Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

BALLANCHE Pierre Simon (1776-1847).

par Maryannick Lavigne-Louis, Jacques Hochmann.

  Pierre Simon Balanche, né le 4 août 1776 à Lyon, est baptisé le 5 du mois dans l’église Saint-Nizier. Parrain : Pierre Simon Balanche prêtre du diocèse de Besançon, représenté par Guillaume François Gaulard marchand ; marraine : Agathe Poulat « fille illettrée ». Son père, Hugues Jean Bal(l)anche (Les Combes ou La Combe d’Abondance [près de Morteau, Doubs] 21 janvier 1748-Lyon 20 octobre 1816) a épousé le 13 juillet 1772, dans la paroisse de Saint-Nizier, Claudine Poulat (Grigny 17 avril 1744-Lyon 17 octobre 1803), fille de Jean Poulat, vigneron à Grigny, et d’Agathe Brottet. Hugues Jean Ballanche se déclare marchand de grains lors de son mariage, célébré en présence de l’imprimeur libraire Aimé Delaroche (Lyon 1715-1801) « fondé de procuration pour autoriser l’époux ». Celui-ci et son épouse Anne Clément sont parrain et marraine du premier enfant du couple Ballanche, Anne, née le 2 mai 1773, décédée prématurément. Va suivre, le 15 mars 1775, Aimée, mariée le 5 septembre 1801 à François Alexis Polingue, notaire à Givors (commune dont il sera maire de 1806 à son décès en 1813), décédée à Lyon 31 rue du Bœuf le 23 juillet 1836. Pierre Simon, né en 1776, est leur seul fils. Hugues Jean Ballanche est alors marchand de drap. Quand Aimé Delaroche se retire en 1791, Ballanche est l’associé de l’imprimerie avec le petit-fils de ce dernier, Aimé Vatar-Delaroche, qui est tué lors du siège de Lyon, le 4 septembre 1793. Hugues Jean Ballanche lui-même échappe à la fureur révolutionnaire et aux griffes de Collot d’Herbois grâce à l’intervention de ses ouvriers. En 1796, associé avec l’imprimeur libraire Clément François Barret (1775-1848), il achète à la fille d’Aimé Delaroche, veuve de Charles François Millanois (fusillé le 18 novembre 1793), l’imprimerie située depuis 1736 dans la halle de la Grenette (8 rue Grenette, act. angle rue de Brest). Barret se retire de l’association en 1802, laissant la place à Pierre Simon Ballanche ; l’imprimerie, sous la raison sociale Ballanche père et fils, qui publie notamment l’Almanach, le Bulletin de Lyon et les Petites affiches lyonnaises, perdure jusqu’en 1816, date à laquelle elle est vendue à Matthieu Placide Rusand.

  Dès sa plus petite enfance, Pierre Simon Ballanche, de santé précaire, souffre de troubles nerveux qui provoquent des hallucinations, des pertes de mémoire, des dédoublements de personnalité. Il se ressource à la campagne dans les vignes de son grand-père Poulat, notamment au moment du siège de Lyon (« O Grigny, aimable retraite, où j’aime tant à retrouver les souvenirs si chers de mon enfance ! »). De retour à Lyon en 1794 avec sa mère, il doit subir une douloureuse trépanation nécessitée par une ostéomyélite de la mâchoire, opération qui le laisse défiguré de la joue gauche. Cette laideur relative, sa timidité et la réserve de son caractère introverti en font un être complexé : « J’ai été quatorze ans de ma vie persuadé qu’il n’y avait en moi aucun talent réel, et alors non seulement je me tenais fort en arrière, mais même je ne faisais aucun effort pour sortir de cette nullité ». Très tôt, il s’est réfugié dans la lecture des ouvrages puisés dans la librairie de son père. Rapidement, il entre à la Société littéraire de Lyon où il devient l’ami fidèle de Camille Jordan*, Dugas-Montbel*, André-Marie Ampère*. En 1797, il y lit l’ébauche de son premier ouvrage de 350 pages : Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts, imprimé par son père en 1801 et mis en vente à Paris chez Calixte Volland ; il écrit : « ce n’est pas par hasard que j’ai choisi, pour mon début dans la carrière littéraire, un sujet qui a plus besoin de l’expansion du cœur que des ressources de l’esprit. J’ai cru que ce sujet me mettrait à l’abri d’un jugement trop sévère ; car il est bien difficile de critiquer l’œuvre naïve du sentiment. » Malheureusement, le livre ne se vend pas et reçoit une critique acerbe dans le Journal des Débats, qui lui reconnaît « pour l’enflure du style et la bouffissure des pensées, un penchant que rend plus sensible encore le contraste du genre niais dans lequel il tombe tout à coup. » L’année suivante, Chateaubriand publie le Génie du christianisme (expression extraite de l’ouvrage de Ballanche) dont le succès est retentissant. En 1803, Ballanche se rend à Paris pour le rencontrer et lui propose d’en imprimer une nouvelle édition en 1804. Ainsi se noue entre eux une amitié : ils se rendent ensemble à la Grande Chartreuse, et, en 1806, il est chargé de ramener Mme de Chateaubriand de Venise à Paris. Cette même année, il accepte de faire dans le Bulletin de Lyon la promotion d’un breuvage alcoolisé à base d’écorce d’orange, l’angustura, inventé par le marquis montpelliérain Mazade d’Avèze (auteur en 1810 des Lettres à ma fille), dont Simon espère épouser l’unique enfant, Bertille. Mais on lui reproche de ne pas être noble et les fiançailles sont annulées. Ballanche songe alors momentanément à entrer au séminaire de Paris : « Il faut donc que je quitte le monde et que j’embrasse l’état ecclésiastique. Croyez-moi, mon cher, je pourrais faire quelque bien dans cet état-là ; et c’est une considération qui ne peut pas être indifférente. » (Lettre adressée à André Marie Ampère le 16 mars 1806).

  En juin 1812, Camille Jordan le présente à Juliette Récamier (Lyon 1771-Paris 1849), exilée par Bonaparte et venue s’installer pour quelques mois à l’hôtel de l’Europe dans sa ville natale. Cette rencontre bouleverse sa vie. La jeune femme, dont la rare beauté, la gentillesse et le goût pour les lettres et les arts le subjuguent, devient sa muse, il s’attache définitivement à elle dans une passion platonique sans faille. L’ayant accompagnée à Rome en 1813, il se remet à écrire (Antigone). En juin 1816, le fidèle Ballanche vend l’imprimerie lyonnaise et déménage à Paris pour retrouver dans le salon de l’Abbaye-aux-Bois Juliette Récamier avec son cercle d’amis, et se consacrer à l’écriture de son œuvre littéraire et théosophique. En 1833, Guizot, ministre de l’Instruction publique, lui fait verser une pension. Le 2 juin 1837, il est fait chevalier de la Légion d’honneur (LH/98/41). Élu le 17 février 1842 à l’Académie française au fauteuil d’Alexandre Duval, il y est reçu le 28 avril par Prosper de Barante et prononce son discours de réception, « un des plus beaux rêves de ma jeunesse souffrante et ignorée. » Affaibli par un régime végétarien, atteint par une fluxion de poitrine, il décède à Paris le 12 juin 1847, veillé par Juliette Récamier à demi aveugle. Sans famille, et sans argent (il a perdu son reste de fortune dans l’échec de l’invention d’un moteur industriel), il est inhumé deux jours après dans le caveau familial des Récamier et à proximité de la tombe d’André Marie et Jean-Jacques Ampère, au cimetière de Montmartre où Juliette rejoint les siens le 13 mai 1849. « C’était un singulier personnage. Il avait des puérilités et des enfances, des bégaiements sans fin dans l’entretien habituel, et, tout à côté de cela, il lui sortait de la bouche, et surtout de la plume, des paroles d’or. » (Sainte-Beuve).

  Le 4 août 1854, le conseil municipal de Lyon a donné son nom à l’ancienne rue du Plâtre dans le 3e arrondissement, entre la rue Moncey et la rue Paul-Bert. Elle a disparu en 1996 après la construction d’une résidence universitaire : le Clip, par René Gagès*, et a été remplacée par la place Pierre-Simon-Ballanche, juste derrière l’immeuble.


Académie

Le 13 nivôse an X [3 janvier 1802], le président Dumas* « fait la demande d’une place d’émule pour le citoyen Ballanche, auteur de l’excellent ouvrage sur la sensibilité dont il a été fait mention dans un des procès-verbaux antérieurs (ouvrage déposé le 23 frimaire an 10 [14 décembre 1801]). Toute la société exprime son désir de s’adjoindre un collègue aussi estimable, et son regret d’être forcée, pour le moment, d’ajourner sa demande ». Il est élu comme émule à l’Athénée le 24 messidor an X [12 juillet 1802] (voir aussi Gaston Frainnet, Essai sur la philosophie de Pierre Simon Ballanche, précédé d’une étude biographique, psychologique et littéraire, p. 18). Lors de la mise à jour de la liste des membres de l’Académie le 15 frimaire an XI (6 décembre 1802), Ballanche est élu titulaire dans la section des lettres et arts, au titre de la « critique ». Le 24 mars 1807, il prononce un discours philosophique et religieux sur l’incertitude des connaissances humaines et la nécessité de s’en remettre à l’Évangile, en partant du passage de l’Ecclésiaste tradidit mundum disputationibus eorum. Le 13 décembre 1807, il lit : Mort d’un platonicien racontée par un ami, commencement d’un ouvrage, La Foi promise aux Gentils, jamais écrit ; à la séance publique du 3 septembre 1811, sa nouvelle manuscrite Inès de Castro (perdue) ; et les 14 avril, 17 novembre 1812, 27 avril et 23 novembre 1813, son poème historique Antigone.

En 1816, il assure la présidence. Le 27 août 1823, il fait lire par Mottet de Gérando* son Éloge de Camille Jordan. Il devient membre associé de l’académie de Besançon en 1834. En 1847, « par disposition verbale », il institue l’Académie de Lyon légataire de ses manuscrits. Victor de Laprade* prononce son éloge funèbre lors de ses obsèques. L’Académie charge ce dernier de réaliser une biographie de Ballanche. Il demande que soit organisé pour fin 1849 un concours concernant l’appréciation des œuvres de Ballanche. L’Académie propose la réalisation d’un programme par une commission composée des académiciens Victor de Laprade, Bredin et Bréghot du Lut (séance du 22 juin 1847).

La philosophie de Ballanche. Qualifié par ses contemporains de « doux hiérophante », Ballanche fait partie de ces mystiques lyonnais qui, au xixe siècle, selon la formule de Tancrède de Visan* « à grands coups d’ailes majestueuses cherchent le pays de l’Unité […] aspirés par l’astre catholique » [et aussi par l’esprit des sectes illuministes !]. Inspiré au départ par les philosophes traditionalistes Joseph de Maistre et Louis de Bonald, il récuse leur violence antirévolutionnaire et se détache du courant légitimiste ultra pour évoluer vers une position favorable à la Charte. S’il admet, avec le vicomte de Bonald, que l’homme n’a pas inventé le langage et qu’il se réalise dans et par la société, celle pour laquelle il plaide est une société démocratique où régneront la liberté et la justice qui ont commencé à s’épanouir avec la Révolution. S’il accepte de considérer, avec Joseph de Maistre, le sauvage comme un être que le péché a conduit de la perfection originelle vers un état de dégénérescence, il refuse son rachat par le sang et plaide notamment pour l’abolition de la peine de mort. Son romantisme et son goût pour les idées nouvelles l’amènent à contester à la fois l’idéalisation de l’Ancien Régime, le maintien des formes esthétiques classiques, et à défendre la primauté du sentiment sur la raison. Appliquant à l’évolution des sociétés le terme de « palingénésie » par lequel le philosophe et naturaliste genevois Charles Bonnet (1720-1793) désignait l’évolution du minéral à l’homme en passant par l’organisation végétale puis animale, Ballanche décrit une succession d’états qui conduisent de la barbarie à la démocratie à travers les étapes de la théocratie et de l’aristocratie. Créé par Dieu comme un être parfait, l’homme a usé de sa liberté pour s’adonner au mal. Tous les hommes ont péché, mais l’inégalité de leurs fautes explique les degrés dans leur chute. La Providence leur a envoyé une série d’expiations qui leur permettra de recouvrer progressivement leur innocence première. « La société est progressive et il y a quelque chose de successif dans les révélations de Dieu et dans les révélations de l’esprit humain ». Il peut y avoir des rechutes, mais l’humanité avance toujours vers une cité idéale où chaque homme ayant suffisamment expié dans « une pluralité de vie » se sera dépouillé de ses imperfections pour s’élever jusqu’à Dieu. Dans cette fresque philosophique, les mythes de l’Antiquité et les traditions païennes sont tenus pour des germes du message chrétien, Antigone pour une sainte et Orphée est assimilé au Christ. Elle a inspiré, en 1848, au peintre Paul Chenavard le projet d’orner le Panthéon de peintures en grisaille et d’une mosaïque pour retracer, du Chaos à la Révolution française, « la marche du genre humain dans son avenir à travers les épreuves et les alternatives de ruine et de renaissance ». Les esquisses de cette œuvre, abandonnée sous le Second Empire, devant les réactions des catholiques, sont conservées au Musée des Beaux Arts de Lyon.

Bibliographie

Charles Augustin Sainte-Beuve, Nouveaux portraits critiques et littéraires, « Ballanche », vol. 2, Bruxelles : 1836, p. 161-210. – Louis Léonard de Loménie, Galerie des contemporains illustres par un homme de rien, Paris : A. René et Cie, vol. 3, 1841, p.1-32. – Victor de Laprade, Ballanche, sa vie et ses écrits, MEM L 2, 1846. – Jean Jacques Ampère*, Ballanche, Paris : A. René et Cie, 1848 ; rééd. 1849. – Félix Nève, Éloge de Ballanche, lu le 28 mai 1848, Société littéraire de Louvain : Louvain, 1850. – Gaston Frainnet, Essai sur la philosophie de Pierre Simon Ballanche, précédé d’une étude biographique, psychologique et littéraire, Paris : Picard, 1903. – Tancrède de Visan*, Ballanche, pages choisies avec une notice, Lyon : P. Masson, 1926. – J. Buche*, L’école mystique de Lyon 1776-1847, Paris : Félix Alcan, 1935. – Marc Fumaroli, « Chateaubriand et Ballanche », Chateaubriand, Poésie et Terreur, Paris : Éd. de Fallois, 2003, p. 501-542. – Patrice Béghain, DHL, 2009. – Gérard Bruyère*, notice sur Ballanche, Juliette Récamier muse et mécène, catalogue de l’exposition, p. 133-134, Lyon : MBAL, 2009.

Iconographie

Un médaillon (non localisé à ce jour), modelé à son effigie par David d’Angers en 1830, figurait dans les collections de l’Académie (Morin-Pons, p. 114-115 et pl. XVII). – Ballanche est représenté sur la peinture monumentale Aux gloires du Lyonnais et du Beaujolais, réalisée par Louis Édouard Fournier en 1896 pour la salle des délibérations du conseil général à l’Hôtel du département du Rhône. – L’Hôtel du département conserve également un buste du philosophe.

Manuscrits

Rapport sur l’ouvrage de M.N.S. Guillon « La Fontaine comparé avec ses modèles et ses imitateurs » (signé aussi par Béraud*), 23 prairial an XII, Ac.Ms125 f°465. – Rapport sur un poème latin de M. Barret, intitulé « Una dies », 8 juillet 1806, Ac.Ms125bis f°51. – Manuscrits, notes et papiers divers donnés à la ville de Lyon par le colonel d’Hautefeuille, conformément aux dernières volontés de sa femme, amie de Ballanche (5 cartons), BML, Ms Delandine 1759.

Publications

Du sentiment dans ses rapports avec la littérature et les arts, Lyon : Ballanche et Barret, 1801. – Lettres d’un jeune Lyonnais à l’un de ses amis sur le passage de notre Saint-Père le pape Pie VII à Lyon, le 19 novembre 1804 et sur son séjour dans la même ville les 17, 18, et 19 avril 1805 à son retour de Paris, suivies des discours adressés à Sa Sainteté et d’une instruction sur les indulgences, Lyon : Ballanche père et fils, 1805. – Compte rendu des travaux de l’Académie pendant l’année 1816, Lyon : Durand, 1816. – Essai sur les institutions sociales, dans leurs rapports avec les idées nouvelles, Paris : Didot, 1818. – Antigone, 1814 (premier essai, exemplaire unique, BNF). – Fragments. Le vieillard et le jeune homme, Paris : A. Renouard, 1819. – Antigone, poème historique, Paris : Didot, 1819. – L’homme sans nom. Élégie en prose sur l’assassinat du duc de Berry, Paris : Didot, 1820. – « Éloge de Camille Jordan », préface de Discours de Camille Jordan, Paris : J. Renouard, 1826. – Essais de palingénésie sociale, Prolégomènes, Orphée, Paris : Didot, 1827 (2 vol.). – Œuvres de M. Ballanche de l’Académie de Lyon, Paris, Genève : J. Barbezat, 1830 (4 vol.). – Vision d’Hébal, chef d’un clan écossais (extr. de La ville des expiations), Paris : Didot, 1831. – La ville des expiations : trois épisodes, extr. de La France littéraire, Paris : A. Pinard, 1832. – Œuvres complètes (1833), réimpr. Genève : Slatkine, 2015. – Antigone ; L’homme sans nom, [Épilogue de l’Antigone et de l’homme sans nom par Guillemon], Paris : H.-L. Delloye, 1841. – Discours de réception à l’Académie française, Paris : Didot, 1842. – Œuvres inédites de P.-S. Ballanche. Inès de Castro, Paris : Gaston Frainnet, 1904. – La ville des expiations, Paris : H. Falque, 1907.

Cette notice a été révisée.