Dans les monts de la Madeleine, sur la route conduisant de Montbrison à Vichy, figure un lieudit « Calinon », berceau et surnom de la lignée Vallas. La plus ancienne mention attestée du patronyme Vallas remonte au 31 octobre 1627, date du décès à Saint-Priest-la-Prugne (Loire) d’un Mary Valla Calinon, ancêtre agnatique au 8e degré de Léon Eugène Vallas. Celui-ci naît le 17 mai 1879 à Roanne du couple Philibert Vallas, agent général de la compagnie d’assurances La Nationale, né en 1837 à Roanne, et Claude Marie Antoinette Alice Fougerat, née en 1843 à Saint-Symphorien-de-Lay, mariés le 5 juillet 1874 à Roanne. La fratrie Vallas compte quatre enfants, dont une fille (Louise-Françoise, 1877-1961) et deux autres garçons : l’aîné est prêtre (Jean-Antoine, 1876-1959), le cadet (Félix, 1887-1916) décède dans un accident comme infirmier militaire. Léon Vallas est orphelin de ses père et mère dès février et août 1887.
Il suit toute sa scolarité comme interne à l’Institution Sainte-Marie de Saint-Chamond, reçu comme bachelier en philosophie en juillet 1897. L’année suivante, Léon Vallas obtient à Lyon le diplôme de P.C.N, préalable aux études médicales, mais abandonne rapidement cette voie pour satisfaire sa passion musicale. En 1900-1901, il effectue son service militaire dans les Hautes-Alpes chez les chasseurs alpins puis il fait courageusement toute la Grande Guerre dans le service de santé de l’Artillerie. En 1919, l’obtention d’un doctorat ès lettres lui ouvre une carrière musicale, mais, à défaut de postes officiels stables, Léon Vallas connaît une activité multiforme de chercheur et d’enseignant, de conférencier et de critique, de journaliste et d’écrivain, à Lyon, mais aussi à Paris et à l’étranger.
Sa vie a été marquée dès 1904 par un attachement à Pauline Victorine Caloin (1875-1968), fille d’un professeur de musique et d’une professeure de piano au Conservatoire de Musique de Lyon de 1919 à 1942, pianiste et claveciniste de renom sous le nom de Paule de Lestang (nom de son premier mari), épousée à Paris le 3 juillet 1936, sans postérité.
Le 9 mai 1956, Léon Vallas s’éteint à Lyon, âgé de 77 ans ; selon Henry Dumoulin, qui l’assista dans cette épreuve, « ses derniers instants furent ceux d’un sage, au stoïcisme inébranlable » ; il est inhumé à Sainte-Foy-lès-Lyon, avec Paule de Lestang.
Le chercheur et l’enseignant. En 1898, Léon Vallas a rencontré à Roanne, à l’occasion d’un concours d’orphéons, Vincent d’Indy, dont il devient le secrétaire in parte à partir de 1900, et qui lui confie divers travaux de secrétariat à l’heure de la création de la Schola Cantorum parisienne. Mais Vallas participe également, à Lyon, auprès de Georges Martin-Witkowski*, à la mise en place d’un chœur, la Schola Cantorum lyonnaise, prélude à la création de la Société des grands concerts. En 1903 déjà, il fonde la Revue musicale de Lyon, qui deviendra la Revue française de musique. À cette époque, Léon Vallas a engagé les recherches musicologiques qui allaient déboucher, en 1908, sur la soutenance d’une thèse devant l’université de Lyon : La Musique à l’Académie de Lyon au xviiie siècle. Approfondi, ce travail sera couronné en 1919 par une thèse de doctorat d’État, Un Siècle de musique et de théâtre à Lyon : 1688-1789.
La thèse d’université de 1908 met en valeur le rôle de l’Académie du Concert, qui devait donner des concerts hebdomadaires sans interruption jusqu’en 1774. Ses recherches ont conduit Vallas à publier le catalogue de la bibliothèque de la Maison du Concert, située place des Cordeliers, d’après l’inventaire conservé aux Archives municipales de Lyon. À lire ce catalogue, on comprend la place qu’a pu tenir, dans cette institution, la musique italienne à côté des grandes œuvres de musique religieuse française. La thèse de doctorat d’État de 1919 s’intéresse à la création d’un théâtre d’opéra à Lyon au lendemain de la disparition de Lully, le fondateur du genre lyrique en France. À une étude détaillée sur les moments de la création, les difficultés de la gestion du théâtre ou la richesse du répertoire, s’ajoute une bibliographie abondante qui met en valeur les livrets d’opéras publiés à Lyon aux xviie et xviiie siècles.
Léon Vallas se rendit à deux reprises au festival de Bayreuth, la seconde fois en 1911. Le 12 septembre 1910, il est à Munich pour la création de la Huitième Symphonie de Mahler, sous la direction du compositeur. Et ce jour-là, il est assis dans un parterre prestigieux, entouré de Bruno Walter, Richard Strauss, Hugo von Hofmannsthal, Siegfried Wagner, Thomas Mann, Arthur Schnitzler, Anton Webern et Camille Saint-Saëns. Que Vallas ait pu se trouver au milieu d’un tel aréopage témoigne de la valeur du personnage, de son sens critique comme de sa sensibilité musicale. Toutes ces références et ces activités lui valent d’être chargé, en 1911, d’un cours d’histoire de la musique au Conservatoire national de Musique de Lyon. La notoriété acquise par ce provincial est à la hauteur de sa compétence : de 1928 à 1930, la Sorbonne lui confie un cours libre sur la musique française contemporaine ; ses prestations semblent très appréciées puisqu’un cours spécial d’été réservé aux étrangers anglophones lui est proposé à la même époque.
Le conférencier et l’écrivain. C’est sans doute à partir de son enseignement en Sorbonne qu’un poste de conférencier lui est offert aux États-Unis, sous les auspices de l’Alliance française. Pendant plusieurs années, il sillonne les États-Unis et le Canada pour donner des centaines de conférences d’ordre littéraire ou musical. Norbert Dufourcq précise : « Lorsque Léon Vallas prend la parole, les auditeurs découvrent en ce conférencier l’homme de lettres, l’érudit, le passionné ». Il se fait particulièrement remarquer par deux ouvrages parus en 1926 et consacrés à Claude Debussy : Debussy, et Les Idées de Claude Debussy, musicien français. Dans un nouveau volume paru en 1927, Léon Vallas rassemble un certain nombre d’articles de critique musicale écrits par Debussy notamment dans la revue Comœdia. Cela montre bien l’intérêt que Vallas porte à ce genre littéraire puisqu’il faut attendre les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale pour voir enfin les écrits de Debussy intégralement publiés sous le titre : Monsieur Croche et autres écrits. En 1946, Léon Vallas publie un important ouvrage sur Vincent d’Indy, en deux volumes dans lesquels il étudie tour à tour la vie et l’œuvre du compositeur. En 1955, peu avant son décès, Vallas peut éditer chez Flammarion La véritable histoire de César Franck, précédée il est vrai par une édition anglaise en 1951. À propos de ces livres, consacrés à trois compositeurs francophones majeurs à l’articulation des xixe et xxe siècles, Dufourcq note que, si Vallas « a su faire, en son existence, la place à la musique ancienne, il ne saurait passer en marge du mouvement musical contemporain ».
Le journaliste et le critique musical. La Grande Guerre terminée, Vallas est appelé à faire partie d’une équipe nouvelle au Progrès de Lyon, où, « pendant près de quarante ans, il rendit compte de toutes les manifestations lyriques et de tous les concerts » (Henry Dumoulin, 1966). Pendant la saison 1923-1924, annoncé comme le directeur de la Nouvelle Revue musicale (1920-1925), il est le présentateur d’une série de vingt concerts produits à Paris par les Concerts Alexandrovitch. Mais, outre le territoire français, on rencontre dans l’entre-deux guerres Léon Vallas en Suisse, en Allemagne ou en Tchécoslovaquie (où il accompagne Paule de Lestang et Ennemond Trillat*). « Monsieur Léon Vallas parle avec la plus rare et la plus modeste compétence d’un sujet qu’il possède à fond, faite de précision, de naturel et d’élégance. Pour entendre ainsi parler français, il n’y a pas de dérangement qui compte » (Gazette de Lausanne, 1923). « Léon Vallas est un savant musicien et, de plus, un homme d’esprit. La langue dans laquelle il s’exprime fait penser à Voltaire et à Diderot, tant elle est simple, claire, naturelle […]. Il y a dans la personnalité de ce brillant causeur […]tant de caractères typiquement français que cela enchante les nombreux auditeurs étrangers qui se pressent à ses séances (Berliner Tagblatt, 1927).
Dans les mêmes années trente, alors qu’il a un pied à Paris, un autre aux États-Unis, Vallas tient ainsi chaque samedi la chronique La Musique du quotidien lyonnais Le Progrès, alternant réflexions générales et comptes rendus des activités artistiques dans les deux capitales. On peut d’ailleurs se demander comment ce lettré, qui a franchi la cinquantaine et dont les recherches ont porté sur la période française classique, pouvait rendre compte et apprécier une évolution musicale somme toute récente. En effet, Léon Vallas fait alors preuve comme critique d’une large ouverture d’esprit, mais sans snobisme ni parti pris. Face à de tels répertoires, ses préférences vont plutôt à la jeune musique française de cet entre-deux guerres, notamment envers le Groupe des Six envers qui « on se montre [trop] dur ; on va jusqu’à leur reprocher d’avoir tout détruit sans rien créer, d’avoir détourné le public des voies de la vraie musique pour le conduire dans une impasse ». « Pareils griefs paraissent vraiment injustes […]. N’y aurait-il parmi eux que Darius Milhaud et Honegger […], nous ne pensons pas qu’on puisse légitimement déclarer : ce mouvement n’a rien apporté (Le Progrès, 4 janvier 1930). Francis Poulenc et Jacques Ibert sont également très prisés, peut-être parce qu’il peut voir en eux des dignes continuateurs de ces Rameau, Franck, Debussy, d’Indy, auxquels il a consacré et consacrera tant de lignes savantes.
La Seconde guerre mondiale à peine estompée, et Les Trente Glorieuses loin de s’annoncer, vient pour Léon Vallas le temps de la retraite, accompagnée des honneurs. En 1946, le décès de Martial Griveaud*, archiviste du Rhône, lui offre l’occasion de présenter sa candidature à l’Académie de Lyon. Dans une lettre datée du 15 décembre, sur papier à lettre de la Société Française de Musicologie dont il a été président de 1938 à 1943, Léon Vallas rappelle que « dès la fin de l’année 1908, [il est] devenu l’historien musical de l’Académie grâce à la publication de [son] premier ouvrage : La Musique à l’Académie de Lyon au xviiie siècle, qui [lui] a valu le Prix Chazière » du 16 novembre 1909, ajoutant : « En 1932 j’ai publié mon grand ouvrage, Un Siècle de musique et de théâtre à Lyon (1688-1789), pour lequel j’avais obtenu, le 23 décembre 1913, un second Prix Chazière. Au titre d’historien de la vie artistique lyonnaise, j’ai été deux fois admis, vers 1910, aux séances de l’Académie pour y faire des communications ». Le 3 juin 1947, le rapporteur, Jean Tricou*, évoque le « grand jeune homme imberbe » et « les critiques […] tellement sévères que si l’Académie recrutait parmi les exécutants de ce temps-là, je n’aurais qu’à me taire et renoncer à recueillir le moindre suffrage pour mon candidat ». Mais d’ajouter, ayant évoqué toute la carrière de Vallas : « Peu de vies intellectuelles ont été aussi bien remplies que la sienne », et de conclure : « Léon Vallas est actuellement l’un des meilleurs musicographes français, et sa réputation s’étend bien en dehors de notre pays. Un tel talent honore notre ville. Et il semble que l’Académie ait attendu bien longtemps pour donner à son historien le fauteuil qu’il mérite, d’autant plus que plusieurs de nos sections : histoire, beaux-arts, littérature, médecine même, pourraient le revendiquer ». « Ne croyez-vous pas que nous [nous] honorerons en faisant de cet historien “unique” l’un de nos 52 Confrères » ? Du coup, Léon Vallas est élu le 3 juin 1947 par 28 voix sur 32 votants, au premier tour, au fauteuil 4, section 3 Lettres, précédemment occupé par Martial Griveaud*. Son discours de réception, intitulé : Mon ami Bergiron*, est prononcé le 8 février 1949, le même jour que celui du recteur André Allix*. « La presse lyonnaise donna d’amples et d’élogieux comptes rendus de la séance ».
Durant les dix années où Léon Vallas siégea dans la compagnie, sa vie connut un rythme moins prenant, voire même routinier, bien qu’il participât encore à l’activité culturelle de la cité et poursuivît des rédactions musicologiques. Entre le 11 mai et le 17 novembre 1953, il donna pas moins de sept conférences. Citons néanmoins un épisode conflictuel où, rendant compte comme journaliste d’un concert franco-allemand de musique de chambre tenu à Lyon en mai 1954, Léon Vallas se permet d’écrire que « la participation du Conservatoire de Lyon [lui] a paru médiocre, tant par le choix des œuvres que par leur exécution ». Ce faisant, il encourt les foudres du directeur Ennemond Trillat*, qui fait afficher, avec copie au journal Le Progrès, une note rétorquant que « la Semaine Lyon-Düsseldorf s’est terminée par un concert qui a affirmé les solides qualités de l’enseignement du Conservatoire. Que nos élèves se rassurent : les écrits de cet écrivain [sic !] ne doivent pas les impressionner. Tant que sa plume fonctionnera, ce sera pour essayer d’étouffer les mérites de l’enseignement de notre école. [...] À cette malveillance chronique nous répondrons par le mépris ».
Léon Vallas fait alors appel à la médiation de Paul Condamine, ex-bâtonnier et avocat à la cour d’appel de Lyon, qui écrit à Ennemond Trillat : « [Je ne peux vous] dissimuler que vous vous étiez rendu coupable du délit de diffamation à son égard et que le droit le plus absolu [de Léon Vallas] était de vous citer devant le Tribunal correctionnel pour obtenir à la fois une condamnation pénale et une réparation civile.». Après de nouveaux échanges épistolaires, Ennemond Trillat consent à mettre fin à la querelle : « Je ne puis qu’adopter votre conclusion et souhaiter que le conflit actuel, singulièrement regrettable, entre dans la voie de l’apaisement ».
Au vu des nombreux fruits, mais aussi des attentes, voire des échecs d’une carrière multiforme, on doit souligner qu’à une époque où la musicologie n’avait pas encore fait son apparition dans l’université française en dehors de la Sorbonne, il a manqué à Léon Vallas un poste universitaire qu’il aurait largement mérité, compte-tenu du nombre et de la qualité de ses écrits.
BML, Fonds Léon Vallas. – Philippe Lebreton et Yves Ferraton, Une biographie de Léon Vallas (1879-1956), historien et critique musical, Lyon : Vassel, 2013, 128 p. – Id., « Léon Vallas, historien, musicologue et académicien lyonnais », (communication du 21 janvier 2014), MEM 15, 2015, p. 205-212.
La Musique à l’Académie de Lyon au xviiie siècle, thèse d’Université, Lyon, 22 décembre 1908 ; repris dans Rev. Musicale de Lyon, 1908, 243 p. – Un siècle de musique et de théâtre à Lyon : 1688-1789, thèse d’État, 10 juin 1919, Lyon ; rééditée avec compléments, Masson, 1932. – Un musicien français : Georges Migot, Paris : Sénart, 1923. – Debussy (1862-1918), Paris : Plon, 1926, 189 p. – Les idées de Claude Debussy, Musicien Français., Paris : Libr. France, 1926 ; trad. anglais : The theories of Claude Debussy, London : Oxford University Press, 1929. – Claude Debussy et son temps, Paris : Alcan, 1932 ; traduit angl., Claude Debussy, his life and works, London : Oxford University Press, 1932. – Vincent d’Indy, Paris : Albin Michel, 1944-49. – Achille-Claude Debussy, 2 vol., Paris : PUF, 1944 ; rééd., 1949, 267 p. – La véritable histoire de César Franck, Paris : Flammarion, 1955 (précédé par une édition anglaise en 1951). – Des milliers de pages et d’articles, notamment à travers les trois revues crées et animées par lui : Rev. musicale de Lyon (1903-1912), Rev. française de Musique (1912-1914), Nouvelle Rev. Musicale (1919-1925).