Camille Marcel Riboud est né le 7 novembre 1886, 3 quai des Brotteaux (act. quai Sarrail) à Lyon 6e. Témoins : Léon Riboud, avocat, son oncle paternel, et Joseph Bourgeot, rentier, son oncle maternel. Au xviie siècle son ancêtre direct, Antoine Riboud, était guimpier à l’Arbresle ; les Riboud se sont installés ensuite à Lyon, comme guimpiers, marchands de dorures, puis fabricants et négociants en soie, comme Antoine [(1781-1864) – l’époux de Joséphine Laurence Daussigny (1788-1833) tante d’Edme Camille Martin-Daussigny* (qui est aussi conseiller municipal) – et son fils, Jean Antoine (1809-1863), parfois appelé Jules : arrière-grand-père et grand-père de Camille. Le père de Camille, Antoine Marie Edmond (La Guillotière 20 août 1847-Lyon 6e 8 décembre 1933), a épousé le 20 août 1877, à Lyon 2e, Uranie Marie Antonine Marguerite Bourgeot (Lyon, 15 avril 1856-21 décembre 1938), fille de Charles (1825-1879), agent de change et banquier, propriétaire du château de Lacarelle à Ouroux (Rhône), qui reviendra plus tard à Camille. De mars 1894 à avril 1914, Antoine est président de la Société lyonnaise de dépôts et de crédit industriel qu’il développe de manière importante. Il est aussi administrateur de la Banque de France et administrateur des Hospices de Lyon. Il prend soin de faire faire des études à ses fils : Léon (1878-1946) est ingénieur agricole (école de Grignon) ; Jules (1881-1915) va à l’École de commerce de Lyon ; Camille a un solide bagage de juriste.
Après des études au lycée Ampère, puis une licence de lettres et une licence de droit, Camille Riboud passe en plus une année à Oxford. Élève de l’École libre des sciences politiques de Paris, il a comme camarade Maurice Schlumberger (frère de Conrad et Marcel, les spécialistes de la prospection électrique des sous-sols), André Istel et Louis Noyer. En 1910-1911, avec eux trois, il fait un tour du monde d’études et de découvertes. Au cours de ces voyages en Angleterre, en Australie, en Amérique et en Asie, il s’intéresse aux questions économiques et sociales, à l’émigration, à la réglementation du travail, à la coexistence des différents peuples. La Revue des sciences politiques, périodique de l’École libre des sciences politiques dont il est un ancien élève, publie ses études sur diverses institutions, notamment d’enseignement, et sur la politique d’Andrew Fisher, premier ministre australien travailliste. En 1912, il entre comme sous-directeur à la Société lyonnaise de dépôts et de crédit industriel dont son père est encore président ; son frère Jules en est nommé directeur en avril 1914.
Pendant la Grande Guerre, mobilisé, Camille est profondément marqué par l’épreuve des tranchées ; il prend des photos avec un appareil Kodak Vest-Pocket, qu’il donnera plus tard à son fils Marc dont il pressent, semble-t-il, les dons de photographe. Il se marie le 17 août 1915 à Grigny (Rhône) avec Lucienne Eugénie Marie Hélène Frachon – fille d’Amédée Frachon (1861-1936), agent de change, sous-directeur au Crédit Lyonnais et « maître-verrier », et d’Adèle Souchon (1868-1902), arrière-petite-fille par sa mère de Claude Bréghot du Lut*. Quelques mois plus tard, Camille perd son frère Jules, lui aussi grand voyageur, qui a conquis ses galons de lieutenant au combat, et qui meurt pour la France le 29 décembre 1915 au Hartmannswillerkopf (Haut-Rhin). Très touché, Camille recueille les lettres et les notes écrites par son frère au cours de ses longues expéditions à l’étranger et au cours de la guerre, et il les publie en un gros volume.
Cette disparition change le destin de Camille ; en 1920, il remplace son frère comme directeur de la Société lyonnaise ; il en devient administrateur en 1926, vice-président en 1928, puis président le 29 mars 1930, et le reste jusqu’à son décès en 1939. Dès 1931, il met sur pied un large programme d’extension de la banque. Alors qu’il fait carrière dans la Société lyonnaise, ses trois camarades du tour du monde Maurice Schlumberger, André Istel et Louis Noyer fondent une banque qui s’appelle bientôt la banque Schlumberger.
Il continue de donner des conférences et publie notamment une analyse du livre de Bertrand Russel, Prospects of Industrial civilisation (Londres, 1923), ouvrage qui l’intéresse par son influence sur la jeunesse anglaise. En 1935, il montre le souci de défendre les institutions républicaines en les réformant ; il propose, sans vouloir l’imposer, un curieux système électoral où le droit de vote est accordé aux femmes et dans lequel certains, hommes ou femmes, peuvent bénéficier de plusieurs voix en fonction du nombre d’enfants, des responsabilités économiques, du degré d’instruction et du paiement d’un impôt sur le revenu. Il écrit encore un long article sur John D. Rockefeller au moment de sa mort. Parallèlement, il s’intéresse à l’action sociale locale. En 1921, avec Humbert Isaac, il fonde le « Domaine du Combattant », association qui récolte des fonds importants pour construire des habitations à bon marché destinées aux anciens combattants (à la Croix-Rousse, à Oullins, etc.). Administrateur, puis vice-président de la SEPR (Société d’enseignement professionnel du Rhône) fondée en 1864 par Arlès-Dufour* ; directeur du Dispensaire général de Lyon ; administrateur de la Société lyonnaise pour le sauvetage de l’enfance. Président de la section lyonnaise de l’Alliance nationale contre la dépopulation, il fait le 10 décembre 1938 une conférence sur « La natalité française – quantité et qualité ».
Il décède brutalement, et volontairement, le 30 novembre 1939 à Écully. Après une cérémonie religieuse en l’église d’Écully, le 2 décembre, il est inhumé au cimetière de Loyasse dans la stricte intimité familiale.
Il laisse six enfants (son fils Olivier est décédé à l’âge de 11 ans le 2 janvier 1937). 1) Née à Versailles en 1916, Michelle épouse en 1941 Bernard Lacoin (1911-1984), directeur financier chez Berliet, responsable lui aussi d’œuvres sociales dont il s’occupe avec sa femme, président de Notre Dame des Sans abri, puis de l’ALPIL (Action pour l’insertion par le logement) ; après le décès de son mari, elle continue à soutenir l’action de ces associations où elle a laissé le souvenir d’une femme de réflexion et d’analyse ; le 11 septembre 2001, elle est inhumée à côté de son mari à Saint-Chef (Isère), tombe n° 99. 2) Antoine (1918-2002) épouse en 1943 Lucette Hugonnard-Roche (1943-2013) ; sa carrière est bien connue ; en 1965, il est président de Souchon-Neuvesel (la mère de Camille est née Souchon) ; il fusionne avec Boussois et crée l’année suivante BSN, entreprise de fabrication de verre plat et d’emballage ; en 1973, il se lance dans l’agroalimentaire et fusionne avec Gervais-Danone dont il assure une extension rapide jusqu’en 1996 ; homme de dialogue, en 1973, il prononce un célèbre discours où il affirme sa volonté de « mettre sur le même plan progrès économique et progrès social ». 3) Jean (1919-1985), résistant et déporté à Buchenwald en 1943, fait après la guerre des études de droit et de lettres à Lyon, puis comme son père l’École libre des sciences politiques à Paris ; il épouse en 1949, aux États-Unis, Krishna Roy, d’origine indienne, collectionneuse et mécène (le couple fera de nombreux dons au musée Guimet) ; entré dans la Société de prospection électrique Schlumberger en 1951, qui se transforme en Schlumberger Ltd, il la préside de 1965 à son décès ; sous sa présidence, le groupe connaît un essor et une diversification remarquables ; François Mitterrand, dont il est fort proche, lui propose un ministère qu’il refuse. 4) Marc (1923-2016) devient un célèbre photographe de presse ; après un passage dans le maquis du Vercors, il choisit l’École centrale de Lyon (ECL 1947), mais s’oriente vite vers la photo ; il entre en 1953 à l’Agence Magnum ; il se marie en 1961 à Mexico avec l’écrivain américain Barbara Chase, puis en 1982 avec Catherine Chaine ; il est l’auteur de photos célèbres (Le Photographe de la tour Eiffel...), de multiples expositions et ouvrages ; Vers l’Orient reçoit le prix Nadar en 2012 ; ses archives photographiques sont léguées au Musée Guimet. 5) et 6) Enfin, la famille comprend encore deux filles : Françoise, et Sylvie qui se marie en 1950 en Argentine avec Georges-Émile Jullien.
Présenté par Auguste Isaac* le 26 mai 1936, il est élu au fauteuil 1, section 3 Lettres, à la place de Maurice Courant* (par un curieux hasard, Courant a longtemps tenu une chronique dans la Rev. des sciences politiques, où C. Jourdan publie plusieurs articles). Le 8 juin 1937, il prononce son discours de réception : Sur la profession de banquier (MEM 23, 1939), où il expose l’importance du rôle de la banque moderne, les conditions psychologiques, matérielles et morales nécessaires à son bon fonctionnement ; des questions techniques comme le mécanisme des banques de dépôts et des opérations de crédit ; une vision des qualités du parfait banquier (rectitude, sang-froid, pondération, clair jugement) et du juste équilibre à trouver entre toutes ces qualités. Il insiste sur l’énergie morale qu’il place au-dessus de toutes les autres vertus professionnelles. Après son décès, Auguste Rivet* prononce son éloge à l’Académie le 12 décembre 1939.
Il est aussi membre de la Société de Géographie de Lyon et de la Société d’économie politique de Lyon qu’il préside de 1929 à 1932 ; il invite alors Paul Reynaud, ancien ministre des colonies, pour parler des répercussions de la crise sur l’économie des colonies et des difficultés politiques que la France y rencontre. Il prononce des conférences sur les Îles Fidji (1913), sur les actions à vote plural (1929). À l’Union des femmes de France, le 25 avril 1936, il présente Réflexions sur une croisière en Grèce, organisée par l’Association Guillaume-Budé. En janvier 1935, présenté par Louis Noyer et Georges Descours, il entre à l’Automobile Club de France.
Chevalier de la Légion d’honneur.
A. Rivet, « Camille Riboud », MEM 24, 1945 ; et Lyon : A. Rey, 1940). – L. Noyer, Camille Riboud, 1886-1939. Hommages et allocutions, Lyon : Impr. du Salut public, 1942, 51 p. portrait. – Antoine Riboud, Le dernier de la classe, Paris : B. Grasset, 1999, 267 p. – Nicolas Stoskopf, 150 ans du CIC : 1859-2009, éd. La Branche, 2009.
C. Riboud a laissé un journal (jusqu’ici inédit).
Jules Riboud, 1881-1915, Lettres et notes, Lyon : A. Rey, 1920, 443 p. – L’enseignement supérieur en Irlande, 1907. – Un collège ouvrier en Angleterre, 1907. – « L’éducation civique des ouvriers en Angleterre », Rev. des sciences politiques, 1910, p. 321-343 – « L’école d’affaires de l’université Harvard », Rev. des sciences politiques, 1911, p. 631-640. – « Le parti australien ouvrier au pouvoir », Rev. des sciences politiques, 1912, p. 258-279. – « Bertrand Russel, sociologue anglais », Rev. des sciences politiques, 1926, p. 270-282. – « Suffrage équilibré », Rev. des sciences politiques, 1935, p. 294-297. – « Comment on fonde un empire sans frontières. John D. Rockefeller et les débuts de la Standard Oil Co », Rev. hebdomadaire, 1937, p. 65-85.