Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

DUGAS Charles (1885-1957)

par Marguerite Yon-Calvet.

 Charles Dugas est né à « Alais » [devenue « Alès » en 1926] (Gard) le 22 octobre 1885, d’une famille protestante des Cévennes ; son père était Alexandre Eugène Fernand Dugas, « docteur en droit » (31 ans), avocat à Alais, sa mère Marie Constance Louise Pellet (28 ans). Il épouse à Alais Victorine Élisabeth France Martel le 8 juillet 1922 ; ils ont eu trois filles : Sylvie (née en 1926, Mme Orsini), Thérèse (née en 1928, Mme Eyraud) et Francine (née en 1931). Son épouse est décédée le 30 mars 1983. Il est mort le 4 octobre 1957 dans une clinique de Montpellier (où il avait été transporté d’urgence pour une intervention chirurgicale), alors qu’il résidait dans sa maison familiale le Pereyrol, à Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard). Ses obsèques religieuses ont eu lieu à Alès, et il est inhumé dans le cimetière de Saint-Hippolyte-du-Fort.

 Après des études secondaires au lycée d’Alais, il prépare à Paris – lycée Henri IV – le concours de l’École Normale (ENS), où il est élève de 1904 à 1907 ; il est agrégé des lettres en 1907. Sa nomination comme membre de l’École française d’archéologie d’Athènes (EfA) en 1908 est le prélude à une remarquable carrière d’archéologue, spécialisé dans l’étude de la céramique grecque antique ; il passe alors 4 ans en Grèce. Après une année à Madrid comme membre de l’École des Hautes Études Hispaniques (1912/1913), suivie d’une année en France à l’ENS, il retourne à Athènes pour un second séjour en temps de guerre comme interprète (1915-1919).

 Revenu en France, il est chargé de cours d’archéologie et d’histoire de l’art à la faculté des Lettres de Montpellier, de 1919 à 1928. Il obtient en 1925 à Paris (Sorbonne) un doctorat ès Lettres, avec une thèse sur La céramique des Cyclades. Les années de guerre passées en Grèce l’avaient amené à observer de près la situation politique de ce pays pendant cette période cruciale pour l’Europe, et il publie en 1925, sous le pseudonyme de Charles Frégier, un livre préfacé par Gustave Fougères alors directeur de l’École française d’Athènes, sur la politique grecque de 1915 à 1918, dénotant un don d’observation aigu des milieux politiques ; on en trouve un écho très élogieux dans le rapport sur sa candidature à l’académie de Lyon présenté par Mathieu Varille*.

 En 1928, remplaçant Charles Picard nommé à la Sorbonne, il est nommé professeur d’histoire de l’art antique à l’Université de Lyon où il va rester jusqu’à sa retraite en 1955. Il est élu doyen de la faculté des Lettres en 1939. En même temps, son ouverture sur la recherche internationale l’amène à de nombreuses missions d’études en Italie (Florence, Bologne 1927 ; Bologne 1932 ; Sicile 1935), Allemagne (Munich 1929), Angleterre (Londres, Oxford 1930 ; 1939), Grèce (Délos, Myconos 1932 ; 1933), Autriche (Vienne 1933), Hollande (1939). En 1937, il est chargé de mission par l’Université de Lyon en vue de l’organisation de l’Institut des Lettres orientales de Beyrouth.

 Pendant la Seconde Guerre mondiale, le doyen est frappé de révocation par le régime de Vichy ; il a été reconnu par ses pairs pour avoir, lors de l’occupation, fait disparaître des listes d’étudiants juifs de la faculté des Lettres de Lyon (il en cachait même certains chez lui, 13 quai Saint-Clair, Lyon 1er). Ayant repris après la guerre ses responsabilités universitaires de professeur et de doyen, il développe les activités de son enseignement d’archéologie et d’histoire de l’Art de la Grèce antique et poursuit ses recherches, et il est reconnu internationalement comme une autorité majeure en la matière.

 Dans le cadre des activités de l’École française d’Athènes, il a mené entre 1909 et 1919 des fouilles en Grèce, en particulier sur les sites de Tégée, Delphes, Délos. La découverte exceptionnelle dans l’Héraion (temple d’Héra) de Délos d’un dépôt de près de 700 vases d’époque archaïque (ca viiie-vie s. av. J.-C.), provenant de divers ateliers de Grèce, lui donne l’occasion de se spécialiser dans l’étude de la céramique grecque, discipline indispensable à toute étude sur l’antiquité grecque classique et dans laquelle ses ouvrages publiés servent encore de référence. Sa thèse sur La céramique des Cyclades propose une classification des productions de cette région, appuyée sur une analyse systématique des motifs, formes, et de leur évolution ; il s’intéresse également à l’imagerie représentée sur les vases et à ses liens avec la tradition littéraire ou mythologique.

 L’un de ses principaux titres à la reconnaissance du monde de la recherche est la création à l’université de Lyon, où existait déjà un musée de moulages permettant l’étude de la sculpture antique, d’un Institut d’archéologie classique que les circonstances vont lui permettre de compléter par une bibliothèque de premier ordre. À la mort de Salomon Reinach en 1932, les sections préhistorique et gallo-romaine de sa très riche bibliothèque sont allées, selon la volonté du défunt, au Musée d’archéologie nationale (MAN) de Saint-Germain-en-Laye ; il restait un ensemble considérable, environ 16 000 volumes, concernant l’archéologie grecque. La famille avait fait savoir que l’un des soucis de S. Reinach avait été d’aider les bibliothèques des universités françaises, l’accès aux bibliothèques parisiennes étant alors difficile et coûteux pour les étudiants et chercheurs de province (sans parler des bibliothèques et des musées étrangers). Charles Dugas saisit cette occasion pour convaincre les héritiers de faire profiter de cet ensemble l’Université de Lyon, dotée d’un Institut archéologique assez important et dynamique pour être capable d’exploiter et d’entretenir ce capital intellectuel. La bibliothèque est donnée à la Faculté des Lettres de Lyon pour l’Institut d’Archéologie classique ; installée dans ses locaux (15 quai Claude-Bernard), elle est ouverte à partir de 1935.

 Charles Dugas s’est employé à l’entretenir et à l’enrichir en fonction des possibilités. Ainsi, dans la situation financière difficile de l’immédiat après-guerre, il a eu l’idée de consacrer à cette Bibliothèque une partie des crédits que la Fondation Rockefeller mettait à la disposition des universités françaises : il a pu acquérir des publications étrangères de grand prix, tels les coûteux volumes du CVA (Corpus des vases…) au fur et à mesure de leur parution. Il a ainsi fait de Lyon un centre des recherches sur l’antiquité classique reconnu en France et à l’étranger. Son œuvre a été poursuivie par ses successeurs : les professeurs Henri Metzger (membre de l’Institut), Georges Roux*, Roland Étienne, Marie-Thérèse Le Dinahet*… L’Institut fondé à Lyon par Charles Dugas est aujourd’hui une partie de la Maison de l’Orient (Université Lyon-2 – CNRS), et la bibliothèque a été intégrée à la bibliothèque commune de cette maison de la recherche.

 Reconnu comme spécialiste de la céramique grecque, il participe à l’ambitieux programme du Corpus Vasorum Antiquorum de l’« Union académique internationale » initié par Edmond Pottier en 1919 à Paris, visant à publier – et à illustrer (ce qui en fait l’intérêt) – « tous les vases d’argile antiques […], qui représentent la civilisation européenne et celle de l’Orient proche de la Méditerranée » conservés dans les collections publiques, et impliquant au début six pays. Charles Dugas en est nommé directeur en 1954, et il a beaucoup contribué à son développement. Il a organisé à Lyon les 3-5 juillet 1956 un « Colloque International sur le “Corpus Vasorum Antiquorum” », et il en a rédigé et publié les actes (CNRS, Paris, 1957). Sous son impulsion, l’entreprise a pris de l’ampleur : depuis le 1er fascicule de 1922 (E. Pottier, CVA Louvre), plus de 380 volumes in-quarto sont parus à ce jour, publiant plus de 100 000 vases exposés dans vingt-six pays (aujourd’hui en ligne : projet CVA Online commencé en 2000, Centre « Beazley Archive » de l’université d’Oxford).


Académie

Sur proposition de Mathieu Varille* du 24 novembre 1942, il est élu le 8 décembre 1942, au fauteuil 3, section 1 Lettres, succédant à Camille Germain de Montauzan*. Son discours de réception, prononcé le 15 février 1944, est titré : Connaissance de la Grèce antique (MEM 25, 1949, p. 18-30).

Membre libre non résidant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1942). Premier secrétaire de la Fédération internationale des associations d’études classiques (FIEC) entre 1948 et 1953. Membre de l’Académie Royale de Belgique, de l’Institut archéologique allemand, de la Société archéologique d’Athènes, de la Société pour le développement des études grecques de Grande-Bretagne.

Bibliographie

Henri Metzger, « Charles Dugas (1885-1957) », AUL 1956-1957, p. 3-7. – Charles-Edmond Perrin, « Éloge funèbre de M. Charles Dugas, membre libre non résidant de l’Académie », CRAI 101, 1957, p. 329-333.

Iconographie

Une médaille lui a été consacrée en 1951 par le sculpteur lyonnais Louis Rousselon* (dit Luc Roville). Elle porte le profil droit de l’académicien, surmonté de l’inscription « CHARLES DUGAS », au-dessous la date « MCMLI », et derrière la tête le monogramme du sculpteur « LR » dans un petit cercle. Au revers, un personnage assis, de profil à droite, est entouré d’une inscription en grec : « ΜΟΥΣΙΚΗΝ ΠΟΙΕΙ ΚΑΙ ΕΡΓΑΖΟΥ » [« Pratique l’art des muses et travaille »] (citation de Platon, Phédon, 60 e). Le motif vient de la céramique grecque antique (spécialité de Charles Dugas) : il est pris sur une hydrie attique « à figures rouges » (musée de Milan) de 470/460 av. J.-C., décorée par le peintre dit « peintre de Léningrad » ; sur l’épaule du vase sont représentés en frise des fabricants de vases dans leur atelier, couronnés par la déesse Athéna et deux Victoires. Le sculpteur a isolé le personnage central qu’il a simplifié et adapté à la forme circulaire de la médaille.

Publications

Ses publications, nombreuses, sont issues de ses fouilles en Grèce.

Ouvrages : Les fouilles de Tégée (1910), extr. de CRAI, Paris : Alphonse Picard et fils, 1911, 12 p. – [sous le pseudonyme de Charles Frégier], Les étapes de la crise grecque (1915-1918), Paris : Bossard, 1919, 294 p. – La Céramique grecque, Paris : Payot, 1924, 158 p. ; traduit en anglais sous le titre Greek Pottery, Londres : Black, 1926. – Le Sanctuaire d’Aléa Athéna à Tégée au ive siècle (collab. Jules Berchmans, sculpteur, et Mogens Clemmensen, architecte), Paris : Geuthner, 1924, 144 p., atlas 116 pl. (Prix Ambatiélos de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1926). – La Céramique des Cyclades (BEFAR fasc. 129), Paris : de Boccard, 1925, 292 p. et 17 pl. (Prix Zographos de l’Association pour l’encouragement des études grecques, 1926 ; et Médaille Perrot de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1927). – Classification des céramiques antiques. Céramiques Lacono-cyrénéennes, Mâcon : Protat, 1928. – Aison et la peinture céramique à Athènes à l’époque de Périclès, Paris : Laurens, 1930, 127 p. – Le Trésor de céramique de Délos, Paris : de Boccard, 1930, fasc. texte 23 p., atlas 70 pl. – Avec Robert Flacelière, Thésée, images et récits, Paris : de Boccard, 1958.

Quatre volumes de l’Exploration Archéologique de Délos, Paris, de Boccard : vol. X : Les vases de l’Héraion, 1928, 205 p., atlas 70 pl., couronné par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (prix Ambatiélos, 1929). – vol. XV : Les vases préhelléniques et géométriques (collab. Kostantinos Athanasiou Romaios), 1934, 116 p. – vol. XVII, Les vases orientalisants de style non mélien, 1935, 131 p., et atlas 72 pl. – vol. XXI, Les vases attiques à figures rouges, 1952.

Il a publié de nombreux articles, dont une grande partie est rassemblée dans le Recueil Charles Dugas, sous la direction d’H. Metzger, par la Société des Amis de la Bibliothèque Salomon-Reinach, Paris : de Boccard, 1960, 208 p.