé dans la Commission d’études de l’enseignement professionnel et dans le Conseil de perfectionnement près les lycées et collèges de l’Académie de Lyon (1866).
Pour diffuser les connaissances, Arlès-Dufour innove et utilise un moyen qui connaît un grand essor au xixe siècle : les expositions. Nommé en 1832 à la Chambre de commerce, il la convainc d’organiser en 1834, puis en 1846, deux expositions des produits étrangers (qu’il rapporte de ses voyages) afin de permettre aux membres de la Fabrique lyonnaise de découvrir techniques, arts et prix des concurrents. Ainsi débute une collection d’échantillons qui est à l’origine de l’ouverture du Musée d’art et d’industrie en 1864 (dont une partie se retrouve au Musée des tissus en 1890). Il est nommé membre du jury dans les expositions industrielles nationales de Paris de 1839, 1844, 1849 ; puis vice-président et rapporteur du XIIIe jury (soieries et rubans) à l’exposition universelle de Londres en 1851 ; il rend compte de cette exposition et souligne le succès des soieries lyonnaises auprès de la reine Victoria. En 1853, nommé secrétaire général de la commission chargée d’organiser la première exposition universelle qui se déroule en France, il s’installe en partie à Paris pendant deux ans, noue alors une amitié durable avec le prince Napoléon Jérôme (dit Plon-Plon) qui préside cette Commission, au sein de laquelle se trouvent aussi son ami Michel Chevalier, ancien saint-simonien, et Natalis Rondot, délégué de la chambre de commerce de Lyon à Paris. Il est en outre président du jury des soies et soieries. Le succès de son organisation est total et il est alors couvert de décorations françaises et étrangères. Pour l’Exposition universelle de Paris en 1867, il est membre de la commission et président du jury de la classe soies et soieries. Il visite encore l’Exposition universelle de 1871 à Londres. Il voit dans ces manifestations non seulement des moyens de diffusion des connaissances, mais aussi des lieux de « solidarité, d’association, de fraternité entre les peuples ». Il agit pour obtenir des subventions afin que des ouvriers puissent les visiter.
Bon saint-simonien, il espère dans un second moyen, la multiplication des échanges, pour améliorer la condition des plus pauvres ; aussi milite-t-il pour le développement des moyens de communication et du crédit. Promoteur du chemin de fer de la Dombes, de celui de Lyon à Paris, il est administrateur de plusieurs sociétés de chemin de fer (Paris-Lyon ; Marseille-Avignon ; puis P.L.M.). Il est fondateur (et administrateur un court laps de temps) de la Compagnie générale maritime (future Compagnie générale transatlantique) ; il est aussi fondateur et administrateur de la Compagnie des Docks et entrepôts de Marseille (1856). Il se passionne pour la tentative d’Enfantin de creuser un canal à Suez (1833-1836) et c’est dans sa maison d’Oullins qu’est signé l’acte fondateur de la Société d’études du canal de Suez en 1846. C’est lui qui, confiant, parle à Ferdinand de Lesseps de ce projet ; on sait que ce dernier s’approprie les données techniques, le montage financier, et qu’il réussit là où Enfantin avait échoué (1869). Une petite brochure rédigée par Arlès-Dufour rappelle la part prise par les saint-simoniens dans l’aventure de Suez. À la fin du Second Empire (1868), Arlès-Dufour souscrit des parts dans une société destinée à construire un chemin de fer sous-marin sous la Manche. Son ami Michel Chevallier poursuit ce projet qui est finalement abandonné en 1880. Toujours pour favoriser les initiatives économiques, Arlès-Dufour encourage la création de banques. Membre fondateur de la Banque de Lyon, il en est élu censeur (1835), mais démissionne lors de la crise de 1837. Lorsque, en 1848, celle-ci est transformée en succursale de la Banque de France, il est à nouveau nommé censeur. Il soutient au début l’installation du Crédit foncier à Lyon (1852), entre dans le capital du Deutsche Credit Anstalt fondé par ses proches à Leipzig (1856). Il est ensuite cofondateur et administrateur du Crédit industriel et commercial (1858), de la Société générale de crédit industriel et commercial (1859), de la Société lyonnaise de dépôts et de comptes courants (1863), ainsi que de son homologue la Société marseillaise de crédit industriel et commercial (1865). Enfin, en 1863, il est l’initiateur du Crédit lyonnais avec Henri Germain, un de ses proches collaborateurs, qui en prend la direction. Ici aussi, il démissionne assez vite de son poste d’administrateur.
Partisan convaincu des bienfaits du libre-échange à la fois pour encourager la production et multiplier les liens entre les hommes, il entraîne la chambre de commerce de Lyon dans son combat contre le « système barbare anti-religieux et anti-social des prohibitions » qui freine la coopération universelle. Celle-ci l’envoie au Conseil général du commerce dès 1835. En 1837, comme à la Banque de Lyon, il propose aussi sa démission à la Chambre de commerce, mais elle est refusée. Administrateur de l’Association pour la liberté des échanges fondée à Bordeaux en 1846 par Frédéric Bastiat (admirateur de son ami Richard Cobden), il crée l’Association lyonnaise pour le libre-échange. Proche de Michel Chevalier comme de Richard Cobden et John Bright, il est un acteur influent dans les négociations du Traité de commerce conclu entre la France et l’Angleterre en janvier 1860 (Traité Cobden-Chevalier) ; il voit la réalisation de l’un de ses souhaits les plus chers : le rapprochement douanier avec l’Angleterre, premier pas vers le libre-échange et « l’association universelle des peuples » (projet saint-simonien). Ce traité si discuté dans les milieux d’affaires fut bénéfique à la soierie lyonnaise (les exportations vers l’Angleterre d’Arlès-Dufour & Cie ont doublé l’année suivante). Lorsque Napoléon III vient peu après inaugurer le Palais du commerce à Lyon, il remet à Arlès-Dufour la croix de commandeur de la Légion d’honneur. À la mort de son ami Richard Cobden, il adhère au Club Richard Cobden fondé l’année suivante (1867) pour perpétuer sa mémoire et ses idées libre-échangistes.
Généreux avec les saint-simoniens, il l’est d’une manière générale avec tous ceux qui sont dans le besoin. Philanthrope actif et efficace, « toujours en tête des œuvres de bienfaisance », soucieux de la misère ouvrière qu’il n’oublie pas avoir connue dans ses jeunes années, il intervient lors des crises économiques et des hivers rigoureux ; à Lyon, il prend en charge le Comité auxiliaire de bienfaisance créé en 1828, puis le Comité de secours et de travail (1830) où il se lie d’amitié avec le pasteur Martin (-Paschoud), futur beau-père de Gustave. Il encourage la Caisse de prêts instituée en faveur des chefs d’atelier de la Fabrique d’étoffes en soie de Lyon (créée en 1832), il est fondateur et administrateur de la société lyonnaise de secours mutuels pour les ouvriers en soie et de la caisse des retraites (1850). Sous le Second Empire, il est appelé dans le conseil de la Société du Prince impérial (pour l’enfance au travail, 1862), administrateur de la Caisse des associations coopératives (1866), fondateur et censeur de la Société de protection des apprentis et des enfants employés dans les manufactures (1867).
Arlès-Dufour a mené encore d’autres combats. Passionné d’homéopathie (il a rencontré Samuel Hahnemann, a des contacts avec le docteur Paul Curie, et fait venir de Leipzig à Lyon le docteur Noack), il soigne sa famille et ses amis selon ses méthodes et convertit son ami William Leaf qui en devient un fervent prosélyte en Grande-Bretagne. Pacifiste convaincu, par humanisme, mais aussi pour des raisons économiques, à la fin du Second Empire, sentant venir des tensions internationales, il participe aux réunions autour de la première Convention de Genève sur les blessés de guerre (1864) ; il est membre fondateur de la Ligue internationale de la paix et de la liberté (1867) créée à l’initiative de Frédéric Passy, journaliste au Temps ; il y retrouve le pasteur Joseph Martin-Paschoud et obtient l’adhésion de la reine Augusta de Prusse. Lorsqu’éclate la guerre franco-prussienne (19 juillet 1870), il écrit à cette dernière pour solliciter son intervention en faveur de l’arrêt des conflits. Il prend la présidence du Comité lyonnais de secours pour les blessés militaires, et il sollicite directement auprès de Gladstone et John Bright l’intervention anglaise en faveur de la France ; sa lettre est publiée dans le Times.
Militant pour l’émancipation des femmes, il obtient de l’impératrice Eugénie la Légion d’honneur pour Rosa Bonheur, peintre, fille de saint-simonien, médaille d’or de la l’Exposition universelle de 1855 (en 1894, Rosa Bonheur sera la première femme officier de la légion d’honneur). Il intervient auprès du père de l’écrivain Juliette Lamber (Juliette Messine, puis Juliette Adam) pour qu’il l’autorise à se séparer de son premier mari. Il est aussi un soutien efficace de Julie Victoire Daubié (voir aussi infra activités académiques). Lorsque celle-ci se voit refuser deux fois la possibilité de s’inscrire à l’examen du baccalauréat jusqu’ici réservé aux garçons, elle obtient, grâce à lui, de pouvoir se présenter devant la faculté des lettres de Lyon et devient la première femme à réussir cette épreuve (1861). Devant une certaine mauvaise volonté de l’administration, Arlès-Dufour demande encore l’appui de l’impératrice Eugénie pour que son diplôme lui soit remis. Ensemble, ils créent l’Association pour l’émancipation progressive de la femme (20 novembre 1871) ; il en est le président, et elle, la vice-présidente. C’est l’une des dernières manifestations du militantisme saint-simonien d’Arlès-Dufour.
Peu après la mort de Lucy, l’épouse de Gustave, il décède le 21 janvier 1872 à Vallauris (Alpes-Maritimes), dans la villa de Juliette Adam qui l’avait invité avec sa femme Pauline à passer les mois d’hiver. Il est enterré au cimetière d’Oullins le 29 janvier en présence d’une foule nombreuse (on a dû fréter un train depuis Perrache), « sans prêtres, ni soldats » selon son désir. Les discours sont simples : le maire d’Oullins, son vieil ami, le pasteur Martin-Paschoud qui souligne sa foi en Dieu, sa tolérance envers toutes les religions mais son horreur des cultes, un représentant de la S.E.P.R. et un des ouvriers d’Oullins qui rappellent sa générosité. Dans la presse nationale et étrangère (long article dans le Times), les hommages sont nombreux. Il laisse l’image d’un entrepreneur remarquable, d’une grande générosité, défenseur du libéralisme et de la paix.
Légion d’honneur (LH/49/38, son dossier a brûlé en 1871) : chevalier, 7 février 1837 ; officier, 15 décembre 1855 ; commandeur, décret du 18 septembre 1860 (croix remise par Napoléon III le 25 août 1860). Officier de l’Instruction publique, 1866. En 1855, commandeur de l’Ordre de François-Joseph d’Autriche, de l’Ordre d’Albert le Valeureux de Saxe, de l’Ordre de Frédéric de Wurtemberg, de l’Ordre des saints Maurice et Lazare de Sardaigne, chevalier de l’Ordre de l’Aigle Rouge de Prusse, de l’Ordre du mérite de Bavière, de l’Ordre de Saint Olaf (Suède), de l’Ordre de Dannebrogord (Danemark), de l’Ordre du mérite de Toscane. Il est fait aussi baron du royaume de Prusse en 1863 et baron de l’empire d’Autriche en 1867.
Son nom a été donné à : place Arlès-Dufour, cité Arlès-Dufour et parking Arlès-Dufour, Oullins ; groupe scolaire Arlès-Dufour rue Louis-Guérin, Lyon 6e.
On lit au procès verbal de la séance du 4 avril 1854 : « M. Dareste [de la Chavanne]*, d’après le désir qui lui en a été témoigné par la commission et en vue de faciliter les élections futures, a consenti à ce que l’on produisît de sa part la demande de passer de la 3e section dans la 2e ». Cette demande étant accordée, Dareste libère ainsi le fauteuil 3 dans la section 3 Lettres, pour lequel Louis Bonnardet* s’empresse de proposer un candidat, Arlès-Dufour, qui « vient d’être nommé secrétaire général de la grande exposition qui se prépare ». La notoriété du candidat lui vaut d’être élu le 6 juin 1854. Lors de la séance publique du 22 janvier 1856, le président en exercice, le docteur Amédée Bonnet*, après avoir longuement vanté la participation de Lyon à l’Exposition universelle dans la chimie, l’imprimerie, la peinture, l’agriculture, les œuvres caritatives, mentionne à peine l’action d’Arlès-Dufour, qui vient de remporter un succès incontestable au plan national comme international, et reprend ensuite la description élogieuse d’autres éléments de l’Exposition. Visiblement les activités (et les idées ?) du nouvel académicien ne sont pas très conformes aux conceptions que le président a de l’Académie.
En 1858, en doublant la valeur du prix, Arlès-Dufour décide de proposer au concours la question suivante : « Étudier les moyens pour élever le salaire des femmes à l’égal de celui des hommes lorsqu’il y a égalité de services et de travail ; ouvrir aux femmes de nouvelles carrières et leur procurer des travaux qui remplacent ceux qui leur sont enlevés par les hommes et la transformation des usages et des mœurs ». Sur rapport de Jérôme Morin* du 21 juin 1859, Julie Victoire Daubié remporte les 2/3 du prix, soit une médaille de 800 francs malgré les « tableaux exagérés des misères de la femme » (MEM L 8, 1859-60).
En 1870, Arlès-Dufour propose au concours de l’Académie une nouvelle question qui est la suite de celle de 1858. Elle porte sur les améliorations qui ont pu être apportées à « la condition économique des femmes, à leur éducation, leurs salaires et leurs emplois » depuis le concours de 1858-59. Le prix sera décerné après sa mort, en 1878 ? (rapport Jean Tisseur, MEM L 18, 1878-1879).
Pierre Cayez et Serge Chassagne, Les Patrons du Second Empire, vol. 9, Lyon et Lyonnais, Paris : Picard, 2007, p. 37-44. − Jacques Canton-Debat, Un homme d’affaires lyonnais, Arlès-Dufour (1797-1872), thèse Lyon-2, 2000, 3 vol., 901 p. − Société des études saint-simoniennes, « Arlès-Dufour » http://lire.ish-lyon.cnrs.fr/ESS/arles.html. − Lucien Jeanmichel, Arlès-Dufour, Un Saint-Simonien à Lyon (préface de Michel Robatel*), Lyon : ELAH, 1993, 188 p. − Félix Rollet*, « Les Saint-Simoniens et leurs réalisations lyonnaises », MEM 1989. − Paul Malapert*, « François Barthélemy Arlès-Dufour », Discours de réception 1988, Arch. Ac. − Juliette Adam, Mes premières armes littéraires et politiques, 8e éd., Paris : Lemerre, 1904, 463 p. − C. L. [César Lhabitant], Arlès-Dufour, Paris : Guillaumin, 1874, VII + 207 p. − Michel Chevalier, « M. Arlès-Dufour », Journal des économistes, 15 mars 1872, 12 p. – « Notice nécrologique », MEM 1870-74. − La Mascarade, n° 156, 28 janvier 1872. − Journal de Lyon, 30 et 31 janvier 1872.
Portrait par Jean Marie Régnier, Lyon 1826, coll. particulière. – Gravure signée E.D. fondateur de la S.E.P.R. (Gallica). – Portrait par son ami Jean-Marie Régnier, 1860, Musée des Beaux-Arts de Lyon. – Portrait par Joseph Bonnat, 1869, coll. particulière. – Photographie par Nadar (Gallica) ; un buste d’Arlès-Dufour offert par son fils Gustave à la société Arlès-Dufour et Cie, rue du Bât-d’Argent, le 4 juillet 1881.
BNF Arsenal : Ms-15784 fonds François Barthélemy Arlès-Dufour (en cours de classement) ; fonds Enfantin (F.E.) 7612-18 ; 7663-7665 ; 7681-7688 ; 7707 ; 7835-38 ; 7845. Ms 13749, 14392, 15147, 15704, 15706. BNF NAF 16932 ; 24608 ; 24609.
Archives privées Michel Chevalier. Archives privées Morel-Journel. − BML Ms Charavay 23. − Médiathèque Ceccano (Avignon), Ms 4825. – Ac.Ms279-III f° 92, Rapport sur la candidature de M. Arlès-Dufour par Claude Jourdan*, 30 août 1853 ; f° 101, Fraisse*, idem.
Articles dans Le Précurseur (1828), La Presse, L’Écho de la Fabrique (1823, nos 25-28, 30-31, 33, 36-42 ; 1833, n° 33). − Un mot sur les fabriques étrangères de soieries à propos de l’exposition de leurs produits, Lyon : Léon Boitel 1834, 152 p. − « Importance de l’industrie des soies et soieries », RLY 115, 1842, p. 56-64. − « Lettres de Londres », La Presse, 1845. − Aux travailleurs mes frères, 7 avril 1848. − Exposition universelle de 1851, Rapport du XIIIe jury : Soieries et rubans. − Exposition universelle de 1855, Industrie des soies et soieries. − « Exposition universelle de Londres », RLY 203, 1851, p. 157-166. Avec Adolphe Blanqui, « Sur les Lyonnais à l’Exposition de Londres » , p. 166-170. – « Clôture de l’Exposition de Londres : récompenses accordées à l’industrie lyonnaise », RLY 203, 1851, p. 359-362. – Exposition de Manchester 1857, Rapports (avec Meynier et Cl. Bonnefonds), Lyon : Barret, 1858, p. 34-35. − Exposition universelle de 1862, Considérations générales sur les soies, les soieries et les rubans, Paris : N. Chaix, 1862. − À la famille Saint-Simonienne, Paris : Dubuisson, 1865, 3 p. − Réponse à M. Dupanloup... sur sa lettre... dénonçant les écoles professionnelles de filles, la Ligue de l’enseignement, les cours publics autorisés... les saint-simoniens, Paris : E. Dentu, 1868, 32 p. − Le percement de l’isthme de Suez. Enfantin, M. de Lesseps (résumé historique), Paris : Dentu, 1869, 46 p. − « Lettre aux Anglais », publiée dans le Times, oct. 1870.
Éditeur et commentateur : Œuvres de Saint-Simon et d’Enfantin, Paris : E. Dentu, 47 vol., 1865-1878. − Prosper Enfantin, Le crédit intellectuel, Paris : Dentu 1866, 32 p.