Dictionnaire historique des académiciens de Lyon

Préface
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La recherche est faite par sous chaîne, insensible à la casse et aux accents.

LOCARD Edmond (1877-1966).

par Dominique Saint-Pierre, Jacques Hochmann.

  Alexandre Arnould Edmond Locard est né le 13 décembre 1877 à Saint-Chamond (Loire), 63 cours d’Izieux, fils d’Étienne Alexandre Arnould Locard*, ingénieur civil aux établissements Gaudet, passionné d’histoire naturelle, et de Marie Gibert de Sennevières, d’une famille de papetiers. Présents : Jean Jacques Charles Koch, ingénieur, et Alexandre Détanger, ingénieur, tous deux aux établissements Gaudet. Il est parent ou allié des académiciens Albert Falsan* (cousin germain de son père), Claude Bréghot du Lut* (époux de la grand-tante d’Albert Falsan), d’Ariste Potton* (époux de la sœur d’Albert Falsan) et de Charles Soulier* (son beau-père). Son grand-père, également ingénieur, rénovateur de la ligne de chemin de fer Lyon-Saint-Étienne, est l’inventeur d’un procédé permettant le détachement instantané des locomotives en marche. Selon une tradition familiale, les Locard seraient d’origine écossaise et descendraient d’un Simon Lokar qui devrait son nom et son blason (un cœur enfermé : locked heart) au transport dans un coffre du cœur de Robert Bruce, roi d’Écosse, lors d’un pèlerinage entrepris pour obtenir l’absolution du roi, coupable d’avoir assassiné son rival. La famille Locard s’installe à Allevard, quelques semaines après la naissance d’Edmond, puis en 1879 à Lyon, 38 quai de la Charité (act. quai Gailleton), où naît Marguerite (Lyon 2e 3 octobre 1880-Odenas 9 janvier 1954), future épouse d’Émile Bender (1871-1953), sénateur du Rhône, qui refusa les pleins pouvoirs à Philippe Pétain et s’est beaucoup investi dans la lutte contre le phylloxéra dans le Beaujolais.

  Edmond effectue sa scolarité à la pension Blanchoux, puis au collège dominicain Saint-Thomas d’Aquin à Oullins (aujourd’hui St. Thomas d’Aquin, centre scolaire Veritas). Il obtient le double baccalauréat en sciences et en lettres en 1894. Il passe une année en PCN à la faculté des sciences, puis s’inscrit à la faculté de médecine. Externe dans le service de chirurgie de Léopold Ollier*, il se destine à une carrière d’orthopédiste, mais Léopold Ollier meurt en 1900, et Edmond Locard qu’il avait pris comme secrétaire doit changer d’orientation. Renonçant à préparer l’internat, il intègre en 1900, d’abord comme préparateur, la chaire de médecine légale d’Alexandre Lacassagne* qui devient son mentor. Il soutient sa thèse en 1902 : La médecine judiciaire en France au xviie siècle (Lyon : Storck, 1902, 479 p.) et travaille dans le laboratoire de Lacassagne jusqu’en 1910, tout en collaborant aux Archives de l’anthropologie criminelle, la revue fondée par Lacassagne. L’époque est à la controverse entre l’école turinoise de Cesare Lombroso, qui soutient la thèse du criminel-né, et l’école lyonnaise plus orientée vers l’étude des facteurs criminogènes sociaux. Locard s’inscrit dans la filiation des idées de son maître dont il partage les opinions sur le rôle néfaste de la prison dans l’accroissement des récidives, ainsi que les opinions politiques dreyfusardes. En 1905, il obtient une licence en droit. On le considère comme le père de la criminalistique et comme un pionnier de la coopération policière internationale. En 1906, participant au 6e congrès d’anthropologie criminelle à Turin, où se trouvent Lombroso, Bertillon et Reiss – Locard aura fait des stages chez ces trois maîtres, respectivement à Turin, Paris et Lausanne, mais sera très critique à l’égard de Bertillon dont il stigmatise la « retentissante erreur » dans son expertise graphologique lors de l’affaire Dreyfus –, il donne une communication intitulée Les Services actuels d’identification et la fiche internationale, demandant l’adoption d’une méthode d’identification unique. Sa connaissance des langues – quatre langues parlées, onze lues dont l’hébreu et le sanskrit – lui facilitent des voyages dans le monde entier. En 1909, il publie L’Identification des récidivistes¸ consacrée à l’étude des empreintes digitales, la dactyloscopie déjà utilisée entre autres par Galton en Angleterre, et en France par Bertillon depuis 1902. Le 10 janvier 1910, avec l’accord d’Henri Cacaud chef de la Sûreté, il obtient de créer, en partie avec ses propres deniers, un laboratoire de police technique à Lyon, inspiré entre autres,- par Conan Doyle et les aventures de Sherlock Holmes. Installé sous les combles du palais de justice, doté au départ d’un équipement dérisoire, et où il a pour seuls collaborateurs un garde-champêtre et un gardien de la paix, ce laboratoire est considéré comme le premier laboratoire de police moderne. D’abord absorbé par le classement des fiches anthropométriques, il met au point en 1912 la technique de la poroscopie (identification par les orifices des glandes sudoripares des empreintes digitales), et systématise l’examen des poussières prélevées sur les vêtements, ainsi que l’analyse des taches de sang et le moulage des pas. Il développera ensuite l’examen balistique grâce à l’invention par son élève Harry Soderman (devenu par la suite professeur de criminalistique à Stockholm) du hatoscope. Simple « chargé de fonction publique », il n’obtient jamais le statut de fonctionnaire et exerce de manière quasi bénévole, vivant essentiellement de la fortune paternelle. Le laboratoire sera partiellement financé par la Chambre de commerce et d’industrie, et Locard bénéficiera du détachement de quatre agents de police qu’il forme comme « préparateurs ». De nombreux stagiaires bénévoles de France et de l’étranger viendront participer à son travail et suivre son enseignement, Locard ayant acquis une réputation internationale.

  Mobilisé en 1914, comme médecin-major de 2e classe, à la direction générale du Service de Santé à Paris, il est détaché au service du Chiffre auprès du général Cartier, comme spécialiste de graphologie et de cryptographie, et il parvient à déchiffrer le code allemand, ce qui lui vaut d’être décoré de la Légion d’honneur. Du 11 avril au 20 août 1918, il se trouve aux États-Unis, à la demande de la Croix-Rouge américaine et de la YMCA [Young Men’s Christian Association], accompagnant Justin Godart* et le docteur Édouard Rist, médecin des hôpitaux de Paris, en mission d’information sur l’état sanitaire et économique de la France. Il est démobilisé le 1er mars 1919.

  En 1921, il inaugure un musée des techniques policières dans son laboratoire. En 1922, son expertise judiciaire dans l’affaire d’Angèle Laval (qui inspirera Le Corbeau à Clouzot) en fait une vedette internationale et le pousse à développer la graphométrie et à concevoir le graphoscope, fabriqué chez l’opticien Gambs à Lyon dès 1925, qui sera à la source de quelques erreurs (affaire Renée Lafitte). En 1934, il propose la création d’un diplôme d’études supérieures de criminalistique et enseigne à l’École nationale supérieure de la police, d’abord à Lyon (1940) puis à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (1941), ainsi que la psychologie expérimentale à la faculté des lettres et à la faculté de droit dans le cadre d’un certificat de sciences pénales. Son laboratoire est étatisé en 1943. Il le quitte en 1950, à 74 ans, et ouvre un cabinet privé d’expertises rue Mercière, où il a réalisé plus de 10 000 expertises. Il est remplacé par son fils Jacques, chimiste, qui s’était associé à ses travaux en mettant au point un « ébrioscope » pour mesurer le degré d’alcoolémie, mais qui meurt d’une crise cardiaque en 1952, laissant une veuve et sept enfants. Ses successeurs seront Jacques Bourret, alors professeur de médecine légale à la faculté de médecine, le docteur Morey, puis le docteur Jean-Jacques David (le laboratoire est aujourd’hui abrité par l’hôtel de police, 40 rue Marius Berliet Lyon 8e).

  Commandeur de la Légion d’honneur, médaillé de la Résistance (24 avril 1946).

  Homme de lettres, romancier, il s’intéresse à tout : à la musique notamment. En 1905, il s’était rendu au festival de Bayreuth consacré à Wagner. Il participera à la Revue musicale de Léon Vallas* et sera critique musical au Lyon Républicain jusqu’en 1929, ainsi que membre du jury du Conservatoire de musique. Sur les traces de son père, il s’intéresse aux sciences naturelles, particulièrement à la botanique. Numismate, philatéliste, il a publié en 1942 un Manuel du philatéliste (Paris : Payot, 1942, 352 p.).

  Il a succédé en 1941 à Justin Godart comme président des Amis de Guignol et a participé activement à l’académie du Merle Blanc, dès sa création par René Andrieux, ancien collaborateur du journal éponyme, et fondateur au 112 quai Pierre Scize à Lyon 5e d’un restaurant du même nom et de la revue Reflets. Une fois par semaine, les membres se réunissent pour un repas autour de personnalités de la vie culturelle lyonnaise. Locard y rencontre notamment les peintres Combet-Descombes* ou Majorel. L’académie décerne un prix de littérature policière dont le premier titulaire, en 1959, est Hugues Clary. Après avoir migré en divers points de la ville, l’académie du Merle blanc est toujours active. Membre de l’académie des Pierres Plantées le 26 mars 1937 sous le nom de Just Benoni, Locard en devient le secrétaire perpétuel et rééligible.

  Il est mort à Lyon, dans son appartement rue Mercière, le 4 mai 1966, et il est inhumé au cimetière d’Oullins.

  Il avait épousé, le 9 avril 1912 à Caluire-et-Cuire, sa cousine Lucie dite Lucette Soulier (Lyon 4e 4 août 1894-Caluire-et-Cuire 28 juin 1987), fille de Charles Soulier* (1857-1941), agent de change, président du tribunal de commerce de Lyon, et de Marthe Renodier. Ils eurent deux enfants : Jacques (1914-1952), et Denise (1917-2016), qui épouse en 1942 le chirurgien Pierre Stagnara (Loriol 1917-1995), élève de Maurice Guilleminet*, spécialiste des scolioses, directeur du Centre des Massues (créé, sur son initiative, par la Mutualité agricole) ; parents de dix enfants, Denise et Pierre Stagnara avaient créés en 1966 le groupe Sésame, spécialisé dans l’éducation sexuelle auprès des jeunes ; ils avaient rédigé en commun une thèse de doctorat en sciences de l’éducation éditée sous le titre Amours fidèles (Paris : Fayard, 1990), ainsi que plusieurs ouvrages, dont L’éducation affective et sexuelle en milieu scolaire (Paris : Dunod, 1995), et Si on parlait d’amour (Paris : Desclée de Brouwer, 1997).


Académie 

Edmond Locard est autorisé régulièrement à présenter ses travaux à l’Académie, où la présence de son père Arnould Locard, académicien très actif, et de son maître Lacassagne favorise sans doute son invitation. Après avoir envoyé à l’Académie, le 28 juin 1904 son étude sur la mort de Judas Ischariote, il décrit le 10 novembre 1904 La dactyloscopie, identification des récidivistes par les empreintes digitales, travail qui reçoit les félicitations de Lacassagne. Il y critique les faiblesses du « bertillonnage », où l’identification est basée seulement sur l’anthropométrie, le portrait et les signes particuliers (MEM 8, 1905). En 1908 c’est Policiers de romans et policiers de laboratoires (repris dans un livre, Paris : Payot, 1924, 277 p.), et en 1914, il communique sur la preuve judiciaire par les empreintes. Sa candidature est présentée par un rapport daté du 23 mai 1916 de Claudius Roux*, qui avait été son chef de travaux en PCN à la faculté des Sciences. Il est élu le 6 juin 1916 au fauteuil 6, section 2 Sciences, libéré par le décès du chirurgien Pierre Aubert*. Discours de réception le 20 mai 1919 intitulé Les méthodes scientifiques dans l’enquête judiciaire (MEM 1921 17). Membre émérite en 1928. Le 8 juillet 1950, agissant comme président des Amis de Guignol, il reçoit toute l’Académie au théâtre Mourguet, où il intervient sur le thème : Folklore lyonnais : la psychologie des têtes de bois. Son éloge funèbre, assez succinct, contrairement à l’article qu’il a donné dans le Tout Lyon-Moniteur judiciaire du 8 octobre 1977, a été prononcé par Pierre-Antoine Perrod* (MEM 32, 1978).

Bibliographie 

L. Teil, Edmond Locard (1877-1966) et la criminalistique, mémoire de maîtrise univ. Lyon-3, 1998, 166 f. – M. Mazévet, Edmond Locard, le Sherlock Holmes français, Brignais : Éd. des Traboules, 2006, 170 p. – M. Mazévet, Edmond Locard (1877-1966), la criminalistique moderne : suivi d’un récit inédit du Dr Locard, « Voyage aux USA d’avril à juillet 1918 pour la Croix-Rouge américaine », thèse méd. univ. Claude Bernard (dir. L.-P. Fischer*), 2005, 210 p. – M. Larriaga, La fabuleuse histoire d’Edmond Locard, flic de province, Lyon : éd. des Traboules, 2007, 226 p. – J. Chevallier, « Les docteurs Locard et Conan Doyle, ou comment la littérature a influencé la science », MEM 22, 2022.

Publications 

Rédacteur en chef, puis directeur de la Revue internationale de Criminalistique jusqu’en 1938. Directeur littéraire de Reflets (la revue littéraire de Lyon, sous-titrée la revue des élites lyonnaises). Créateur et rédacteur en chef en 1955 de la revue Androclès qui constituait le prolongement des Mardi de Lyon, cycle de conférences qui se tenait dans la salle « Arts et Théâtre » place des Terreaux.

Outre les articles rédigés dans ces revues, retenons : Les crimes de sang et les crimes d’amour au xviie siècle, Lyon : Storck, 1903, 325 p. – La mort de Judas Iscariote, étude critique d’exégèse et de médecine légale sur un cas de pendaison célèbre, Lyon : Storck, 1904, 36 p. – Le projet Laurent Chat et les noms des rues lyonnaises, Trévoux : Jeannin, 1907, 12 p. – Le tatouage chez les Hébreux, Lyon : Rey, 1909, 7 p. – L’identification des récidivistes, Paris : Maloine, 1909, 428 p. – L’identification des criminels par l’examen des glandes sudoripares, extrait de la Province médicale, 12 p. – Laboratoires de police et instruction criminelle, Lyon : Rey, 1913, 40 p. – La preuve judiciaire par les empreintes digitales. Données physiologiques. Pratique policière. Nature et valeur de la preuve. Calcul des chances d’erreur jurisprudence comparée, Lyon : Rey, 1914, 32 p. – La police ; ce qu’elle est ; ce qu’elle devrait être, Paris : Payot, 1919, 238 p. – L’enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris : Flammarion, 1920, 300 p. – Les méthodes de laboratoire dans l’expertise en écriture, extrait de la Revue de droit pénal et de criminologie et archives internationales de médecine légale, Bruxelles : Vve Larcier, 1921, 30 p. – Le crime et les criminels, Paris : La Renaissance de livre, 278 p. – Manuel de technique policière, (enquête criminelle) avec 43 figures, Paris : Payot, 1923, 291 p. – Traité de criminalistique, Lyon : Desvigne, 1931-1936, 6 vol., [t. 1-2, Les empreintes et les traces dans l’enquête criminelle ; t. 3-4, Les preuves de l’identité ; t. 5-6, L’expertise des documents écrits. Les correspondances secrètes. Les falsifications]. – Contes apaches, Lyon : Éd. Lugdunum, 1933, 237 p. – La malle sanglante de Millery, Paris : Gallimard, 1934, 215 p. – La police et les méthodes scientifiques, Paris : Éd. Rieder, 1934, 82 p. – L’Affaire Dreyfus et l’expertise des documents écrits, Lyon : Desvigne 1937, 66 p. – La criminalistique, à l’usage des gens du monde et des auteurs de romans policiers, Lyon : Desvigne, 1937, 156 p. – Peut-on correspondre avec l’au-delà ?, Étude critique sur le spiritisme, Lyon : Éd. Gutenberg, 1945, 45 p. – Confidences; souvenirs d’un policier, Lyon : Desvigne, 1951, 249 p. – La défense contre le crime, Paris : Payot, 1951, 152 p. – Le fiancé de la guillotine (Lacenaire), Paris : Éd. de la flamme d’or, 1954, 137 p. – A-t-elle empoisonné son mari ? (Affaire Lafarge), Lyon : Éd. de la flamme d’or, 1954, 127 p. – Le magistrat assassiné, affaire Fualdès, Paris : Éd. de la flamme d’or, 1954, 126 p. – Mata-Hari, Paris : Éd. de la flamme d’or, 1954, 126 p. – Mémoires d’un criminologiste, Paris : Fayard, 1957, 249 p. – Les faux en écriture et leur expertise, Paris : Payot, 1959, 391 p. – Mystères de Lyonb, illustrations de Sam Ram, Lyon : P. Bissuel, 1967, 128 p. – Journal de guerre des États-Unis en 1918 : mission Justin Godart* / Edmond Locardb ; commenté par Denise Stagnara née Locard, Louis-Paul Fischer*, Michel Mazévet, Lyon : Éd. des Traboules, 2007, 224 p.

Il a également préfacé un grand nombre de livres.

En 1959 a été créé le prix Edmond-Locard de littérature policière.

Une rue de Lyon 5e, antérieurement chemin des Massues, située entre l’avenue du Point-du-Jour et aboutissant rue des Aqueducs, lui a été attribuée le 10 mai 1971. Une avenue d’Oullins porte également son nom. Une plaque située au dos du Palais de justice, 35 rue Saint-Jean, rappelle la création par Locard du premier laboratoire français de police scientifique. La 18e promotion de commissaires de police issue de l’école de Saint-Cyr en 1967 porte son nom. Un timbre philatélique Edmond Locard a été émis en avril 2016 à l’occasion du 50e anniversaire de sa mort. Le 5 avril 2010 a eu lieu à l’Hôtel du département la commémoration du centenaire de la création à Lyon du premier laboratoire français de police scientifique par le Dr Edmond Locard, avec une intervention de Gérard Pajonk*, alors président de l’Académie. Une exposition a été organisée aux Archives municipales de Lyon du 9 avril au 13 juillet 2010.

Cette notice a été révisée.